HÉLÈNE VACHON propose une douzaine de nouvelles chez Alto. Dans Le complexe de Salomon, l’écrivaine passe de la tragédie au rire, de cette belle « légèreté de l’être », pour évoquer monsieur Kundera, au drame. Cette écrivaine donne un souffle singulier à la nouvelle, à l’art du texte court, au formidable pouvoir de l’humour. Un sourire, un temps de réflexion, une situation un peu étrange montrent les travers des humains qui adorent se compliquer la vie, vivre toutes les émotions imaginables.
J’ai toujours du mal à rédiger une chronique quand je referme un livre que j’ai particulièrement aimé. Les mots m’échappent on dirait et je dois résister à la tentation de bondir partout comme un chien fou qui se laisse emporter par les odeurs et les bonheurs de l’errance. Mon plaisir de lecture m’aveugle peut-être, m’empêche de mettre la main sur les expressions qui conviennent au travail de l’écrivain qui a su si bien me remuer. Comme si je n’arrivais qu’à balbutier en voulant cerner les nouvelles d’Hélène Vachon. Le complexe de Salomon m’a fait m’agiter tel un colibri qui va d’une fleur à l’autre, s'éloigne et revient dans la frénésie du bourdon qui mesure les lilas. Et certaines phrases résonnent comme des invitations à la contemplation et la réflexion.
Nous sommes les enfants du silence. Nous n’attendons pas de la vie qu’elle nous donne tout. (p.33)
Ou encore un propos vous titille, vous laisse muet, incapable d’ajouter quoi que ce soit.
Les grandes tragédies commencent presque toutes par une question anodine. Il vaut mieux les tuer dans l’œuf, les tragédies comme les questions. (p.65)
La sensation de m’asseoir devant un coucher de soleil qui prend toutes les parcelles de l’horizon et s’éclate dans un dégât de couleurs aveuglantes. Oui, la beauté, la justesse peut causer une cécité temporaire et ce n’est pas du tout douloureux.
RHÉTORIQUE
Ce titre à connotation biblique coiffe l’avant-dernière nouvelle où Salomon, un avocat, se met dans tous ses états pour tirer les choses au clair. Malgré sa rhétorique de plaideur, il ne parvient qu’à embrouiller tout le monde. Comme quoi les discours et les raisonnements ne viennent jamais à bout des problèmes les plus simples, surtout quand on s’enferme dans une logique qui nous pousse inexorablement vers l’absurde. L’homme fait son spectacle, effarouche les témoins qui se demandent s’ils ont un fou ou un type dangereux devant eux.
Que d’émotions dans ce recueil trop bref ! Parce que j’aurais aimé faire un bout de chemin avec madame Vachon qui m’a touché profondément dans une ultime nouvelle tout à fait remarquable. Désenchantement est un cri, un arrêt sur l’exil, la vie en se rapprochant des derniers moments de Stefan Zweig, l’auteur autrichien bien connu pour ses romans et ses pièces de théâtre. Ayant dû fuir le nazisme en Autriche, il met fin à ses jours au Brésil qui l’a accueilli. Une densité rare, des phrases qui résonnent tels des gongs. J’ai parcouru ce texte à plusieurs reprises, examinant les mots dans toutes leurs rondeurs.
Le devoir de l’intellectuel est de parler à travers son œuvre, l’écrivain est libre, il a le droit de rester en marge, de s’extraire d’un monde qui ne le satisfait pas, de perdre de vue tout ce qui n’est pas son œuvre parce que là, et là seulement, est son salut. (p.96)
Étourdissant, puissant et dérangeant. De quoi méditer en ce temps de pandémie où il faut se renouveler, paraît-il, faire autrement. En tournant peut-être le dos à l’œuvre pour se perdre dans les méandres de l’informatique et s’enivrer des prouesses de ces appareils dits intelligents ?
PERCUTANT
Tout dérange dans Le complexe de Salomon qui passe du sourire aux larmes presque. Que dire à Alyssia, la fille effacée devant son époux qui se perd dans les méandres du cerveau ? D’autant plus que sa mère en mène large et prend tout l’espace autour d’elle. L’épouse esseulée entreprend d’attirer l’œil de son chercheur de mari en recourant à la chirurgie esthétique. Une tragédie qui touche les femmes qui veulent transformer leur corps pour correspondre à un idéal. Une réflexion originale sur les caractères culturels que l’on ne peut s’approprier sans provoquer des effets pervers.
Heureusement, Hélène Vachon sait ménager son lecteur et m’a permis de reprendre mon souffle avec des nouvelles qui se révèlent quand même troublantes quand on gratte le vernis. Ce texte par exemple où un jeune de dix-sept ans doit faire euthanasier son chien. Si son compagnon est rendu à bout de forces, lui n’en est qu’au début de son aventure. Le temps se mesure bien différemment chez les êtres vivants. Et les animaux sentent peut-être quand ils doivent quitter, que la vie leur a donné tout ce qu’elle avait à offrir. Les humains sont-ils les seuls à croire qu’ils peuvent continuer au-delà de toute espérance et ne jamais céder leur place ?
Le chien lève sa grosse tête, ses yeux imprécis se posent sur le garçon immobile. Pousse la porte, allez ! Jérémie tressaille, je ne peux pas, dit-il. Mais oui, tu peux. Le chien s’assoit devant la porte et attend, il attendra le temps qu’il faut. (p.62)
Que dire de l’entrevue avec un vieil écrivain sourd comme une pierre ? L’émission dérape et devient loufoque, tragique, montre encore une fois que le factice ne donne jamais de bons résultats. Il suffit de si peu pour que tout se détraque et bascule dans l’absurdité.
REGARD
Hélène Vachon aime ses semblables, même si elle a un don pour déceler leurs travers et leurs qualités. J’ai ri en suivant cet auteur qui cherche à se défaire de ses romans invendus et n’y arrive jamais malgré des prouesses d’imagination et des tentatives qui se retournent toutes contre lui.
Curieusement, au lieu de se désoler, au lieu de penser même la vermine ne veut pas de mes livres, l’écrivain se dit mes livres sont ininflammables, insubmersibles et imputrescibles. Il en déduisit, avec un embryon de joie au cœur et toujours aussi peu de logique, qu’ils traverseraient les ans. (p.43)
J’aime ces phrases sculptées qui tombent comme des aphorismes que l’on ne peut changer et que l’on répète en baissant la tête.
… le pays perdu ne se rattrape jamais, toute ressemblance est un leurre, surtout quand ce qu’on a perdu a les dimensions d’un continent. (p.94)
Souvent, Hélène Vachon m’a laissé songeur devant un énoncé qui vient vous ébranler dans ce que vous êtes et pouvez être. Ça touche le cœur et l’âme. J’aime quand les nouvelles s’éloignent de l’anecdotique pour effleurer le souffle qui rend vivant et fait prendre conscience du monde et de ses pièges.
Un recueil tout à fait remarquable.
VACHON HÉLÈNE, Le complexe de Salomon, Éditions ALTO, 104 pages, 18,95 $.