Le droit est-il la justice ? La question se pose après avoir lu «Le monde, le lézard et moi» de Gil Courtemanche.
Claude, analyste à la Cour pénale internationale de La Haye, réunit des preuves contre Thomas Kabanga, un despote qui a sévi au Congo. Le dictateur est accusé d’avoir embrigadé des enfants, de les avoir entraînés pour faire la guerre, commettre des meurtres et des viols. Ces jeunes ont semé la terreur dans un pays où le trafic des diamants et de l’or attire tous les aventuriers.
Avec une équipe de recherchistes, il est convaincu de faire condamner le dictateur et de créer un précédent dans le droit international. Il écoute les témoignages de ces jeunes torturés et violés. Des histoires invraisemblables qui plongent dans l’horreur et deviennent obsédantes.
Solitaire, ce Québécois a cru changer la société au temps de ses études. Il s’est joint à un groupe de militants et après un attentat raté, a dû purger trois mois de prison.
«Je découvrais que l’injustice existait dans mon pays. Ce n’était pas la même pauvreté. Ce n’étaient pas des cases malodorantes dans lesquelles vivaient entassées des familles nombreuses, mais des taudis puants abritant des familles nombreuses. Pas des gens qui mouraient de faim dans un pays pauvre comme l’Éthiopie, mais des Québécois qui ne mangeaient pas à leur faim dans une des sociétés les plus riches du monde.» (p.41)
Il se transforme en chasseur qui ne lâche pas sa proie. Une hantise qui peut devenir dangereuse.
«Kabanga occupe toutes mes pensées. Je suis un monomaniaque et je pourrais peut-être constituer un danger pour la société si cette obsession avait quelque autre objet humain. Je vis avec cet homme… Je l’observe, l’analyse, le dissèque, le retourne, le soupèse, le met en question comme un biochimiste travaille sur une molécule prometteuse, désespère de ses premiers résultats, mais certain de son intuition, poursuit le fractionnement de la molécule, la combine avec d’autres éléments.» (p.105)
Vice de procédure
Thomas Kabanga est libéré. Vice de procédure. Il rentre à Bunia et peut tout recommencer.
Claude démissionne et part pour le Congo en compagnie de Myriam qui travaillait avec lui. La Somalienne a connu les horreurs de la dictature. Elle aussi souhaitait voir Kabanga payer pour ses crimes. Ces deux éclopés ont du mal à trouver un espace où il est possible de respirer. Claude garde l’espoir fou de réussir là où l’appareil juridique a échoué.
«Kabanga, trois mille enfants soldats, un sourire insolent, des boutons de manchette en or, non pas le regard d’un assassin, mais celui d’un chef imbu de sa personne, cherchant par tous les moyens pouvoir et richesse. Un être méprisable. Mais je n’ai jamais vécu dans ce monde des émotions primaires, et je ne l’avais jamais avant considéré comme autre chose qu’un accusé que je crois coupable. J’ai quitté l’univers rigoureux de la justice pour celui embrouillé et arbitraire de la passion. Je ne suis pas certain que cela soit bien, mais c’est le chemin que j’ai choisi.» (p.155)
Enfant soldat
Il retrouve Josué, un enfant soldat qui a témoigné à la cour de La Haye et qui cherche à se venger et à refaire l’histoire. Il s’entoure de gens qui tuent, violent, éliminent Kabanga, à l’image du monstre qui lui a volé son enfance. Rien ne change ! Les despotes engendrent les despotes. Les tueurs forment les tueurs et les violeurs. Claude participera même au simulacre de procès de Thomas Kabanga.
Réflexion sur la justice, le pouvoir, la violence et les pulsions qui poussent les humains à commettre les pires horreurs, cet ouvrage nous plonge dans les conflits qui déchirent notre monde. C’est l’humain le grand responsable. L’homme incapable de justice, de compassion et d’empathie, impuissant devant les pulsions de mort qui dominent partout. Tous finissent piégés par des règles, des codes qui deviennent des prétextes pour dominer les autres, même les hommes de bonne volonté.
Roman dur de désespoir et de désespérance, «Le monde, le lézard et moi» fait douter de l’espèce humaine et de ses capacités à dominer ses pulsions et ses folies meurtrières. Une réflexion nécessaire dans une époque où les conflits se multiplient, où les bombes servent à ponctuer les discussions.
« Le monde, le lézard et moi » de Gil Courtemanche est publié aux Éditions du Boréal.