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mercredi 15 avril 2009

Alexandre Bourbaki décide de prendre l’air

Sébastien Trahan, Nicolas Dickner et Bernard Wright-Laflamme se cachent derrière Alexandre Bourbaki
Personnage improbable et fictif, Alexandre Bourbaki est de retour. Il nous entraîne dans une aventure où le quotidien prend les couleurs d’un tableau surréaliste.
Encore une fois l’étrange est au rendez-vous, même si les personnages sont moins «décollés» que dans «Traité de balistique». Tout paraît normal, mais il ne faut pas se laisser berner. Nous croyons avoir les pieds sur terre et voilà que nous dérivons dans une aventure qui échappe à l’entendement.
Bourbaki, écrivain multiple, n’en peut plus de Montréal. Quelqu’un a rayé l’aile de son auto et il a besoin d’aller voir ailleurs. Il se réfugie dans le village de Mailloux. Un clin d’œil à Hervé Bouchard ou au célèbre psychiatre qui en menait large sur les ondes d’une certaine radio, on ne saura jamais. Il débarque avec sa chienne Argentine et s’installe au cœur d’une agglomération où la paix et le bonheur ne semblent pas une fable.
«Mais Mailloux a pris le virage du tourisme: il y a des gîtes un peu partout, des cafés, des galeries d’art, des restaurants et des boutiques spécialisées. Il n’y a rien de forcé, d’artificiel. On n’a pas l’impression de se retrouver dans un décor. Il n’y a pas d’enseignes tapageuses ni de grandes chaînes.» (p.22)
Un univers où respirer est une occupation noble. Notre écrivain peut s’occuper à regarder le temps s’égrener et les humains s’agiter. Beau métier que celui de l’écriture.

Un double

Bourbaki se retrouve devant son «doppelgänger» ou son double. Petit est le fou officiel du village. Il dort au milieu de la rue principale sous l’œil attendri du chef de police. Il écrit, aime bien Béatrice, la propriétaire de la buanderie qui tient aussi le café Internet. Qui écrit quoi? La situation devient confuse. Bourbaki et lui sont peut-être interchangeables.
Tout cela dans un hameau qui prépare un événement artistique qui ébranlera le monde. Les dirigeants d’un vaste comité de citoyens préparent un grand happening, un coup d’éclat. Ils masqueront une montagne avec un tableau gigantesque. Pourquoi pas! Nous avons vu un artiste interdisciplinaire et enseignant au Saguenay vouloir tailler la forêt qui couvrait tout un flanc de montagne pour y reproduire son visage.

À Mailloux, l’art visuel est omniprésent et les faux se multiplient. Peut-être que Bourbaki s’est égaré dans une toile de Molinari qui hante l’agglomération.

Regard percutant

Bourbaki cerne les travers et les beautés de la société. La laideur aussi. Un récit terriblement efficace même si tout au long de cette histoire, des portes s’ouvrent sans jamais se refermer. Certains événements sont oubliés par le narrateur, mais pourquoi s’en plaindre.
Ce qui importe, c’est le plaisir de raconter, de sauter à pieds joints dans les phrases et de s’en mettre partout. Des rebondissements, de la folie, de l’espoir et de la désespérance. Tout est possible dans le monde onirique de Bourbaki.
Un roman jeune, cynique, un tantinet humoristique, excentrique et exotique, réaliste, cru parfois. Un imaginaire débridé, possible et impossible. Surtout un grand plaisir pour le lecteur.

«Grande plaine IV» d’Alexandre Bourbaki est paru aux Éditions Alto.

dimanche 15 avril 2007

L’imaginaire peut-il inventer ses propres lois?

Nicolas Bourbaki est un mathématicien fictif, un prête-nom inventé en 1935, qui remettait en question l’enseignement des mathématiques. La supercherie a fait parler pendant des décennies. Un beau canular qu’André Weil et son groupe a su parfaitement orchestrer.
Alexandre Bourbaki, le signataire de «Traité de balistique», pourrait être le petit-fils de ce célèbre mathématicien virtuel. Dans les communiqués, on explique qu’Alexandre est né en Gaspésie, en 1973. Une chose est certaine, il est tout aussi fictif que son illustre ancêtre et permet à trois imaginatifs, Nicolas Dickner, Bernard Wright-Laflamme et Sébastien Trahan, de s’en donner à cœur joie et de sauter toutes les clôtures.
Le collectif garde des liens avec l’ancêtre Nicolas en flirtant avec les sciences, des principes et des phénomènes qui échappent aux lois qui orchestrent l’univers et la galaxie. Comment expliquer qu’un grand-père bafoue les lois de la gravité ou qu’une jeune femme provoque un dérèglement des lois physiques par sa seule présence.

Autres univers

Dans cette suite de textes, on ne peut parler de nouvelles, les auteurs ouvrent des portes et passent de l’autre côté de la logique et de la vraisemblance. Tout semble pourtant normal. Les faits respectent une certaine logique, mais il y a toujours un petit quelque chose qui fait que le lecteur bascule dans un univers invraisemblable.
«C’est ainsi que je perdis mon grand-père pour la seconde fois. Il ne pouvait plus être le compagnon de nos jeux, il s’était transformé en un petit oiseau qui se déplaçait en nageant dans l’air comme si celui-ci lui offrait une véritable prise. Un conseil de famille fut convoqué. On décida que Grand-père ne devait plus sortir. Dehors, le vent pourrait l’emporter.» (p.85)

Exigences

Non, tout n’est pas égal dans cette aventure. Certains textes tournent court, comme si les auteurs refusaient de pousser l’équation dans les derniers retranchements. D’autres, les plus élaborés, osent inventer un monde cohérent qui colle à une logique interne. Le genre a des exigences que les auteurs ne respectent pas toujours.
S’il n’y avait que ces plongées dans des univers parallèles, le lecteur se lasserait rapidement. L’aventure repose sur une écriture vigoureuse et efficace, simple, étonnante jusqu’à un certain point. Ce qui importe, ce sont les faits et ce ton pseudo-scientifique. On se laisse prendre.
Et pourquoi bouder son plaisir? Alexandre Bourbaki est encore jeune et il pourrait étonner si le trio garde le goût de l’accompagner sur les chemins de l’inusité et de l’étrange.
Amusant, moqueur et tendre, «Traité de balistique» est une belle manière de secouer certaines certitudes et d’élargir les frontières de l’imaginaire.

«Traité de balistique» d’Alexandre Bourbaki est publié aux Éditions Alto.