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jeudi 11 février 2021

SURVIVRE À TOUTES SES ANGOISSES

QUEL ROMAN ÉTRANGE QUE Fais de beaux rêves de Virginie Chaloux-Gendron, un texte qui nous entraîne dans un monde où il est difficile de faire la part entre le réel et l’inventé! C’est étouffant, dérangeant et l’écrivaine ne nous offre guère de moments de répit. L’impression de marcher sur des braises avec tous les dangers qui se multiplient autour d’une mort imaginée du fils de la narratrice et de sa propre fin. Mais est-ce vraiment le cas? Lecture obsédante où je me suis souvent demandé si je n’étais pas victime des délires de cette narratrice ou si je me laissais prendre par une variation sur la perte d’un enfant. Une immense envie d’échapper à ce texte qui se referme comme un piège. Mais l’écriture m’a retenu et je suis allé au bout de ce voyage difficile et exigeant, m’avançant dans une nuit qui ne semblait jamais devoir s’achever.


Le récit au je raconte les peurs, l’angoisse d’une femme qui réagit aux fins possibles et imaginaires de son fils. Elle invente des scénarios où le petit garçon finit tragiquement. Une distraction de sa part, un geste en traversant la rue, une course à bicyclette et le drame se produit, le monde se retourne. Il faut faire un effort pour suivre madame Chaloux-Gendron dans les méandres de ses obsessions. J’ai souvent refermé ce livre pour me demander où j’étais et si j’allais continuer dans cette histoire. L’enfant est-il mort ou non? Pourquoi se plaire à imaginer des fins possibles et annoncées? Je me suis accroché cependant, mais le récit ne cesse de déstabiliser. 

 

OBSESSION

 

C’est le rôle de l’écrivain d’imaginer le tragique comme les embellies. Le monde peut être un piège qui se referme sur ceux que l’on aime et faire de la vie un cauchemar. Tout cela pour secouer des balises, des manières de voir et de comprendre la terrible aventure du quotidien. 

 

Chaque jour, je te tue pour faire face au pire. J’en fais une doctrine. Tu es là, mais pour combien de temps? J’appelle le drame à venir en y pensant, en le prévoyant. Je lui ouvre la porte en trouvant les mots justes pour l’imaginer, pour qu’il se construise un cadre et tombe dans le réel jusqu’à nous. J’ai toujours eu un sixième sens affûté à propos de ce qui me détruira tôt ou tard et je suis donc constamment sur mes gardes, imbuvable pour quiconque s’approche trop de ma personne, pour ne pas dire infecte. Cet acte, je l’écris pour qu’il soit joué sur la scène de mon théâtre mental. (p.14)

 

L’intention de l’écrivaine est claire, mais j’ai vite compris que je ne pouvais lire ce roman en glissant sur les phrases. Il faut se pencher sur les mots, les soupeser et les retourner pour saisir les propos de cette femme prisonnière de ses rêves et de ses fantasmes. Et je me suis laissé prendre par cette pensée tordue, les scénarios qui se multiplient et ne cessent de réinventer les plus beaux désastres. Tout droit dans la folie du texte. 

L’impression parfois de replonger dans l’univers de Nicole Houde, le plus sombre, le plus dur, le plus impitoyable de son œuvre que j’ai exploré si souvent. Celui de son premier cri en littérature. Dans La malentendue la narratrice se lève la nuit pour aller dans la chambre de ses enfants, se pencher sur eux, pour être certaine qu’elle ne les a pas étranglés dans un moment de délire. Des pages d’une intensité qui démontre toute la détresse de l’écrivaine alors.

 

CURIOSITÉ

 

Et j’ai repris ma lecture, me méfiant de la phrase, comme si je glissais sur un fil, pour savoir jusqu’où Virginie Chaloux-Gendron allait m’entraîner et quels seraient les pièges qu’elle allait inventer un peu partout pour me faire trébucher. 

 

Par toi, je ne donne pas la vie, je la reçois. Et je dois l’honorer. Tu es la responsabilité placée sur mon chemin à toute heure du jour et de la nuit, et le plus angoissant concerne l’impératif de ta présence. Le système d’idées que tu as élaboré et qui fait de ma vie quelque chose de moral forcément. Si je n’ai jamais l’impression que tu es mon enfant, rares sont les instants où je suis autre chose que ta mère. (p.79)

 

Voilà le genre de questions qui nous poussent dans les cercles de l’obsessif et du fantasme, qui m’ont empêché de refermer le livre une fois pour toutes. La narratrice, avec son approche posée et raisonnable, sa prose analytique, fascine. J’ai glissé dans cet étrange univers parce que l’auteure réussit à séduire.

 

DÉCONSTRUCTION

 

Singulier voyage où l’écrivaine fait et défait toutes les certitudes, repousse les balises qui permettent de foncer dans la vie sans trop se questionner ou s’angoisser. Parce qu’on le veuille ou non, chaque seconde de son existence est un triomphe sur la mort et un exploit. D’autant plus qu’il est souvent possible d’éviter les pièges et d’aborder les rivages de la vieillesse avec une belle sérénité. Du moins, je cherche à le croire.

 

Ce n’est pas ton corps qui se fait toucher, c’est le mien. Ce ne sont pas mes mains qui s’avancent vers toi sous le drap. Je revois la chambre sombre au sous-sol. Le lit d’eau. Tout cet argent qu’on me donne sans raison. Le prix de mes abus s’accumule à la banque. Mon incapacité à jouir aujourd’hui si je ne baise pas avec un homme qui me répugne au plus haut point. (p.107)

 

Les chances de trébucher dans une semaine sont si nombreuses que le fait d’arriver à un soir est un exploit. C’est encore pire quand on s’en fait pour son fils si fragile et vulnérable. On le sait, les parents ne se remettent jamais de la mort de leur enfant. Je vous invite à lire Le marcassin envolé de Thyphaine Leclerc pour comprendre le poids de cette perte. C’est une morsure dans la pensée, une blessure qui ne cicatrise jamais. Comme si le ciel basculait et vous écrasait sur un trottoir à quelques mètres de votre maison. 

 

S’il est difficile de laisser partir quelqu’un tant aimé, son enfant, il est encore plus difficile de réaliser que nous sommes ceux qui partent. Tu ne vas nulle part. Ta tombe t’a scellé au même endroit ad vitam aeternam. En vérité, c’est moi qui n’en finis plus de m’en aller. (p.190)

 

Un roman courageux et étrange, fascinant aussi par un propos qui risque de rebuter plus d’un lecteur. Je le sais avec mes chroniques. Quand j’aborde les ouvrages qui traitent de la mort ou de la perte d’un proche, les curieux s’éloignent. Ce sujet, nous ne voulons pas en parler même s’il nous touche tous. Et l’écrivaine de nous laisser sur un pied avec sa dernière phrase qui vibre comme un gong. «Bientôt, je ne ferai plus de différence entre la réalité et la fiction.» C’est certainement là la pire des choses qui peut arriver à quelqu’un, ce moment où tout se mélange.

 

CHALOUX-GENDRON VIRGINIEFais de beaux rêvesÉDITIONS DU BORÉAL, 216 pages, 24,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/fais-beaux-reves-2746.html