L’art, on le sait, prend souvent la forme d’une quête. On n’effleure pas les mots, le pinceau ou encore l’argile, sans bousculer l’autre qui se cache en soi. Autrement dit, des désirs et des blessures, que nous dissimulons dans nos contacts quotidiens, surgissent dans nos créations.
Certains thérapeutes passent par les dessins ou l’écriture pour faire découvrir à leurs patients un certain refoulé.
Marité Villeneuve, psychologue de formation et écrivaine, connaît la force des mots et de l’expression artistique. Dans «Des pas sur la page, l’écriture comme chemin», elle s’attardait au rôle de l’écrit dans une démarche de réflexion sur soi.
Dans «Sculpter sa vie», le titre est fort révélateur, Madame Villeneuve entreprend une réflexion à partir de petites sculptures qu’elle a réalisées au cours des années.
«Le jour où je me suis assise devant l’argile, une multitude de femmes ont surgi sous mes doigts. Ces personnages, je les ai appelés les Pleurantes. Non pas « pleureuses » mais « pleurantes », un mot qui pleure et qui chante, un mot qui contient à la fois la détresse et le chant.» (p.13)
Des femmes repliées sur soi, bouche ouverte sur une douleur qui vient du plus profond de l’être.
«J’avais repoussé jusqu’au dernier moment l’angoisse de mon confronter à l’argile. Mais il arriva ce premier matin de la création, ce premier tête-à-tête avec la motte, sans autre consigne que de faire ce que je voulais. Vite, je me raccrochai à cette pensée, ce désir : me créer, d’abord, me créer, ensuite je verrai.» (p.20)
Au cours des ans, il est né une petite famille de cette activité. Et voilà qu’après une décennie, elles s’imposent et demandent la parole d’une certaine manière.
Témoignage
En sculptant, écrivant ou peignant, des mondes surgissent avec force. Peut-être parce qu’ils sont bâillonnés depuis toujours. L’inconscient prend sa revanche alors et donne des œuvres qui étonnent.
«Ainsi sont les Pleurantes. Nées de gestes rassembleurs : sentir, caresser, pétrir, écraser, malaxer, pétrir encore. Issues d’une mouvance intérieure, dans des alternances de silence et de bercement, de violence et de tendresse. Jusqu’à surgissement d’une forme, tirée du néant, du chaos. Nées de là, de ce chaos.» (p.39)
Denise Desautels a emprunté une démarche similaire en écrivant «autour» des installations de Michel Goulet.
«S’il est un mot que le travail dans l’argile m’a appris, c’est celui de consentir. En modelant la terre, on apprend à s’abandonner à ce qui émerge, à accepter l’imprévisible. Non pas se soumettre ni obéir aveuglément, mais sentir avec. En accord avec la terre. Sentir que cette forme, même en dehors de ma volonté propre, m’indique peut-être un chemin. Sentir : savoir de l’intérieur, connaître par les fibres sensibles, reconnaître en soi. Consentir, c’est aussi déposer son fardeau.» (p.113)
Une belle manière de cerner ces pulsions qui poussent vers le geste créateur et libérateur. Une façon de réfléchir à sa vie, à ce qui se cache en soi et qui ne demande qu’à s’exprimer. Parce que toute création est un appel, un cri qui tente de rejoindre l’autre.
Démarche
Un livre d’émotions qui emprunte la démarche de l’aveugle qui cherche sa route. Parce que créer, c’est peut-être apprivoiser ces obstacles (en nous comme hors de nous) qui empêchent de trouver la paix et de bondir dans la plus grande des libertés.
Marité Villeneuve continue ici une réflexion qui cherche à mieux se connaître et à apprivoiser l’humain qui se livre dans la création. Un essai qui nous confronte. Il est difficile de ne pas revenir aux photos des figurines et de réfléchir à ce qu’elles nous disent. Madame Villeneuve devient un guide, une confidente dans cette démarche essentielle qui exige beaucoup de franchise. Parce que les pleurantes bousculent et interpellent. Une lecture qui se retourne vers soi tel un miroir.
«Sculpter sa vie» de Marité Villeneuve est publié aux Éditions Fides.