Tout récemment, des chercheurs ont greffé les systèmes
sanguins de deux souris. Une jeune et une vieille. Le sang de la plus jeune
nourrissant les deux organismes. Rapidement, les expériences ont démontré que
la plus âgée des rongeurs retrouvait une nouvelle vigueur. Ils en ont conclu
que des transfusions sanguines de sang jeune pourraient permettre à l’organisme
de se régénérer. La quête de l’éternelle jeunesse continue et elle demeure les
assises du monde de la télévision et du cinéma. Le mythe de Faust est plus actuel
que jamais. Faut-il pourtant vendre son âme au diable pour y arriver ?
L’expression « il faut du sang neuf » prend ici tout son sens.
Daniel Grenier,
dans L’année la plus longue, a eu une
idée que j’aurais bien aimé avoir pour un roman. Aimé, son personnage naît un 29
février, une année bissextile. Son anniversaire revient au quatre ans. En
poussant l’allégorie, on imagine qu’il vieillit d’un an tous les quatre ans. À
cent ans, il a l’apparence d’un jeune homme de 25 ans.
Né en 1760, alors
que la ville de Québec vient tout juste d’être envahie par les Britanniques, Aimé
vivra les grands soubresauts de l’Amérique, particulièrement la guerre de
Sécession où il servira sous une fausse identité.
La femme qui a
donné naissance à Aimé tard dans la nuit du 29 février était aussi maigre que
les autres, et personne ne s’était aperçu de sa grossesse, elle non plus. Ses
nausées étaient banales, elle n’avait pas passé une seule journée sans nausée
depuis l’âge de dix ans, ses dents étaient décolorées par l’acidité quotidienne
des vomissements. Elle portait des vêtements bruns beiges, blanchâtres, comme
une seconde peau malade et sale, déchirée aux endroits les plus sensibles. Son
regard fuyait aussi vite que des ailes d’oiseau-mouche. (p.122-123)
Plusieurs ouvrages
ont tenté de nous faire vivre l’éternelle jeunesse. Bien sûr, il fallait l’intervention
de Lucifer et offrir son âme en compensation. Christopher Marlowe et Goethe ont
repris le mythe du Docteur Faust.
Cette œuvre a inspiré Gounod, Hector Berlioz, Richard Wagner, Gustav Mahler et Igor
Stravinsky. La croyance d’une vie après la vie n’est pas loin de ce désir
d’échapper à la mort.
QUÊTE
Nous voilà dans
l’histoire de trois générations. Thomas que l’on aurait voulu faire naître un
29 février pour qu’il hérite d’un destin fabuleux et Albert, son père,
originaire du Québec. Il a épousé Laura, la mère de Thomas, une Américaine rêveuse
qui a rompu avec sa famille. Il cherche cet ancêtre qui ne cesse de se dérober
et de changer d’identité.
Son accent était
si prononcé qu’elle a fait semblant de comprendre en souriant jusqu’à ce
qu’elle comprenne quelques secondes plus tard, en analysant les sons, en les
décortiquant comme autant de biscuits chinois mal traduits. Son anglais
s’améliorerait avec le temps, et son français à elle aussi, elle apprendrait à
dire plusieurs phrases consécutives et même à savourer certaines tournures, si
proches et si lointaines, grammaticalement et phonétiquement. (p.41)
Tous les autres
autour d’Aimé vieillissent, aiment, ont des enfants et disparaissent. Il reste derrière,
en retrait et voit la vie comme à travers une fenêtre. Plus j’y pense, plus
cette immortalité ressemble à la plus terrible des condamnations. Comment
rencontrer une femme, vivre un amour et élever des enfants ? L’immortel est
condamné à la plus terrible des solitudes, à fléchir sous le poids d’une
mémoire qui s’encombre de plus en plus.
Aimé croise Jeanne
Beaudry à Montréal, vit un amour comme on le vit quand on sort à peine de
l’adolescence et que l’avenir ouvre tous les chemins. Un amour qui prendra fin
brutalement quand Aimé est surpris avec Jeanne par son frère. Il fuit pour
sauver sa vie et ne reverra son amoureuse que sur son lit de mort. Les amours
d’Aimé ne peuvent qu’être éphémères.
Il croise des
personnages étonnants qui marqueront leur époque, se passionne pour des
inventions qui changeront peu à peu la vie de tous, réussit à amasser une
fortune. Mais est-ce seulement une existence ? Est-ce que l’humain peut résister
aux bouleversements des siècles et aux découvertes qui traversent le quotidien
? Le cerveau humain serait-il capable de s’adapter ? Comment vivrait un membre
d’équipage de Christophe Colomb à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux ?
Aimé emprunte
plusieurs identités, brouille les pistes et ne peut s’installer sans faire naître
la suspicion chez ses voisins. Il disparaît après la durée normale d’un homme
pour vivre sous un autre nom, continuer avec un secret qu’il ne peut partager.
Quand il
s’appliquait une crème rajeunissante sur les cernes, Aimé n’était pas
inconscient de l’ironie cosmique contenue dans le geste, et dans le souhait qui
l’habitait, comme il nous habite tous, de vivre toujours, malgré sa longévité.
Il était comme nous et, même s’il était extraordinaire sous bien des aspects,
il se comportait normalement la plupart du temps. Cette année-là, à New York ou
à San Diego, peu importe où il se trouvait, il avait l’air d’un homme de
quarante et un ans, mais ça faisait plus d’un siècle et demi qu’il existait.
(p.180)
RETOUR
Thomas se retrouve
seul après la mort tragique de sa mère dans un accident d’avion. Albert, son
père, est retourné dans sa Gaspésie natale, abandonnant ses recherches et
l’espoir de retrouver un ancêtre qui ne cesse de brouiller les pistes. Il s’est
rendu compte de sa folie. Thomas décide de migrer au Québec. Les retrouvailles
de Thomas et Albert permettront de panser certaines blessures.
Il le regardait de
face, de profil, de dos, cet homme qui réparait ses erreurs de la façon la plus
lâche et la plus absurde qui soit, en disparaissant, en se sauvant, mais qui
décrivait la réflexion derrière ses choix d’une manière si convaincante et si
intense, avec dans les yeux une conviction impossible à ignorer. De toutes les
facettes d’Albert que Thomas était incapable de mépriser, ou d’écarter comme
des lubies, c’était son radicalisme qui l’impressionnait le plus. (p.355)
Un roman captivant
qui m’a plongé dans l’histoire américaine. Aimé possède une identité
continentale que les Français de la Nouvelle-France ont perdue à la Conquête. Pas
pour rien que Daniel Grenier fait naître son personnage en 1760. Thomas grâce à
l’ADN d’Aimé, trouvera l’élixir de l’immortalité.
Et peut-être que
nous sommes condamnés à ne jamais mourir, voyageant dans le temps et l’espace
grâce aux gênes qui passent d’une génération à l’autre. Immortel, oui, mais en naviguant
d’un corps à l’autre. La vie serait une course à relais depuis la nuit des
temps. Nous sommes à la fois mortels et immortels depuis la naissance d’un
ancêtre dont il est impossible d’imaginer le visage.
L’année la plus longue interroge l’histoire, le temps et nous fait réaliser que ce
n’est pas la peine de vendre son âme pour la vie éternelle. L’immortalité est
le pire des châtiments qu’un homme ou une femme peuvent subir. Du moins, j’aime
le croire. Et puis, nous le devenons immortels en prenant le relais des
ancêtres pour transmettre le témoin à nos descendants.
Comme le disait
souvent Thomas, un sourire au coin des lèvres mais avec tout le sérieux du
monde, il fallait bien expliquer aux visiteurs ce que représentait cette
nouvelle étape dans la grande aventure de la vie, maintenant qu’on ne mourrait
plus. (p.417)
L’année la plus longue de Daniel Grenier est paru aux Éditions Le Quartanier, 432
pages, 27,95 $.