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jeudi 2 octobre 2025

L'ÉPOPÉE DU SAGUENAY–LAC-SAINT-JEAN

LE LIVRE d’une vie pour Gérard Bouchard. Voilà l’aboutissement de sa longue et patiente recherche qui prend sa source dans sa thèse de doctorat soutenue à Paris, où il dressait le portrait d’un village du centre de la France (Sennely-en-Sologne) sur une période de cent ans. On peut lire ce travail publié chez Plon en 1972 sous le titre : «Le village immobile». De retour au Québec, Gérard Bouchard appliquera cette approche à la région du Saguenay et du Lac-Saint-Jean. Une histoire totalisante et enveloppante qui tient compte de tous les aspects d’une population pendant un laps de temps important. Il s’attardera aussi à recueillir les propos de ceux et celles qui ont quasi connu les débuts de la colonisation ou qui ont entendu les récits des premiers venus dans la région. Des témoignages précieux, puisque c’est le passé des hommes et des femmes qui ont fait le pays. «Terre des humbles, Les Saguenayens 1840-1940», est le résultat de ses recherches au fil des décennies.


Gérard Bouchard, dans «Terre des humbles», raconte l’histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean à partir des témoignages des premiers arrivants, des anciens qui ont vécu l’an premier de cette épopée. Le travail imposant de l’historien et sociologue fait plus de 450 pages et dresse un portrait de la vie des colons, de leurs rêves et de leurs réussites, comme leurs terribles épreuves entre 1840 et 1940. Toujours en s’appuyant sur les témoignages des pionniers, mais aussi sur à peu près toutes les informations que l’on peut trouver dans les registres des paroisses (naissances, décès, mariages), les actes notariés et les journaux de l’époque alors fort actifs et importants. Une histoire du peuple que «Terre des humbles» et non pas celle de l’élite, du clergé qu’on nous a imposé quand j’étais à la petite école. Et peut-être que Gérard Bouchard s’est inspiré d’Antoine de Saint-Exupéry pour son titre, qui, dans «Terres des hommes», explore l’amitié, la mort, l’héroïsme, la quête de sens et de vérité. L’écrivain et aviateur exprime dans cette œuvre ses valeurs humaines.


«L’ouvrage que je présente aujourd’hui reprend donc la même ambition que Le village immobile, mais en prenant cette fois pour objet l’ensemble d’une société régionale et en conjuguant les enseignements de deux immenses corpus : celui des données quantitatives en provenance du fichier BALSAC et celui des données qualitatives issues de plus de 2000 entretiens réalisés entre les années 1920 et 2000. D’autres sources de données ont aussi été utilisées en complément (infra). J’ai pu ainsi construire une représentation de cette société dans ses diverses dimensions et dans son évolution, tout en faisant entendre sa parole. C’est donc un très vieux rêve de jeunesse que je vois maintenant réalisé.» (p.20)

 

Pour bien illustrer sa démarche, Gérard Bouchard multiplie les points de vue à partir des premières familles qui ont transporté sur leur dos tout ce qu’ils pouvaient emporter. Ils devaient franchir les montagnes sur des pistes à peine existantes en partant de la région de Charlevoix. L’odyssée regroupait plusieurs ménages et au bout d’un périple de plusieurs jours, ils s’installaient en pleine forêt où ils devaient tout faire avec peu d’outils. Des haches, des sciottes pour construire une cabane et se mettre à l’abri des intempéries et des bêtes sauvages. Ils survivaient alors grâce à la chasse et la pêche parce qu’il fallait «faire de la terre» d’abord pour semer les patates et autres légumes essentiels. Quand je pense aux nuages de moustiques qu’ils devaient affronter, je me demande comment ils ont pu résister. Peut-être que, pour la plupart, c’était un voyage sans retour et qu’ils n’avaient pas le choix de s’accrocher.

 

«À l’arrivée sur son emplacement (ou celui qu’elle choisissait d’occuper), une famille devait encore passer quelques nuits à la belle étoile, le temps de bâtir un camp très sommaire recouvert d’écorce de bouleau. Ces camps s’élevaient à guère plus de quatre pieds du sol, car il fallait en obstruer l’accès aux ours attirés par la nourriture. Plus tard, on construisait un vrai camp, plus spacieux, où durant l’hiver où parents et enfants pourraient cohabiter avec les poules, souvent un cochon et, plus tard, un bœuf, les premiers étant séparés des autres par une demi-cloison. Le but était de réchauffer les occupants et en même temps de protéger les animaux contre le froid.» (p.39)

 

Heureusement, il y avait les Innus qui sillonnaient cet immense territoire et qui savaient mieux que les arrivants se débrouiller dans toutes les conditions. Ils ont eu de bons contacts et se donnaient un coup de main lorsque c’était possible, particulièrement quand une femme accouchait. On demandait l’aide d’une sage innue pour que tout se passe bien. Certains n’auraient jamais pu survivre à l’hiver s’il n’y avait pas eu les Innus. 

Tout devait changer avec l’arrivée des curés qui ont dénigré ce peuple nomade et leurs manières de vivre, interdisant les relations avec eux et surtout les mariages. Une triste histoire que ce manque d’ouverture du clergé envers les autochtones et les étrangers qui ont tenté de rejoindre les colonisateurs à différentes époques. 

 

«C’est pourquoi, en 1898-1899, le haut clergé s’opposa si vigoureusement à l’implantation d’un petit groupe de doukhobors qui fuyaient la persécution dont ils étaient l’objet en Russie. Des notables, guidés par l’évêché, se déchaînèrent en dénonçant les mœurs primitives de ces étrangers, accusés notamment d’atteler leurs femmes à la charrue pour ménager leurs chevaux. Les réfugiés trouvèrent finalement à s’établir dans l’Ouest canadien.» (p.105)

 

FAIRE DE LA TERRE

 

Défricher, faire de la terre, semer, construire une habitation plus confortable, élever du bétail et agrandir le domaine pendant que les enfants se multipliaient. Et les garçons, les plus vieux, à l’âge de quatorze ou quinze ans, s’embauchaient l’hiver dans les chantiers de Price, là encore dans des conditions à peine imaginables, pour apporter quelques piastres à la famille au printemps. 

Et on finissait par faire une paroisse avec sa chapelle et sa forge et son petit magasin général qui vendait de tout. Il y avait aussi les moulins de sciage que Price installait un peu partout où il y avait des cours d’eau et qui procuraient du travail. Des villages éphémères qui essaimèrent le long du Saguenay surtout.

Jean-Alain Tremblay nous plonge dans la vie de Saint-Étienne dans «La nuit des Perséides», une agglomération qui a été détruite par le feu en 1900.

Souvent, après avoir constitué un bien respectable, les familles vendaient tout et allaient tout recommencer plus loin pour défricher, pour agrandir leur terre et y établir les enfants, surtout les garçons. 

 

«Telle était la vie sur ces premiers fronts pionniers : des travaux éreintants, une nourriture insuffisante, l’insécurité, l’isolement, l’absence de chemins, de médecins, de prêtres et d’écoles. À tout cela s’ajoutait la rareté chronique du numéraire. Pour subvenir à leurs besoins, les colons ne consommaient que ce qu’ils pouvaient semer ou produire dans ces conditions ingrates; les familles se voyaient ainsi confrontées à de nombreuses privations.» (p.45)

 

On travaillait en famille, c’était essentiel pour la survie. C’est comme ça que l’on est arrivé à occuper toutes les bonnes terres autour du lac Saint-Jean. On a tenté alors de poursuivre la colonisation dans la deuxième couronne de peuplement. C’est à cette époque que furent fondées les paroisses de La Doré, Saint-Edmond-des-Plaines, Girardville et Saint-Thomas-Dydime. Ce fut souvent un échec parce que le sol était impropre à la culture. 

Viendront rapidement les premières industries dans les petites villes, particulièrement à Jonquière et Chicoutimi, qui misaient sur l’exploitation de la forêt, la fabrication de la pâte de pulpe avant tout. Des entrepreneurs qui rêvaient de se développer à l’américaine. En particulier un personnage peu connu, mais fascinant de Chicoutimi. 

 

«C’était un homme remarquable (Joseph-Dominique Guay) à plus d’un égard et son histoire reproduit en quelque sorte celle de l’utopie saguenayenne, ou du moins l’un de ses volets. Néanmoins, et pour des raisons qui apparaîtront plus loin, il a laissé très peu de traces dans la mémoire régionale. C’est une raison de plus pour s’y arrêter.» (p.97)

 

Il était de ceux qui voulaient faire de Chicoutimi «la Chicago du Nord» avec un million d’habitants. Il a eu le malheur de s’opposer souvent aux ambitions du haut clergé. Que dire de Louis de Gonzague Belley, qui a dû migrer dans l’Ouest canadien, ostracisé par son milieu et excommunié par Mgr Labrecque?

Ce ne fut pas le cas de J.E.A Dubuc, qui a su apprivoiser l’évêché par des dons en argent, des faveurs et aussi des fêtes où il pouvait les courtiser et faire accepter ses visées. Ces «continentalistes» voulaient surtout casser le monopole des Price pour se développer et devenir en quelque sorte maître chez eux.

 

«Cela dit, Dubuc fut un remarquable entrepreneur qui s’est hissé au sommet du monde des affaires à l’échelle internationale, alors qu’au départ il était sans le sou et sans expérience, simple commis dans une succursale de la Banque Nationale à Sherbrooke. Il n’avait que vingt-six ans quand il a pris la tête de la Compagnie de pulpe au moment de sa fondation et sa situation financière ne lui permettait même pas d’acheter des actions de l’entreprise. Parmi ses associés et partenaires, on a pu dire de lui qu’il n’était rien de moins qu’un génie.» (p.336)

 

ÉPOPÉE


J’ai eu l’impression de plonger dans un véritable roman en suivant les colons, qui, en plus d’un travail incroyable, devaient subir les diktats du haut clergé qui établissait des règles et contrôlait presque tout de leur quotidien. Pas uniquement sur le plan spirituel, mais en s’immisçant dans leur vie privée (leur sexualité) et leurs passe-temps. 

Gérard Bouchard s’attarde aussi à des mythes qu’il défait, soit l’isolement de la population, les maladies génétiques qui seraient plus importantes dans la région, des gens réfractaires aux idées nouvelles et aux étrangers. 

C’est tout le contraire, heureusement. 

Les familles nombreuses correspondaient à ce qui était la norme dans l’ensemble du Québec, tout comme la place des femmes, les maladies, les loisirs. La sexualité des couples ne différait guère non plus des pays en voie de colonisation. C’est quasi un miracle qu’ils aient pu garder une forme d’indépendance malgré l’omniprésence du clergé. 

Nous avons, en parcourant ce document passionnant, un portrait bien distinct de celui qui était brossé à ma petite école de rang ou encore au secondaire à Saint-Félicien, où l’histoire du Canada nous ennuyait terriblement. 

C’est fascinant de pouvoir s’attarder ainsi auprès des gens du peuple, de découvrir la culture populaire que les curés combattaient, les fêtes où l’on chantait et dansait et pouvait même exagérer avec la bouteille. Les carnavals et les déguisements de la Mi-Carême étaient de grandes périodes de réjouissances et de défoulement. 

 

BIOGRAPHIQUE

 

Gérard Bouchard n’hésite jamais à raconter des faits personnels et des moments de son enfance. C’est peut-être la plus belle façon de rendre hommage à ses parents que de publier un tel ouvrage où nous avons l’impression de surprendre nos proches dans leur quotidien. J’ai reconnu ma propre famille, des rites et des coutumes qui ont changé avec le temps. J’ai vécu l’époque où la grande fête du début de l’année était le Jour de l’An et non pas Noël. Oui, ce temps lointain où le père Noël n’existait pas. Aussi, j’ai compris que les Paré n’étaient pas une exception en ne soulignant jamais les anniversaires. 

Tout le monde était ainsi. 

Véritable roman d’aventures que «Terre des humbles», avec des personnages fascinants qui sortent de l’ombre et qui montrent des aspects méconnus de notre parcours. Ça permet d’avoir un autre regard sur le passé, notre histoire, nos proches et tout le tissu social et paroissial qui a fait ce que nous sommes. Un ouvrage remarquable que tous les gens de la région devraient lire pour mieux se voir et s’aimer, pour savoir d’où nous venons et, surtout, être fiers de ses origines et de ses ancêtres, nos héros de la colonisation.

 

BOUCHARD GÉRARD : «Terre des humbles Les Saguenayens 1840-1940», Éditions du Boréal, Montréal, 2025, 462 pages, 34,95 $.

 https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/terre-des-humbles-4115.html

vendredi 21 février 2025

BOUCHARD ET SES VISIONS DU QUÉBEC

LE DEVOIR et Gérard Bouchard ont eu la bonne idée de regrouper cinquante-huit textes publiés dans ce journal depuis 2021 sur des sujets que l’actualité a imposés à l'enseigna et au chercheur que nous connaissons. Sans pour autant tourner le dos aux questions que Gérard Bouchard a explorées dans de nombreux ouvrages. Le mouvement patriote, autour des années 1835, la fameuse Grande noirceur, la Révolution tranquille, les mythes fondateurs, les États-Unis, l’interculturalisme, la langue française et sa fragilité, la poussée de l’indépendantisme, les immigrants et le vivre ensemble. L’histoire, bien sûr, puisque Gérard Bouchard y a consacré un essai. Sans négliger nos liens avec les Autochtones. Un survol qui montre bien les chemins que nous avons empruntés depuis l’époque de la Nouvelle-France, de la Conquête jusqu’à nos jours. Je me suis laissé prendre par ces courts textes que le format du journal impose. Il faut faire bref et la longueur est l’ennemi du journaliste et du chroniqueur. J’en sais quelque chose pour avoir pratiqué le métier pendant de nombreuses années. 

 

J’avais à peine entamé ma lecture de Visions du Québec que j’ai dû me rendre au garage. Mon auto souffrait de quelques insuffisances, comme cela arrive trop souvent. J’apporte toujours un livre dans ces cas pour traverser les heures d’attente. Le garage que je fréquente à Alma est vaste et fort agréable. Jamais une odeur d’essence ou d’huile, encore moins de cambouis. Même que le directeur des ventes possède un baccalauréat en histoire. Il a débuté dans l’enseignement, mais la précarité et l’incertitude lui a fait se tourner vers l’automobile. Un homme charmant avec qui on peut avoir de belles conversations.

Ma voiture étant un peu souffrante, j’ai eu le temps de lire plus de cinquante pages et de les souligner généreusement. J’ai mon coin dans la salle d’exposition. Un bon fauteuil, une petite table amovible et le café toujours savoureux. J’évite la salle d’attente où la télévision n’en a que pour Donald. Donc, un tête-à-tête avec Gérard Bouchard pour réfléchir au devenir du Québec et à ses parcours pendant qu’on sondait les entrailles de mon véhicule. 

J’ai eu le temps de méditer sur la période des Patriotes, ce mouvement que Gérard Bouchard affectionne particulièrement. Il admire la pensée de ceux qui alors ont rédigé un projet de société évoluée et moderne. Il y trouve des figures remarquables et des gens qui sont de vrais héros, surtout De Lorimier, une grande âme. Un moment clef dans l’histoire des Québécois qui ont rêvé de mesures politiques généreuses et ouvertes aux idées de l’époque. Une réflexion, plus nécessaire que jamais, avec ce qui se trame aux États-Unis, où les principes d’égalité et de fraternité sont taillés en pièce par Donald le terrible. 

 

«Il s’agissait essentiellement de mettre fin pacifiquement au lien colonial imposé militairement par l’Empire britannique depuis la Conquête, d’instaurer une véritable démocratie parlementaire, de promouvoir une acception large de la nation (qui n’était pas restreinte aux Canadiens français et aux catholiques) et de faire place à la modernité dans divers aspects de la vie collective : séparation de l’Église et de l’État, instruction publique, libertés civiles, etc. Comme on le voit, les valeurs les plus fondamentales et les plus estimables de l’Occident étaient à l’origine du mouvement qui conservait toute sa singularité québécoise.» (p.19)

 

L’indifférence et le mépris de la part de l’Angleterre devant des revendications légitimes ont dégénéré dans un affrontement que les patriotes n’avaient aucune chance de gagner. Ils ont dû faire face à la meilleure armée au monde. La révolte fut sauvagement réprimée et il y a eu des morts et des exécutions, sans compter les déportations en Australie et ailleurs. Louis Caron a été l’un des rares écrivains du Québec à s’attarder à cette période importante avec Le canard de bois dans les années 1980. Fait plutôt étrange, ce fut Jules Verne, l’auteur bien connu du Le tour du monde en 80 jours, qui, dans Familles-Sans-Nom paru en 1889 a relaté ce moment trouble et démontré la barbarie de l’intervention militaire. 

Un projet politique encore présent dans l’actualité québécoise. Je pense à l’égalité des hommes et des femmes, à la laïcité de l’État qui fait litige et qui se retrouve devant la Cour suprême, parce que contestée par certains groupes. 

 

PLAISIR

 

S’aventurer dans Visions du Québec, c’est comme découvrir le cheminement de Gérard Bouchard par fragments. La pensée qu’il a développée dans ses nombreux ouvrages que j’ai toujours eu plaisir à lire, tout comme ses romans où l’écrivain se montre un conteur redoutable. 

Il faut plonger dans Mistouk et Pikauba.  

Bien sûr, je me suis senti en terrain connu. Les mythes fondateurs, par exemple, dont on ne parle jamais assez et qui permettent à un peuple de rêver l’avenir, de tendre de toutes ses forces vers l’épanouissement de la nation dans sa langue, ses croyances, avec ceux et celles qui se joignent au périple en cours de route. 

Gérard Bouchard prend la peine et le temps de montrer les bienfaits et l’importance de la Révolution tranquille que certains aiment écorcher. Le dénigrement fait partie de nos caractéristiques, malheureusement. 

 

«Selon les mêmes auteurs, les années 1960-1970 auraient aussi coïncidé avec des changements culturels d’un autre ordre. Je fais ici référence à une “immoralité” sans précédent dans notre société, axée sur le rejet des mœurs traditionnelles, la répudiation des interdits sexuels, le matérialisme, l’individualisme égoïste, narcissique, la quête effrénée de plaisirs, soit l’ensemble des traits que François Ricard a résumés dans le concept de lyrisme. Or, on a tort de voir là un héritage néfaste de la Révolution tranquille. Des études internationales solides (celles de Ronald Inglehart, notamment) ont bien démontré qu’on avait affaire à un vaste courant qui a déferlé à l’échelle de l’Occident, prenait sa source bien au-delà du Québec.» (p.93)

 

Ce vent de libération a touché tous les pays occidentaux et n’était pas un caprice d’une génération que l’on a stigmatisée trop souvent, celle des baby-boomers.

J’ai bien aimé aussi qu’il mentionne le pessimisme de certains penseurs qui ont dénigré le Québec et noirci ses efforts et ses manières d’être. Je signale Jean Larose avec L’amour du pauvre. Que dire de Gilles Marcotte qui se demandait si le Québec avait une littérature après avoir passé sa vie à parler des livres et des écrivains d’ici

La liste pourrait s’allonger.

 

LA LANGUE

 

Gérard Bouchard ne pouvait éviter la question du français dans ce Québec incertain. Une préoccupation apparue à la Conquête et qui a marqué toutes les luttes des élus et du clergé qui voulaient assurer la survie d’un peuple distinct et francophone, échapper à l’assimilation qu’ont connue ceux et celles qui ont migré aux États-Unis pour des raisons économiques. 

Une langue souvent malmenée dans les médias, particulièrement à la radio et à la télévision de nos jours, et qui perd sa place prédominante dans la chanson populaire où l’anglais est de plus en plus prépondérant. Un français totalement inaudible dans un galop qui entraîne nombre de chroniqueurs et d’animateurs. 

Après le joual, le galop peut-être. 

Un débit où aucun mot n’est saisissable dans cette logorrhée. Est-ce que la pensée peut habiter le vertige et la bousculade? Est-ce que les paroles sont encore importantes quand on marmonne et que le texte d’une mélodie devient un simple accompagnement sonore?

L’accueil des arrivants au Québec est un autre des enjeux qui ébranle des certitudes et des convictions. Comment faire face aux marées migratoires que la crise climatique ne peut qu’accentuer, que les guerres se multiplient et semblent inévitables? Le manque de main-d’œuvre aussi qui fait converger chez nous des milliers de travailleurs saisonniers. Des problématiques qui préoccupent et mobilisent bien des énergies. On le comprend, il en va de la survie d’un Québec francophone et distinct. 

Gérard Bouchard affirmait dans Le Devoir du 1er février 2025 que le peuple québécois avait perdu le goût de rêver. Cet espoir qui a mené à la Révolution tranquille et au désir de faire un vrai pays du Québec selon les normes de l’ONU. Sans le songe, il n’y a plus de nation : mais que des consommateurs. 

Peut-être aussi que la dictature du «je» avec les réseaux sociaux n’est pas étrangère à cette perte de volonté collective de constituer une société francophone en terre d’Amérique. 

 

HISTOIRE

 

Il y a aussi cette obsession de remanier l’histoire pour n’en montrer que les excès et les dérapages, tout comme on donne une place prépondérante à des marginaux en inventant un langage qui fait sourciller. 

Je vous conseille de lire Où sont les femmes de Sophie Durocher pour frémir devant des documents gouvernementaux où l’on parle de la femme en la désignant comme «une personne avec un trou avant». 

Gérard Bouchard termine son périple en racontant des souvenirs de sa jeunesse et de son enfance. 

C’est savoureux. 

Sa manière d’aller vers les autres quand il quittait le Saguenay sur le pouce pour une fin de semaine, avant l’apparition du week-end, pour découvrir certains lieux de Montréal et de New York et des humains accueillants, curieux surtout. 

Un florilège de textes sur ce qu’est le Québec et ce qu’il peut devenir ou pas, les problèmes qu’il a vécus et surmontés, tout comme les défis qui se présentent à lui pour continuer à aspirer à être une nation différente en cette terre d’Amérique. Une population toujours menacée de n’être qu’une simple mention au bas d’une page d’histoire.

François Legault, un grand lecteur, semble-t-il, doit se pencher sur ce livre et le méditer. Ça lui permettrait peut-être de moins improviser et d’avoir plus de cohérence dans ses actions quand il est question du Québec et de son avenir. Il pourrait ainsi faire un «troisième lien» avec le passé pour mieux s’aventurer dans le futur.

 

BOUCHARD GÉRARD : Visions du Québec, Éditions Somme Toute-Le Devoir, Montréal, 276 pages. 

 

 

mercredi 31 mai 2023

LE GRAND OEUVRE DE GÉRARD BOUCHARD

GÉRARD BOUCHARD signe un livre impressionnant, peut-être le plus important de sa longue et prolifique carrière. Il l’a répété en entrevue et je ne peux le contredire après la lecture de cette réflexion portant sur l’enseignement de l’histoire au Québec. Plus de 390 pages serrées qui vous happent, vous font mieux voir ce Québec, «ce pays qui n’est toujours pas un pays» (la formule est de Victor-Lévy Beaulieu). Le titre indique bien la démarche de l’essayiste dans ce document qui devrait marquer un tournant, du moins je l’espère. Pour l’histoire nationale avec comme complément : Valeurs, nation, mythes fondateurs. Plusieurs de ces termes sont devenus suspects et nombre de figures publiques hésitent avant de les utiliser. Le mot «nation», par exemple, que l’on prononce du bout des lèvres ici et là dans les interventions officielles. La réflexion de Gérard Bouchard tente de montrer les turbulences qui secouent le pays, le vécu, les notions de population, la langue commune et la place des minorités dans notre communauté. «Le fil directeur de ce livre tient dans la crise qui menace actuellement les fondements symboliques de nos sociétés, où les principaux vecteurs traditionnels de transmission culturelle (Églises, école, littérature, médias, famille et autres) sont affaiblis ou en difficulté, sinon en retrait.» Voilà une lecture qui m’a entraîné dans les remous du passé et les soubresauts du présent. 

 

Le Québec, tout comme la plupart des pays occidentaux, vit un effondrement des valeurs. Des certitudes de naguère sont remises en question et le récit de l’histoire nationale est l’objet de débats et de controverses. Certains vocables sont devenus tabous pour des raisons plus ou moins obscures. « Nation », par exemple, est prononcé du bout des lèvres par certains qui hésitent à utiliser ce terme pour désigner les habitants du Québec. Un mot, un autre, voué aux hégémonies. 

Une liste plutôt inquiétante qui ne cesse de s’allonger. À croire que, désormais, il y a les bons mots et les mauvais. L’appellation «nègre», il faut la signaler. Une enseignante, Verushka Lieutenant-Duval a été suspendu à l’Université d’Ottawa pour avoir cité le titre de l’essai de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique. Elle a été dénoncée par une étudiante et la direction a réagi de cette façon étonnante. 

Régulièrement, certains censeurs font des procès à des écrits que l’on corrige et adapte aux normes du jour. Les romans d’Agatha Christie sont l’objet de ce révisionnisme. Plusieurs livres sont carrément interdits. Nous sommes allés jusqu’à détruire des ouvrages dans les commissions scolaires de l’Ontario. Des publications aussi sulfureuses que Tintin et Astérix ont fini sous les dents de la déchiqueteuse. Ce n’est pas sans évoquer des périodes plutôt tristes de notre passé récent. La censure qui envoyait certains titres dans «l’enfer» du temps de mes études semble reprendre vie au Québec comme partout ailleurs dans le monde. Un phénomène qui rappelle de très mauvais souvenirs à ceux qui gardent en mémoire la montée du nazisme en Allemagne. Près de nous, le 31 mars 2019, des prêtres catholiques de la ville de Koszalin, en Pologne, brûlaient en public des livres de la saga Harry Potter qu’ils jugeaient sacrilèges. Et oui.

 

BANNISSEMENT

 

Dans la même veine, des personnages que l’on croyait des modèles sont déboulonnés. Claude Jutras, par exemple, a été banni du monde culturel et du cinéma québécois. Son nom que l’on avait accolé à des prix a disparu, comme certaines figures sous le régime de Mao qui s’effaçaient mystérieusement. 

Régulièrement, dans les médias, on fait un procès à des «héros» du passé et des monuments sont pris à partie par des manifestants. Signalons que la statue de John A, Macdonald a été décapitée à Montréal lors d’un rassemblement en 2020. 

Il y a aussi, depuis un certain temps, la «dictature» des minorités qui secoue nos sociétés. Il suffit de s’attarder à la publicité télévisuelle pour prendre conscience de cette mutation. Les Québécois blancs, hommes et femmes, y sont de moins en moins visibles. Comme s’ils avaient disparu de cette communauté ou qu’ils avaient migré sur une autre planète. Sans compter les orientations sexuelles qui s’imposent et s'affirment dans une langue étrange et singulière. Ce sont là les symptômes et des changement de valeurs qui secouent toutes les sociétés, de revendications et de comportements qui se font souvent sans réflexions et sous une impulsivité qui fait beaucoup plus de mal que le problème ou la situation que l’on veut corriger. 

 

«… notre siècle a perdu le sens de l’histoire qui triomphait depuis le XIXe siècle jusqu’au milieu du siècle suivant. Avec la “fin des grands récits”, le passé n’est plus un donné à transmettre à la façon d’un précieux héritage patrimonial. Il est devenu friable, objet de doutes, de critiques et de révisions, et parfois même de honte.» (p.9)

 

Ça me fait un pincement au cœur que de lire de tels propos. Surtout pour quelqu’un de ma génération qui a vécu la Révolution tranquille pendant son adolescence, vu la libération des femmes et la recherche d’égalité qui a bouleversé ma vie et des manières de faire. Une quête de liberté et d’affirmation personnelle avec une démarche collective qui s’est incarnée dans le Parti québécois qui a pris le pouvoir en 1976 et nous a menés à deux référendums sur la souveraineté.

 

DÉMARCHE

 

Pour étayer ses constats et ses dires, Gérard Bouchard se livre à une entreprise colossale que peu de gens ont osée. Pour saisir la pensée présente, il faut certainement visiter le passé de toutes les populations qui vivent dans les frontières connues du Québec. Une sorte de crochet de gauche ou d’uppercut à lord Durham qui proclamait, en 1839, que nous étions «un peuple sans littérature et sans histoire». Un regard dans le rétroviseur devient nécessaire pour comprendre ce qui agite notre société et le pourquoi de certaines revendications qui mobilisent des groupes bien différents. 

Monsieur Bouchard entreprend d’examiner un corpus de 103 livres d’histoire nationale qui ont été rédigés à des moments particuliers et qui ont servi à enseigner ou raconter le parcours des francophones au Québec entre 1804 et 2018. 

 

«En résumé, l’analyse sera restreinte aux mythes associés à l’époque française pionnière et à la façon dont ils ont été ultérieurement définis et redéfinis par les élites, et ce, jusque dans les manuels récents.» (p.134)

 

Tout s’amorce avec le début de la présence française en terre du Canada ou du Québec. L’arrivée de Jacques Cartier, les contacts avec les Autochtones, les agissements des conquérants qui s’emparent de tous les espaces au nom du roi de France. Bien sûr, les auteurs mettent en évidence les intentions mystiques et Dieu dans le vécu des nouveaux venus au Canada, même si dans le concret, l’Amérique dans l’esprit de la France était une colonie qui devait servir les intérêts de la métropole, apporter la richesse. La traite des fourrures représente peut-être le mieux cette vision avec les coureurs des bois qui étaient toujours en quête de nouveaux territoires de trappe et d’occasions d’affaires avec les Premières Nations. 

Les manuels de cette époque font beaucoup de place aux gens d’Église et aux idéalistes comme Maisonneuve et Jeanne-Mance. Pour les rédacteurs de ces manuels (surtout des religieux), l’empire français devait devenir un modèle de probité et d’intégrité. La population idéale s’incarnait dans les paysans qui louangeaient Dieu et obéissaient aux directives des prêtres. C’est du moins ce que j’ai appris dans mon Histoire du Canada de Paul-Émile Farley et Gustave Lamarche, deux clercs de Saint-Viateur. Une vision qui a perduré jusque dans les années 1960. Elle fut sérieusement questionnée alors par le fameux rapport Parent publié en 1966. Il s’agissait d’une véritable mutation de la pensée et on assistait à une laïcisation du passé. Pour la première fois, le mot «nation» passait dans l’ombre dans le document des réformistes. 

 

«Marquant une rupture radicale avec la tradition, il mit fin à la formule du récit lyrique, à la vocation patriotique et religieuse des manuels (tout en laissant la porte ouverte aux actes héroïques), et il introduisit des finalités comme l’objectivité, l’esprit critique, l’éducation à la citoyenneté (sans en faire une priorité), l’autonomie de l’élève (thème relancé par A. Lefebvre, 1973), l’intégration à la société, la promotion de la démocratie et du pluralisme (auquel tout un chapitre était consacré), l’ouverture au monde et la justice sociale, tout spécialement la dénonciation du racisme et de toute forme de discrimination.» (p.54)

 

Une description nouvelle des Autochtones s’impose et ils passeront de barbares (ce qui était le cas dans mon manuel) à des êtres de haute civilisation. 

 

CONTRADICTION

 

Étrange de constater comment, à partir du rapport Parent, les manuels d’histoire s’éloignent du présent et de la société en ébullition. Presque tous ignorent les luttes des femmes pour l’égalité, la reconnaissance de leurs droits et surtout le libre-choix de la maternité. Tout comme on parlera très peu des revendications syndicales qui ont changé le Québec contemporain.

L’idée de faire du Québec un pays tient pourtant le haut du pavé avec l’élection du gouvernement de René Lévesque et les deux référendums qui marqueront l’apogée de sa démarche. Étrangement, les différentes réformes tiennent peu compte de cette réalité dans les nouveaux modèles qu’ils proposent aux étudiants. 

Le maître devient plus discret et l’élève doit découvrir des faits et des éléments qui font en sorte qu’il puisse constituer sa propre histoire. Il me semble que cette approche est un peu singulière et qu’elle a donné des résultats plutôt désastreux dans l’enseignement du français où l’on a favorisé, à partir des années 70, l’expression, la parole au lieu de l’écrit et l'étude des textes. 

Gérard Bouchard signale des curiosités pour ne pas dire des aberrations dans ces projets de réforme et dans les manuels qu’il passe sous la loupe. La notion de nation disparaît, je l’ai déjà mentionné. Peut-être en réaction avec ce que ce mot signifiait pendant la Grande noirceur et le règne de Duplessis, surtout avec les excès vécus en Allemagne et en Italie. Des rédacteurs vont jusqu’à ignorer la déportation des Acadiens, la révolte des Patriotes de 1837. Même qu’ils gardent sous silence la tenue des deux référendums sur l’indépendance du Québec. 

 

CONSTATS

 

Après cette étude fouillée, Gérard Bouchard propose une approche pédagogique et concrète qui s’appuie sur les faits et les événements vécus par tous ceux et celles qui constituent la nation québécoise passée et présente. Ce récit doit signaler les décisions qui ont marqué le parcours de cette société qui s’est formée sur les rives du Saint-Laurent, doit aussi tenir compte des premiers occupants, des différentes nations autochtones qui peuplaient le territoire, des liens, des contacts, des échanges et des conséquences de cette invasion et de l’installation des Européens qui imposent leurs façons de faire et de voir. 

Il y a également les migrants venus d’Europe, la plupart du temps, et que l’on a occultés dans le récit historique. Chacun doit y trouver sa place dans une narration inclusive où le cheminement de chaque minorité enrichit le grand collectif et montre les caractéristiques des habitants du Québec. On s’est toujours peu attardé à décrire l’apport des Italiens, des Irlandais, des Polonais, des Africains, des Portugais, des Haïtiens et autres arrivants. Tous ont eu une importance considérable dans la culture et le vécu des Québécois. Gérard Bouchard tient compte de tous ces éléments et caractéristiques de ce peuplement qui constitue la «population» du Québec de maintenant. 

Monsieur Bouchard démontre très bien dans son survol que l’histoire reste fragile à certaines idéologies. L’omniprésence de l’église à partir de 1800 jusqu’en 1960 a profondément marqué le récit. Les clercs ignoraient les combats des femmes et leurs luttes, louangeaient leurs fonctions biologiques nationalisées d’une certaine façon dans ce que l’on a nommé «La revanche des berceaux»

 

«On en vient à la conclusion que les programmes officiels reproduisent mal les grands enjeux de la société. On en vient même à soupçonner qu’ils tentent parfois de les éviter autant que possible, en particulier les sujets susceptibles de heurter les sensibilités et de diviser — ceux-là justement qui demanderaient à être traités en priorité.» (p.208)

 

La chronique du passé qui tend vers une certaine objectivité ne peut être la somme de faits, sans explications ou commentaires, sous prétexte de neutralité. Le terme le dit. Nous parlons du parcours, de l’évolution et de la vie de femmes et d’hommes sur un territoire donné, des idées et des aventures de certains individus qui se sont démarqués et ont eu une influence considérable dans leur milieu. Le texte doit englober tous ces éléments, raconter ces aventures avec le plus de distance possible, sans devenir un manifeste qui promeut une idéologie comme l’a fait Léandre Bergeron dans son Petit manuel d’histoire du Québec où il militait pour l’indépendance. 

Alors, comment la présenter cette fameuse histoire?

Bien sûr, elle doit faire place au récit, à une trame qui permet de comprendre le vécu, les gestes et les décisions de ceux et celles qui nous ont précédés pour arriver à mieux éclairer le présent. Tenir compte des grandes valeurs que la société défend dans ses chartes des droits et libertés. Les principes d’égalité des hommes et des femmes, la liberté de pensée et de croyance. Relater simplement la vie des ancêtres avec leurs dérives, leurs défauts, leurs qualités, leur entêtement et leurs exploits. Peut-on ignorer le rôle du clergé dans l’aventure du Québec sous prétexte de devenir laïque? Le mot le dit, un traité d’histoire doit épouser le parcours d’une société avec ses composantes et ses caractéristiques, s’appuyer sur les récits des différents peuplements du territoire et raconter leurs liens, leurs oppositions, leurs ententes et la couleur qu’ils donnent au présent.

Après tout, ce manuel est souvent le premier livre que les étudiants vont lire, méditer pour comprendre qui ils sont dans leur milieu immédiat. L’ouvrage doit être attrayant, captivant, capable de susciter l’adhésion de tous et signaler des figures qui peuvent inspirer et servir de modèle. La narration historique, peu importe l’approche, relate toujours les gestes et la vie d’hommes et de femmes qui se partagent un espace, forment une société et utilisent une langue commune pour communiquer et vivre en harmonie le plus possible.

 

BOUCHARD GÉRARD, Pour l’histoire nationale, Valeurs, nation, mythes fondateurs, Éditions du Boréal, Montréal, 395 pages. 

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/pour-histoire-nationale-3987.html

dimanche 9 décembre 2012

Gérard Bouchard pense le Québec de demain


La Commission Bouchard-Taylor a été critiquée. Plusieurs lui reprochaient de faire trop de place aux immigrants et de négliger les francophones. Pas étonnant que Gérard Bouchard, dans «L’interculturalisme, un point de vue québécois», réfute ces affirmations et tente de démontrer que la singularité de la Belle province est mieux protégée par une politique d’ouverture.

Le sociologue et historien se penche dans son essai sur ce qui fait la spécificité du Québec dans le Canada et l’Amérique du Nord. Cette province, qui n’arrive pas à devenir un pays, se démarque par la langue française, sa culture, son histoire, mais aussi par sa manière d’accueillir les immigrants et de vivre ce phénomène planétaire dans la réalité de tous les jours.
Le Canada, depuis Pierre Elliot Trudeau, vit le multiculturalisme. Les individus sont le cœur de cette société qui ne favorise, en théorie, aucune culture en particulier.
«Cette vision du pays a toutefois été mise à mal par l’introduction du multiculturalisme (à l’initiative du premier ministre Trudeau), qui niait le statut du Québec comme communauté politique et faisait désormais des Francophones québécois un simple groupe ethnique parmi plusieurs autres à l’échelle canadienne. En ce sens, le multiculturalisme a eu pour effet d’affaiblir le Québec et, pour cette raison, il a toujours fait l’objet d’une vive opposition au sein de la population francophone.» (p.93)

Au Québec

Au Québec, l’interculturalisme caractérise notre façon de vivre et d’être. Une culture prépondérante, une langue et une manière d’accueillir et de vivre avec les immigrants.
«L’idée de l’interculturalisme est née du rejet du multiculturalisme et de la volonté d’élaborer un modèle plus conforme aux besoins de la société québécoise, notamment la nécessité de mieux protéger les caractéristiques du Québec francophone.» (p.94)
En fait, le Québec, selon lui, n’a guère le choix. Majoritaires sur son territoire, les francophones sont une minorité au Canada et encore plus en Amérique du Nord. Une nation qui, pour survivre, doit protéger sa langue, sa culture, accueillir les immigrants et faire en sorte qu’ils se sentent chez eux tout autant que les Québécois.

Définition

L’Interculturalisme dans une société se démarque par son ouverture aux nouveaux arrivants tout en fixant les règles. Pour le Québec, la langue française doit être protégée et promue. Une question de survie on le comprendra.
Cela ne veut pas dire que les nouveaux venus n’ont qu’à s’assimiler le plus rapidement possible. Les exemples de ce genre d’approche qui fait fi des différences et impose des manières de vivre, une religion souvent, une langue et des coutumes, sont connus dans le monde. Le Québec, au cours des siècles, a combattu cette volonté assimilatrice que les Anglophones prônaient.
Placer la langue française au cœur des activités du Québec, mais aussi faire preuve d’ouverture en accueillant de nouveaux citoyens et en les accommodant. Voilà l’approche de Gérard Bouchard.

Ouverture

Parce que, selon le sociologue, l’ouverture et les accommodements réussissent mieux à intégrer les nouveaux citoyens. Tout cela dans le respect des lois et la tolérance. Une forme de pacte où les arrivants s’engagent à respecter le fait français, les coutumes. Les Québécois consentent pour leur part à les accueillir dans une société ouverte, permissive et dynamique.

Gérard Bouchard s’attarde enfin à certains cas dans la dernière partie de son ouvrage. La prière par exemple dans les lieux publics. Comment ne pas s’y attarder? Une société, selon lui, doit être laïque et faire en sorte qu’aucune religion ne soit privilégiée et n’indispose un citoyen. Si on ne peut qu’être d’accord sur les grands principes, les divergences viennent des cas particuliers.
La permission accordée à une femme voilée de voter, l’interdiction de dresser des sapins de Noël devant les édifices fédéraux sont des initiatives d’individus qui n’avaient pas leur raison d’être.
Les signes religieux sont à bannir dans la plupart des cas. Gérard Bouchard surprend pourtant quand il accepte le port du voile pour une enseignante.
Le sociologue mise avant tout sur le dialogue et la compréhension pour esquisser l’avenir du Québec.
Les immigrants sont là et aucune société moderne n’est à l’abri de ce phénomène qui va prendre de l’ampleur avec les années. Gérard Bouchard prend plaisir à défaire certains mythes. Le clivage des régions et Montréal par exemple. Une réflexion nécessaire et un cheminement fort important.
«L’interculturalisme, un point de vue québécois» de Gérard Bouchard est paru aux Éditions du Boréal.