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jeudi 9 mai 2019

L’IMMORTALITÉ AVEC ARCHAMBAULT


LE PASSÉ PREND BEAUCOUP de place avec l’âge et l’avenir devient un terrain vague où on s’aventure avec crainte, une route étroite et peu fréquentée. Je n’en suis pas encore là, mais je sais que je suis déjà sur ce chemin en perdant des amis et des illusions. Heureusement, Monsieur Archambault continue à nous offrir ses textes, des propos qui me touchent et me secouent très souvent. Presque des leçons, ou du moins, il s’en défendrait j’en suis certain, des occasions de « souffler par le nez » comme répétait mon père. Le voici avec un nouveau titre au nom évocateur : Tu écouteras ta mémoire, une phrase empruntée au romancier François Nourissier.

 J’ai arrêté de compter les publications de Monsieur Archambault depuis fort longtemps. Les chiffres ne révèlent rien de la vie d’un insatiable coureur de mots. Ici, dans une centaine de courts textes qui ne dépassent que rarement une page, il s’attarde à des sujets familiers, des préoccupations et des questionnements qui viennent hanter son quotidien. Celui qui fréquente les mots ne peut faire que ça : revenir sur ses pas, se pencher sur ses traces pour voir s’il n’a pas oublié quelque chose, s’il n’est pas passé un peu trop rapidement la dernière fois. Vivre est un dur métier et travailler la phrase une tâche exigeante ! Comment faire le tour de son monde ? Et la mort que l’on n’ose appeler par son nom et qui se pointe le nez de plus en plus fréquemment. L’amour aussi, cette embellie dans un été tellement désiré qui adoucit les déceptions et se perd dans les couleurs du couchant. Les amitiés, les rencontres avec des proches, des anciennes flammes, des météorites qui ont illuminé un moment  avant de s’éloigner. Tout ce que l’on néglige souvent dans la frénésie, quand l’ambition nous fait courir du matin au soir. Arrive un âge où tout cela n’a plus d’importance. Le corps pèse de toute sa pesanteur. La vie s’apaise et arrête de s’affoler pour les grandes et petites questions qui secouent l’humanité.


Tu as pauvre allure ce matin, encore quelques heures et elle sera terminée, ton aventure. De la peine que je ressens, je ne saurais rien dire. Mais qui me tiendra compagnie, maintenant ? Ceux qui me proposeraient d’aller jusqu’au bout du monde n’auraient pour moi rien de bien convaincant. De toute manière, je les entendrais à peine. (p.16)

On savoure le ton, le phrasé pour employer un terme de jazz. C’est comme la musique pour piano de Claude Debussy que je reconnais dès les premières notes. La fragilité de ce compositeur et sa puissance aussi m’émeut chaque fois. Nous avons des rythmes et Monsieur Archambault possède les siens, avec Lester Young qu’il aime particulièrement.
J’ai appris à me méfier un peu de ces propos qui semblent toujours anodins et un peu décantés. Ce faux apitoiement, cette manière de prendre du recul pour mieux cerner ce qui le tracasse dans une journée trop longue ou trop courte.

CHEMINS

L’écriture est un exercice singulier qui permet de corriger certains événements, de les modifier pour retoucher sa propre histoire. La mémoire préfère les chemins de traverse et cherche souvent à nous étourdir. On finit toujours par croire ses petits mensonges. Un écrivain est un maître dans l’art de secouer la poussière, de retourner ses souvenirs et de reconstituer le tout sans jamais suivre le plan original. Nous sommes des inventeurs de passé et des bricoleurs de vie, d’une façon ou d’une autre.
C’est ce que j’aime avec Monsieur Archambault qui va maintenant un peu dans toutes les directions et ouvre des tiroirs. Il en a le droit depuis le temps qu’il courtise les mots et qu’il polit des phrases. Surtout qu’il est passé de l’action, de la précipitation à la réflexion ou à une certaine forme de méditation. Je l’imagine comme un jardinier au milieu de ses fleurs, qui donne juste assez de soin pour qu’elles s’épanouissent et s’offrent dans leur beauté. C’est ce que je fais quand je m’arrête devant mon bonsaï. Nous nous connaissons depuis une trentaine d’années. Je l’ai si souvent étudié que je crois le voir parfaitement dans ses ramifications, ses forces et ses élans. Pourtant, il ne cesse de me surprendre, d’attirer mon attention sur une petite ramure, une feuille, une direction qu’il semble vouloir explorer. Vous avez compris. C’est l’arbre miniature qui dicte mes gestes.
Monsieur Archambault agit un peu comme ça maintenant, se laisse guider par sa mémoire, bien sûr, mais aussi par les mots et les phrases qui lui apportent des réflexions, des constats, des impressions, des moments où l’on effleure un état de conscience peut-être.

TEMPS

Prendre le dernier tournant, c’est hériter de la solitude, de jours trop lents, de nuits agitées, de matins hésitants, de distractions et de petites douleurs physiques que l’on dissimule aux autres. On devient cachottier avec le temps.

J’ai un caractère pour le moins variable, je ne tiens plus aux deux ou trois idées qui ont longtemps guidé ma vie, je passe mes jours à rêvasser, je râle, je me désintéresse petit à petit des livres que j’ai aimés, je ne sais même pas parler de la mort qui m’attend. Pourtant, s’il fallait que mon ami se décommande ce soir, je serais au désespoir. (p.19)

Je l’ai déjà écrit. J’aime cet écrivain que je fréquente depuis si longtemps. Je suis du genre fidèle dans mes amours livresques. Il ne m’arrive pas souvent de délaisser quelqu’un que j’ai rencontré au hasard de mes explorations.
Monsieur Archambault en est aux miniatures, aux petits pas. Le voyageur et animateur de radio est devenu un promeneur bien sage. Il emprunte un même trottoir, s’arrête devant une idée qui le suit depuis des jours, des gestes futiles et sans importance qui rendent la vie précieuse et unique.
Combien de fois j’ai flâné dans son carnet En toute reconnaissance ? Des citations qui ont retenu son regard au cours des années. L’impression de faire ce parcours avec lui, comme si sans l’affirmer vraiment, Monsieur Archambault nous faisait faire le tour de son univers intellectuel. Tout doucement, sur la pointe des pieds. Quand on prend la peine d’extraire un bout de phrase d’un roman ou d’un récit, c’est que cet auteur devient comme son double. Il formule certainement ce que vous auriez souhaité écrire. C’est un échange, un don, une appropriation même si ce mot n’a pas bonne haleine actuellement.

TÉMOIGNAGE

Et là encore dans Tu écouteras ta mémoire, il effleure à sa manière des questions qui ont épuisé de grands penseurs au cours des siècles. La vie, la mort, l’amour, la perte de l’amitié, tous les sujets les plus importants dans l’existence d’un homme et d’une femme. Monsieur Archambault s’approche en ayant l’air de ne pas y toucher. C’est ce que j’appelle du doigté, une habileté que j’admire, une sensibilité unique. Oui, je l’avoue, j’envie un écrivain de la trempe de Monsieur Archambault.

Le jour de ma mort, on pourra dire ce qu’on voudra. J’aurai eu un parcours de vie d’une banalité confondante, j’aurai publié des livres à peu près oubliés. J’imagine facilement que, comme maintenant, on parlera plutôt des tragédies horribles qui ne manquent jamais de se produire un peu partout dans le monde. Alors, mes livres, ce que j’ai pu être, mes grands et petits mystères, ça compte autant que ma dernière paire de chaussures, celle que j’ai remise hier au concierge avant mon entrée à l’hôpital. (p.83)

Il sait que nous avons la mémoire oublieuse. Nous sommes d’une époque de l’ici et du maintenant. Bien sûr, le regard d’un écrivain qui a fait de sa vie une quête, une recherche en s’appuyant sur les mots ne fascine pas ceux qui se sont fait greffer « un téléphone intelligent » dans la main.
Et je me dis, Monsieur Archambault, il y a quelque part un individu comme moi qui continue de vous fréquenter, qui se penche souvent sur vos livres. Ils sont là à ma droite de ma table de travail, juste en haut de l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu qui en impose par son extravagance. Tout un rayon dans la section des A, juste à côté de Noël Audet et de Margaret Atwood. Vous occupez un espace important dans ma bibliothèque. Monsieur Archambault, il vous reste au moins un lecteur et pour cela, vous atteignez une forme d’immortalité. Pas besoin de siéger à l’Académie française pour prétendre à ce titre.


TU ÉCOUTERAS TA MÉMOIRE de GILLES ARCHAMBAULT vient de paraître aux ÉDITIONS DU BORÉAL, 2019, 137 pages, 18,95 $.


https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gilles-archambault-148.html