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dimanche 1 avril 2007

Un portrait de la société plutôt troublant

Sylvain Trudel, l’auteur de l’incomparable «Le souffle de l’Harmattan», ne cesse de s’attarder à la condition humaine, de  tourner autour de ces jeunes qui sont de plus en plus perdu dans une société qui perd ses balises, transforment les humains en des consommateurs frénétiques.
Le lecteur qui va s’aventurer dans «La mer de la tranquillité» ne sortira guère rassuré sur l’avenir du monde. Dans ces nouvelles dures, aiguisées comme des lames de rasoir, l’écrivain s’attarde aux largués de la société, à ceux et celles qui hantent les rues de Montréal, n’ont pas de lieu pour s’arrêter, se reposer et sourire tout simplement.
Ces itinérants tentent de trouver l’espoir au bout de la ruelle, une manière de se rassurer. Ils hésitent entre l’utopie, le désir de convertir et de changer la société, de se sacrifier pour le meilleur des mondes ou encore ils fixent une tache sombre sur le ciment, près du pont Jacques-Cartier d’où un désespéré s’est jeté. Un garçon qui en plongeant vers la mort, est devenu quelqu’un qu’on regardait, qu’on voyait. Il s’est peut-être senti exister alors.
Un errant, dans un parc, écoute un homme qui a toute sa vie derrière et qui ne trouve plus de raison de continuer. Une nouvelle troublante que celle de «La mer de la tranquillité» qui coiffe l’ensemble du recueil. Comme si l’incertitude, la peur, l’angoisse de vivre se rejoignaient dans la vieillesse et la jeunesse.

Troublant

On ne cesse de le répéter. Les jeunes ont de plus en plus de difficulté à se faire une place dans la société moderne. Sylvain Trudel en est bien conscient et semble croire que ce n’est facile pour personne, même pour ceux et celles qui se sont conformés à toutes les règles. L’époque contemporaine a comme bouché tous les horizons. Il n’y a plus d’élan qui fait croire en demain avec la pollution, le réchauffement de la planète et l’épuisement des ressources.
Ce petit livre pourrait servir d’introduction à bien des discussions dans les collèges, motiver des jeunes à discuter et à tenter de repenser le monde. Ils sont dix millions semblent-ils à le faire dans des ONG, à se parler, à discuter, à inventer des manières de faire du commerce équitable, à croire avec Laure Waridel que mettre un sac de café dans son panier est un geste politique.
Les personnages de Sylvain Trudel n’en sont pas là. Ils cherchent une direction dans la vie, un trottoir où ils peuvent avancer sans se heurter à des murs. C’est peut-être ce qu’il y a de pire : la perte de sens, de croyances, cette douleur de vivre et la hantise de la mort. Parce que se gaver de marchandises fabriquées au plus bas prix en exploitant les enfants, est aussi une forme de mort et de suicide.
Des nouvelles écrites dans une langue superbe. Sylvain Trudel reste incroyablement efficace et pertinent.


«La mer de la tranquillité» de Sylvain Trudel est publié chez Les Allusifs.

jeudi 15 décembre 2005

Quand la passion emporte tout

Voici un livre lumineux de par le sujet, les décors et l’écriture. Pan Bouyoucas nous entraîne dans l’île de Léros, en Grèce. Une religieuse, une vie de réclusion sur une montagne, tout près des racines du ciel. Elle accueille une postulante qui vient la surveiller. Une jeune nonne pleine d’idéalisme et d’intransigeance. Nicoletta, la sœur, a vécu dans le monde et s’intéresse à plein de choses malgré sa vie en marge des hommes et des femmes. Surtout qu’elle s’arrange plutôt bien avec les dogmes et les principes de l’Église. La jeune et la plus âgée s’installent dans la routine, hésitent entre les travaux et la contemplation d’une nature qui subjugue et écrase. Elles vivent au sommet de l’univers, à l’abri des passions et des turpitudes... Ce serait trop facile! Arrive un diacre, un peintre amoureux d’Anna dans une autre vie. Sœur Véroniki en religion s’appelait Anna autrefois. Voilà pour la compréhension.
Un être de feu que ce diacre, de passion, capable de boire toute la nuit et de se précipiter en bas des montagnes par amour. Il peint des icônes qui prendront peu à peu le visage de Nicoletta et d’Anna qui magnétise le regard des hommes.
«Car elle avait un visage racé aux traits si beaux qu’on oubliait, lorsqu’on la regardait, sa robe noire, emblème de sa solitude et de sa chasteté, et on se mettait à deviner le corps modelé en statue qu’elle devait cacher.» (p.17)

Triangle

Les trois côtés du triangle se replient et la passion pousse à la trahison et à l’aveuglement. Amours charnels mais aussi questionnement sur l’art et la peinture, la foi et les croyances. Des êtres broyés par un univers trop grand, un pays qui devient tout aussi important que les personnages. Le côté sombre de la nuit, les peurs, les refoulements se dressent devant la lumière aveuglante du jour, la chaleur qui écrase comme si le ciel devenait une grande main qui aplatit tout.
«Le soleil montait devant lui dans un ciel limpide. L’air sentait le thym, quelques cigales sciaient déjà l’air dans le feuillage des arbres, des insectes bourdonnaient, affamés, autour des fleurs. L’île entière, baignée dans la lumière douce du matin, semblait chanter la joie de vivre et rien ne laissait prévoir la visite agitée qui allait suivre, même s’il était un peu écœuré de devoir refaire une expérience dont il connaissait d’avance les résultats.»  (p.35)
Un roman d’atmosphères, une écriture ciselée et particulièrement maîtrisée. Le lecteur progresse dans ces pages comme s’il bondissait d’un petit tableau à un autre.
«Il lui restait une consolation : des trois personnes que le destin avait amenées à se croiser un jour dans cette forteresse, elle avait reçu le plus grand châtiment.» (p.107)
Pan Bouyoucas a écrit là un roman sans bavure. C’est peu dire. Pourquoi Anna? Il faudra lire.

«Anna pourquoi» de Pan Bouyoucas est paru aux Éditions Les Allusifs.