Les technologies de maintenant permettent de communiquer avec tout le monde, partout, en tout temps, de chercher
de l’information sur des appareils de plus en plus sophistiqués et efficaces. Il
est possible de savoir où vous êtes, ce que vous faites, avec qui vous avez des
contacts à partir de vos communications, de suivre vos moindres déplacements.
J’ai même eu la surprise de voir un drone surgir devant mes fenêtres, il n’y a
pas si longtemps. Un homme s’amusait à filmer, dans la maison, inconscient qu’il
violait ma vie privée. Où situer alors la frontière entre l’espace public et le
privé? La question s’impose avec ces gadgets que nous adoptons avec
enthousiasme et une folle insouciance.
«La
révélation de Stockholm», le nouveau roman de Philippe Porée-Kurrer, nous plonge
dans une réalité que nous connaissons mal. Imaginez un chercheur qui aurait
réussi à créer une intelligence artificielle, un cerveau comme celui des
humains, possédant une puissance décuplée. Un être presque, proche de nous,
éprouvant certains sentiments et des émotions.
«Cette
entité, appelons là ainsi, est partout sur Internet. Elle occupe tout le
réseau. Il doit cependant y avoir, quelque part, un système nerveux central
qu’il s’agit de localiser pour le museler… …C’est du reste assez intéressant si
l’on considère que, sinon cette exception majeure, rien de ce qui est
électronique ou numérisé d’une manière ou d’une autre ne peut leur échapper,
aucune conversation téléphonique, aucun document, aucune décision transmise
d’une façon ou d’une autre, aucune émission radio ou télé, rien!» (p.52)
Cette
formidable intelligence permettra à ceux qui la contrôlent de diriger la
planète. Un nouveau Big Brother d’une efficacité inimaginable. Il manque un
élément aux Chaco, les financiers, pour avoir le champ libre. Ils commencent
par supprimer Magnus Solberg, l’inventeur. Il était devenu dangereux et
inutile. Sa fille Selma a peut être la réponse qui manque. Elle prend la fuite
pour échapper au foyer d’accueil. Une simple fugue devient une aventure passionnante.
Magnus
Solberg a créé un double de cette intelligence. Pour contrer peut-être les
intentions maléfiques. Deux entités de même puissance qui ne savent rien l’une
de l’autre. Ygg au service des forces du mal et Vara du côté du bien. Les deux sphères
d’un cerveau qui se complètent d’une certaine manière, s’attirent et pourraient
se comprendre. L’un plutôt masculin et l’autre féminin. La confrontation du
bien et du mal comme dans les westerns. Ces «êtres» possèdent leurs façons de
communiquer, des langages mathématiques et poétiques qui échappent à
l’entendement humain. À côté de ces «intelligences», l’homme et la femme sont désuets
et d’une autre époque.
Poursuite
Une
course folle s’engage pour retrouver Selma. Elle navigue sur le voilier de la
famille. Un jeu d’enfant de la retracer grâce au GPS. La fille est futée, sait
brouiller les pistes, souhaite aller en Suède, le pays d’origine de son père, rejoindre
une tante qui pourra l’aider à comprendre ce qui est arrivé.
Porée-Kurrer
nous étonne par l’étendue de ses connaissances, la richesse de son imagination,
la puissance de ses évocations et les événements qui se succèdent. Nous
voyageons aux quatre coins de la planète. Dubaï, Mexique, Fécamp en France, le
lieu de naissance de l’écrivain, un village de Colombie-Britannique, Sunne en Islande,
une ville mise en évidence par le formidable écrivain Göran Tunström. Le monde
de maintenant n’a plus de frontières, de centre ou de périphérie. Tout est dans
tout. Tout est partout.
Selma
a entraîné Clovis dans l’aventure, un orphelin en fuite comme elle. Les deux affrontent
les vagues et les vents, les manœuvres de Luzangela et de Leon Chaco, des êtres
sans âme, capables de toutes les férocités pour arriver à leurs fins.
Heureusement, la jeune fille peut compter sur des alliés qui veillent, dont le
double de Ygg, Vara. Ainsi les chances sont plus équilibrées.
Aventure
étonnante
Une
fiction avant-gardiste, une manière de secouer des certitudes et de nous faire
vivre une quête qui ne cesse de surprendre et de dérouter. Surtout, il ouvre une
fenêtre sur une réalité que nous saisissons mal. L’écrivain pose ici les
premiers jalons d’une fresque étonnante par sa pertinence et son ampleur. Le
projet s’étendra sur sept romans. Une fiction solidement documentée et des
personnages humains et attachants. Du Porée-Kurrer à son meilleur, une
formidable aventure, une belle manière de faire réfléchir à ce que nous faisons
et vers quoi nous allons.
Les
gardiens de l’onirisphère, La révélation de Stockholm de Philippe Porée-Kurrer est paru aux Éditions JCL.