lundi 18 juin 2012

Stéphane Ledien nous fait redécouvrir notre pays de neige

Le regard de celui qui découvre le Québec est toujours fascinant. Surtout s’il s’agit d’un écrivain qui n’hésite pas à cerner ses émotions et à partager ses découvertes. Il arrive alors à nous faire voir un monde familier que nous ne prenons plus la peine de scruter ou d’admirer. Pascal Millet réussissait cet exploit dans «Québec aller simple», un roman qui tournait autour de Tadoussac.

Le titre des récits de Stéphane Ledien m’a fait un peu sourciller. En fait, il lui vient d’un compatriote qui lui a lancé cette boutade en apprenant qu’il migrait au pays du Québec, au Canada comme disent les Français.
«Le type, d’une bonhommie réellement attachante, simule une crise de froid, se frottant vigoureusement les bras comme un hurluberlu perdu sans anorak sur des pistes de ski de fond. «Bonne chance au pays des pingouins!» me lance-t-il, mi-hilare, mi-compréhensif face à la vague de froid que j’affronterai très bientôt.» (p.14)
Pas de quoi rassurer le plus courageux des aventuriers.

Pays de neige

Notre migrant sans peur et sans reproche débarque à Québec à la fin de l’automne. Ce n’est pas encore l’hiver mais l’automne a fait provision de gris, de nuages, de rafales de vent qui charrie les feuilles en rappelant vaguement que l’été existe. Il s’installe à Québec avec Chérie, la femme qu’il aime. Une bonne raison pour changer de pays.
Les comparaisons sont inévitables entre la France, Paris, la ville de Québec et les Québécois qui, de toutes les manières possibles et imaginables, parlent du temps qu’il fait, qu’il fera, que l’on espère ou que l’on souhaite.
Il doit endosser aussi l’armure du parfait guerrier du froid. Tuque, mitaines, vestes, grosses bottes doublées pour affronter le froid sibérien qui fait son nid sur le cap Diamant.
«Me voilà donc en plein saute-moutons de consommation à la recherche d’une veste canadienne et de chaussures conçues pour ces contrées. Fin de la séquence lèche-vitrines. Au fait: ici, préférez le terme «magasinage», du verbe «magasiner», dérivé autrement plus sympathique et acceptable que le mot shopping.» (p.15)
Et tombent les premiers flocons, cette neige qui met du blanc partout, transforme les rues et le décor. Notre explorateur aime la neige, ne se lasse pas de la regarder tomber sur les toits, dans la rue ou les parcs. La lumière change alors et le pays n’est plus le pays. Il adore la poudreuse qui donne l’illusion que la ville fait peau neuve à chaque nouvelle tempête même si certains automobilistes y laissent leur salut éternel.
Une neige qui maraude dans les rues et calme les frénésies quotidiennes en dressant des barrages un peu partout. Il est surtout fasciné par les camions et les souffleuses qui livrent une guerre sans merci à l’hiver. Un combat qui dure des mois, nous le savons.
L’aventure

Équipé pour faire face à toutes les intempéries, les tempêtes ont beau se succéder. Il chausse ses raquettes et s’aventure sur les Plaines d’Abraham en imaginant qu’il traverse le continent comme nos ancêtres l’ont fait à une époque pas si lointaine. Une randonnée dans la Vallée de la Jacques-Cartier devient une expédition, une fête inoubliable. Découverte aussi du sirop d’érable et de quelques traditions culinaires des Québécois.
Ledien aime la neige je vous dis, même quand elle fait preuve de mauvaise foi, s’enracine et repousse le printemps après avoir concédé une ou deux journées chaudes où les survivants que nous sommes surgissent en plein midi comme des marmottes aveugles. Il aime, même quand le froid s’incruste comme un invité qui a trop bu et qui ne comprend pas que la fête est terminée.
Un texte fin, plein d’humour qui montre les beautés de l’hiver et nos comportements parfois étranges. Une façon aussi de se moquer de soi et des autres avec justesse.
Stéphane Ledien secoue nos habitudes et fait voir ce «nouveau pays» qui est le nôtre. Toujours juste et amusant, j’ai lu ces récits avec le sourire aux lèvres. Belle aventure pour ceux et celles qui trouvent que l’été n’arrive jamais assez tôt ou que l’hiver n’a pas d’allure en s’imposant pendant des mois qui s’étirent indument. Ces courts textes font du bien.

«Un Parisien au pays des pingouins» de Stéphane Ledien est paru chez Lévesque Éditeur.