Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Voyer Marie-Hélène. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Voyer Marie-Hélène. Afficher tous les messages

jeudi 27 janvier 2022

CE PAYS QUE NOUS NE CESSONS DE SACCAGER

MARIE-HÉLÈNE VOYER nous administre un véritable électrochoc avec L’habitude des ruines. J’ai eu l’impression de me retrouver le nez collé à la fenêtre, de voir enfin ce que nous faisons de notre environnement et de notre patrimoine. Voilà une réflexion percutante sur notre propension à se défaire des bâtiments anciens, à détruire des quartiers pour faire neuf, allant même jusqu’à raser des villages. Que dire de la laideur de nos centres commerciaux qui pullulent partout? Tout cela au nom du progrès, de la modernité, des affaires et de l’économie. J’ai vu disparaître les plus beaux édifices de Chicoutimi. Je signale l’église de Fatima, à Jonquière, un bijou des architectes Léonce Desgagné et Paul-Marie Côté qu’un entrepreneur a laissé se détériorer avant de la démolir. Un véritable crime. Il a fallu l’intervention d’Harold Bouchard pour sauver les magnifiques vitraux conçus par Jean-Guy Barbeau. Ces phénomènes se multiplient et Marie-Hélène Voyer met le doigt sur ce fléau dans son essai. Le Québec perd ses monuments historiques, se défigure et s’appauvrit. Que dire de cette soif du clinquant et du béton


 

Les médias nous alertent régulièrement. Jean-François Nadeau du Devoir en a fait une spécialité. Il sonne les cloches pour nous informer qu’un autre joyau du patrimoine va passer sous le pic des démolisseurs. Souvent, les entrepreneurs ou les responsables du saccage, tentent de dorer la pilule en jurant que la façade sera protégée et intégrée à la nouvelle construction. 

L’écrivaine embrasse large et c’est tout l’environnement du Québec qu’elle scrute. L’espace agricole que l’on tue en traçant des boulevards ou en ouvrant des quartiers où l’on érige de faux châteaux pour étaler sa richesse clinquante. Des ruisseaux que l’on fait disparaître, des rivières et des marais que l’on assèche pour faire place au béton. Que dire des arbres que l’on rase partout dans nos villes? Des rues splendides comme celle que j’ai longtemps habitée à Jonquière. Mous avions acheté une maison blanche à cause des érables qui bordaient la rue Sainte-Gertrude jusqu’au pied du mont Jacob. Peu à peu, les nouveaux venus ont coupé ces majestueux centenaires et transformé notre quartier en désert. Un voisin immédiat a abattu son érable magnifique sous prétexte qu’il faisait trop de feuilles à l’automne. Il faudrait avoir le droit d’amener ces gens en justice pour crime contre la nature. 

 

En matière de paysage et de patrimoine bâti, on confond souvent cette banalité apparente avec un manque d’importance ou de transcendance. La vie ordinaire se campe pourtant le plus souvent dans des lieux de rien, loin de toute monumentalité. Nos maisons banales sont plus riches qu’elles n’y paraissent, car elles témoignent de l’assemblage complexe de nos unions et de nos ruptures, de nos espoirs et de nos déceptions. C’est toute la syntaxe de nos vies, tantôt noueuse, tantôt hachurée, qui s’y dessine. (p.28)

 

Marie-Hélène Voyer remet en question notre rapport avec le pays, le fleuve, les cours d’eau, la forêt, l’histoire et notre passé que l’on biffe peu à peu. Les autoroutes balafrent le paysage quand elles ne viennent pas défigurer des villes comme Québec et Montréal. La vie des gens de tout un quartier devient un enfer. Je pense au secteur que l’on a détruit à Montréal pour faire place à la tour de Radio-Canada que l’on a abandonnée récemment.

 

DÉSASTRE

 

Tellement de lieux que l’on souille, ravage et abandonne avant de recommencer ailleurs. 

 

La ville devient cette femme un peu hagarde qui erre, comme une dinde, à la recherche de sa dignité et de sa mémoire perdue. Paysage de façades : scénographie de la feintise et de l’inauthentique qui dissimule une ville à la syntaxe rendue illisible, étouffée par la densification, la rentabilisation, le consumérisme et la démesure. Une ville dont les apparences ploient et s’effritent, plombées par les tours toujours plus hautes de condos toujours plus chers. (p.88)

 

Il y a aussi des zones, il faut s’en souvenir, où l’on a déporté la population (Forillon restera un œil au beurre noir de notre histoire) pour accueillir les touristes ou des villages que l’on a rasés parce qu’ils n’étaient plus lucratifs. Nous basculons dans la science-fiction. Il y a même certains «visionnaires» qui ont proposé de fermer des régions, il n’y a pas si longtemps. Pas rentable la Gaspésie, les îles de la Madeleine ou le Lac-Saint-Jean.

J’adore quand madame Voyer fait appel aux écrivains qui se sont préoccupés de certains lieux, de leurs paysages et des cours d’eau. Jacques Ferron vient souvent témoigner, Pierre Nepveu, Arthur Buies. Elle aurait pu ajouter Yves Beauchemin qui a milité pour sauver le patrimoine bâti de Longueuil et de bien d’autres comme Victor-Lévy Beaulieu, Louise Desjardins et Jacques Poulin. 

 

MODERNISME

 

Nous sacrifions tout au toc, au faux modernisme, à l’appétit des nantis qui souhaitent des bulles au centre-ville et abandonnons tout à des entrepreneurs spécialisés dans la laideur. C’est notre identité que nous immolons peu à peu. 

Même nos bibliothèques personnelles, avec les livres que nous accumulons depuis l’enfance, n’intéressent personne. Il faut les démanteler et les expédier souvent dans des pays lointains qui veulent développer la lecture avec de vraies livres. Ça me bouleverse. Que faire des œuvres qui ont fait ma vie? Je devrai faire comme mes parents qui ont vendu leurs vieux meubles à des brocanteurs. On connaît l’histoire des Américains qui ont raflé une grande partie de nos antiquités pour une bouchée de pain. C’est peut-être pourquoi nous adorons tant aller, quand arrivent janvier et la belle neige, nous installer dans un camping d’une laideur recherchée, au bord d’une plage de Floride. 

Voilà un regard lucide, intelligent que L’amour des ruines de Marie-Hélène Voyer qui en révèle beaucoup sur notre rapport au pays, au paysage, à nos villes et villages, à notre façon de respirer et d’agir dans une province qui se modernise, dit-on, en devenant amnésique et numérique. J’ai eu des frissons en lisant cet essai que l’on devrait imposer dans les écoles. C’est notre histoire, notre identité que l’on saccage avec ces nouvelles constructions sans âme qui poussent partout et finissent par faire des enclaves aseptisées. Bien plus, c’est l’amour du beau, de la vie, l’avenir que l’on piétine en laissant tout aller. Et nous regardons, les bras croisés, ce désastre organisé et planifié.

L’essai de Marie-Hélène Voyer pourrait devenir une longue énumération qui aurait de quoi décourager le plus optimiste des Pangloss de notre époque, mais c'est tout le contraire. Véritable coup de poing, que cette réflexion de madame Voyer. Ça peut expliquer pourquoi nous sommes incapables de construire un pays. Parce que pour arriver à cet aboutissement, il faut de l’amour, un respect du paysage et des villages, des maisons et des édifices. 

 

VOYER MARIE-HÉLÈNEL’habitude des ruines, LUX ÉDITEUR, Montréal, 214 pages, 24,95 $.


https://luxediteur.com/catalogue/lhabitude-des-ruines/

vendredi 11 janvier 2019

MARIE-HÉLÈNE VOYER SECOUE


ÉCRIRE DE LA POÉSIE de nos jours et publier est pratiquement un geste héroïque. Les tirages sont minces et les lecteurs se comptent sur les doigts d’une main. De plus, la lecture de poèmes a ses exigences et bouscule toujours un peu. Souvent, j’ai l’impression de m’égarer et je dois m’accrocher aux mots pour les sentir dans leur largeur et toute leur longueur. Ce fut le cas dès le premier poème d’Expo Habitat. (Quel titre étrange pour un recueil de poésie.) Marie-Hélène Voyer m’a happé avec sa volonté de nommer les choses pour les faire exister. Un souffle qui m’a poussé dans mon enfance, sur la ferme familiale où j’ai appris le monde et les humains. Ce n’est pas fréquent dans une exploration poétique. Madame Voyer se livre à une sorte de danse qui secoue la terrible aventure de la vie.

Un texte tout simple, un peu naïf même, une sorte de comptine pour la jeune fille qui apprend à respirer et à voir l’envers et l’endroit du monde.

Tombée du fenil
tu te réveilles sur le ciment
sonnée le front léché
par une vache
et tu découvres
quelque chose
comme la tendresse. (p.11)

Nous touchons l’élan sourd qui porte la poésie d’Expo Habitat. Un contact brutal avec la matière qui fait prendre conscience des dimensions de la vie et de l’appartenance à ce grand tout. Ça m’a touché, peut-être parce que j’ai vécu le début de ma vie sur une ferme, au milieu des vaches et des poules, effarouché par les dindons et le taureau qui fonçait sur tout ce qui bouge dans le champ de pacage. Une époque lointaine où j’ouvrais l’œil le matin pour surprendre les champs à perte de vue derrière la grange, les ondulations du trèfle sous les inventions du vent, l’avoine qui blondissait au milieu de l’été. Et je partais dans « les promesses de l’aube » pour aller chercher les vaches qu’il fallait rassembler et diriger vers l’étable pour la traite. Il y avait aussi tant d’oiseaux dans les peupliers qui sentaient si bon au printemps, ces chanteurs qui accrochaient des notes de musique au creux des feuilles et au bord du toit de la grange.
C’était une autre époque, parce que, semble-t-il, la ferme est devenue une usine où les bêtes sont surveillées par ordinateur et la fenêtre d’un téléphone intelligent. Même que certaines bêtes ne connaissent plus le bonheur de déambuler dans les champs, prisonnières de l’étable, condamnées à produire du lait au son d’un quatuor de Beethoven. Oui, la musique classique aide à atteindre les quotas maintenant. Vous avez lu Alessandro Baricco, L’âme de Hegel et les Vaches du Wisconsin ? Vous comprendrez tout après.

SIMPLICITÉ

Voyage dans mon enfance je disais, sur la terre comme nous disions où j’ai inventé toutes les fictions dans les écores de la rivière aux Dorés, sous les aulnes que je prenais pour des baobabs géants, les pentes abruptes derrière le caveau à patates que nous dévalions sur la neige en hurlant de peur et de rire. Les saisons dictaient les travaux et sonnaient l’heure des grandes boucheries d’automne qui se transformaient en véritables fêtes.
Nous avions la responsabilité de tuer les poules quand ma mère décidait qu’une grosse pondeuse serait au menu du soir. L’enfant que j’étais s’exécutait en baissant la tête. J’imagine un parent de nos jours demander à son fils de huit ans d’aller couper la tête du coq un peu trop fanfaron. On appellerait certainement la DPJ. Ces tâches faisaient partie de nos obligations. Il y avait aussi le bois de chauffage que nous devions transporter sur de lourds traîneaux dans la neige même quand la poudrerie effaçait une grande partie de la paroisse. Ce monde a donné naissance à mes écrits.
À huit ans, la vie palpitait dans la cuisine baignée de soleil, avec la mort qui arrivait toujours très tôt le matin. Un agneau, un veau malade ou une vache qui avait agonisé pendant la nuit. Comment oublier ce soir où j’ai dû, avec mon frère, aider une vache à vêler, saisir le veau par les pattes pour le tirer dans le monde ? Je tremblais face à ce mystère.

Tu es seule devant la vache
couchée de douleur
tu regardes son pis
immense de fièvre
et toi tu ne veux pas
d’une poitrine. (p.50)

Je ne sais pourquoi, mais je me suis souvenu des propos du frère Marie-Victorin en lisant Expo Habitat. Le savant disait à peu près ceci : « Pour exister, il faut être capable de nommer les choses. » C’est ce que fait Marie-Hélène Voyer. Elle met le doigt sur tout ce qui l’entoure pour s’ancrer dans les failles du monde et mieux respirer certainement. La poète nous entraîne dans une sorte d’incantation qui crée de grands tourbillons qui m’ont secoué de la tête aux pieds.

Tu étais cette enfant d’affûts et de peurs muettes. Tu étais cette enfant de veilles et d’angoisses, de peurs timides et de rêves mités. Tu étais cette enfant immolée d’ampoules faibles. Chaque nuit, tu inventoriais les désastres à venir sous le portrait souriant du frère André. (p.56)

Je me suis retrouvé à la fenêtre de ma chambre qui donnait sur le chemin de terre, la peur au ventre. Je raconte ces moments d’angoisse dans L’enfant qui ne voulait plus dormir. Les garçons et les filles sont souvent pleins d’effarouchements et de peurs, surtout quand ils grandissent sur une ferme. La nature multiplie les leçons avec la proximité des bêtes, la lutte pour la survie, les maladies, la mort, les travaux et l’obligation de faire face même quand son âme se fait toute frémissante.

ADULTE

L’incantation mute quand l’écrivaine s’avance dans sa vie d’adulte et qu’elle perd pour ainsi dire l’omniprésence de la nature, de l’horizon qui s’ouvre sur le fleuve et le rêve d’un espace « sans cesse médité ».
Quel monde dur et âpre dans Les voyagements où l’auteure a l’impression que le pays a été crucifié sous les enseignes et les affiches de ces commerces qui exposent toute la laideur du monde. Il faut lire L’Oeuvre du grand Lièvre filou de Serge Bouchard pour se buter à cette horreur qui défigure toutes les campagnes québécoises.

Ici plus rien ne vêle
tu as perdu la langue de l’enfance
elle a glissé
hors de toi
comme un veau
mort-né. (p.107)

Pas besoin de beaucoup de mots pour comprendre le désarroi de l’auteure, la douleur qui s’installe et qui fait que les jours sont parfois difficiles à traverser.
La dépossession, la perte de sens, l’absence de contacts ou de fusions avec la nature qui se faisaient rassurantes et, parfois, terriblement inquiétantes.
J’ai frissonné en lisant ce long poème où toutes les forces de madame Voyer se mobilisent pour ne pas accoucher. Saisissant ! Ce texte vous laisse abasourdi et comme épuisé. Toujours la vie qui s’impose avec ses intransigeances.

LES AUTRES

J’ai aimé le recours à la poésie des autres qui coiffe souvent le poème et propose une direction. Le texte de Marie-Hélène Voyer devient une réponse ou un écho qui fait voyager ici et ailleurs.
Belle façon de s’accrocher pour empêcher la dérive, la perte d’être. « Ensemble et tout seul » comme dit Serge Fiori. Habiter, rassurer, respirer dans l’immensité du continent.

Nous ne saurons jamais dire j’habite
mais nous aurons vu nos bouches
aux commissures
des îles et des envolées
organiques
distiller des oiseaux
de suaire
et se dissoudre dans l’écume
laiteuse de nos besognes
si résolument lentes. (p.151)

Une poésie qui m’a forcé à m’arrêter et à regarder tout le gâchis que nous avons fait de nos vies et de notre pays. L’un ne peut aller sans l’autre. La poète tend les mains pour palper cette terre d’Amérique et de désespérances, de rêves hallucinés et de pertes d’identités. C’est rassurant et inquiétant ces poèmes qui deviennent des échos à  ceux de Gaston Miron, Gilbert Langevin, Anne Hébert, Michèle Lalonde et bien d’autres. Ça fait du bien ce lien entre les générations qui ont connu une même angoisse, un même désir d’exister et de se perdre dans le fracas du pays.
Un très beau recueil fait de patience, de tendresse et d’écoute. Des poèmes comme des coups de gongs qui font frémir l’esprit et le corps. Je vais y revenir, ne serait-ce que pour méditer sur ce court texte qui me touche particulièrement.

On vivait dans un monde sans contours et le Nord n’était pour nous qu’une impression blanche. Le Nord avait une splendeur de tache aveugle. (p.137)

« Le Nord devenu une tache aveugle… » Je regarde par la fenêtre et le grand lac devant la maison a été lapé par la poudrerie. Il n’est plus qu’une tache qui mord les yeux. Je respire dans « un monde sans contours. »


EXPO HABITAT, POÉSIE de MARIE-HÉLÈNE VOYER publiée aux Éditions LA PEUPLADE, 2018, 174 pages, 21,95 $.


http://lapeuplade.com/livres/expo-habitat/