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lundi 25 juin 2012

Nicole Filion explore son quotidien avec bonheur


Nicole Filion est l’auteure d’une dizaine d’ouvrages et mes excursions de lecteur n’ont jamais traversé ses territoires pour des raisons que j’ignore. Elle publie pourtant régulièrement depuis une dizaine d’années aux Éditions Trois-Pistoles. Son dernier titre, «Œuvres incomplètes», m’a intrigué. 

Des chroniques, des récits et des nouvelles. Des «bouts d’essais» aussi comme il est écrit en page couverture, des arrêts sur ses lectures la plupart du temps. Je me suis laissé entraîner par le rythme de cette écrivaine, son humour noir, sa façon de raconter en suivant les chemins les plus longs. Un sourire, disons, qui vous happe et vous entourloupe.

Lectures

L’écrivaine, ses lectures le démontre, aime les écrits intimes, les heurts qui marquent le quotidien. «Souvenirs» d’Anastassia Tsvétaéva est l’exemple le plus frappant de cette manière de dire. Une phrase qui se dépouille pour s’attarder aux occupations de l’auteure et, surtout, celle de sa sœur Marina. Une description des blessures qui marquent des êtres qui s’aiment. Ce livre deviendra une référence pour Nicole Filion.
 «Je me demande parfois si quelqu’un d’autre a emprunté ce livre, ce qu’il ou elle en a pensé, si la séparation s’est avérée aussi difficile qu’elle l’a été pour moi. «La séparation d’avec Marina ! écrit Anastassia. Même aujourd’hui, je n’y crois pas. C’est quelque chose que je ne peux me mettre dans la tête, qui n’entre pas dans mon cœur, qui va le déchirer, là, maintenant.»
En route pour la bibliothèque, je songe aux beaux os de Marina enterrée dans le cimetière Petropavlovsk d’Elabouga, à ceux si frêles, d’Anastassia morte le 5 septembre 1993 à près de 99 ans, des petits os secs, poreux, s’effritant au regard, à peine de quoi remplir un porte-poussière. «J’ai quatre-vingt-huit ans et Marina en aurait eu quatre-vingt-dix, l’automne prochain.» C’est ainsi que se termine «Souvenirs». Qu’adviendra-t-il de moi?» (p.109.110)
Elle raconte son plaisir d’étirer le temps le matin avec un café, ses espoirs, certains moments du voyage, une résidence d’écrivain à Lyon, les promenades, son dépaysement et la solitude. Des souvenirs refont surface. Des personnages de fiction s’imposent, comme madame Henri, une comédienne qui s’essouffle et a du mal à suivre le rythme. Un séjour dans les labyrinthes de la fonction publique nous plonge dans l’absurdité totale.
Les emplois se succèdent et rien ne la retient, ne la passionne. Heureusement, le désir d’écrire s’accroche. La peinture aussi et la musique.

Confidences
 
Nicole Filion livre des bribes de sa vie comme ça, des réflexions et certaines obsessions.
«J’aime les choses harmonieuses, les maisons propres et bien rangées, les paysages avec un champ à droite, un champ à gauche et une raie d’arbres au milieu, histoire d’éviter toute chicane entre le blé et l’oseille. J’aime que les ciels affichent franchement leurs couleurs. Un ciel avec plein de nuages qui roulent d’est en ouest ou d’ouest en est, cela devient chaotique et je n’aime pas le chaos. Une chose pour chaque place et chaque place pour sa chose, nous apprenait-on à l’école. Une âme faine dans un corset. Les médicaments doivent être gardés hors de portée des enfants dans des armoires fermées à clef.» (p.163)
C’est peut-être l’art de Madame Filion. Tout voir et tenter de mettre chaque chose à sa place.
Cette écrivaine possède un sens de l’observation singulier. Elle aime les images qui créent une atmosphère, une ambiance. J’imagine ses grandes toiles «qui ne ressemblent pas à celles des autres» ainsi. Toujours particulier, original et un peu dans la marge. Peu d’écrivains empruntent ces détours dans une forme de carnet intime.
Et ce sourire encore, cet humour, ce regard qui montre les travers de notre monde. Dieu sait qu’elles en ont des travers nos sociétés à bout de souffle et en mal de croyances.
Un livre que l’on voudrait lire lentement, paresseusement, le matin quand le soleil se dégourdit et qu’il fait bon sur la galerie à l’ombre des arbres. Tout un été tiens! Une flânerie, un bonheur qui se renouvèle à chaque page, à chaque jour qui décide de prendre ses aises. Juré! Je vais plonger dans les autres ouvrages de Nicole Filion pour le plaisir, pour cette intimité si rare et si fine.

«Œuvres incomplètes» de Nicole Filion est paru aux Éditions Trois-Pistoles.