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jeudi 29 mai 2008

Louise Dupré dit tout dans un frémissement

Ses romans et ses nouvelles s’apprivoisent dans le recueillement et la méditation, jamais dans la fureur et le bruit. Rarement dans la cohue. Chacune de ses phrases, le lecteur les découvre lentement. Parce qu’il faut être attentif pour saisir les «drames» de ces textes.
Les vingt-six nouvelles de «L’été funambule» vous entraînent vers ces tournants qui changent la vie. Il faut souvent une longue préparation, un grand pan d’existence pour parvenir à effleurer ces noeuds. Des amants se quittent sur la pointe des pieds, dans un «effleurement d’êtres». Leurs amours s’étiolent et la séparation s’avère nécessaire. Et quand la traversée est accomplie, rien ne peut plus être pareil.
«Elle m’avait confié, quelques semaines avant son dernier souffle, que pour guérir il lui aurait fallu changer trop de choses dans sa vie. Comme si mourir la soulageait! J’avais fait des cauchemars la nuit suivante et je m’étais réveillée avec un sentiment indéfinissable, effroi, compassion, désespoir. Se pouvait-il qu’une femme dans la force de l’âge se laisse aller ainsi? Et moi, si je découvrais un jour que je dois changer de vie, est-ce que je m’en montrerais capable, je veux dire, encore capable, après tant de fins et de recommencements?» (p.33)

Monde cruel

Des êtres s’éloignent. Ils se sont aimés. Les affres de l’amour et de la mort laissent des cicatrices. Et il y a toujours ces carrefours qui ramènent ce que l’on croyait effacé. Les souvenirs surgissent avant de prendre des directions étonnantes. Ils finissent toujours par remonter à la surface.
«On vient vous chercher, c’est le moment de fermer le cercueil. Vous vous recueillerez pour le dernier adieu obligé, puis vous glisserez votre bras sous celui de votre mère, vous vous acheminerez vers l’automobile qui vous conduira à l’église. Vous prendrez place dans le premier banc. Vous vous lèverez, vous vous assoirez, vous vous ferez semblant de prier. Peut-être prierez-vous, à votre façon. Vous tenterez de fermer votre enfance, là, devant les fleurs et les nuages d’encens. Mais elle se rouvrira, vous le savez. Et il faudra tout reprendre à zéro.» (p.95)
Louise Dupré, l’auteure de «La memoria», s’attarde à l’amour et la mort sans jamais lever la voix. Ses personnages, surtout des femmes, tournent dans une sorte de méditation, attendant que tout bascule. La vie est faite de vagues qui vont, roulent et gonflent. Elles recommencent, éloignent et ramènent tout. Il faut encore de l’espace pour que tout surgisse, de la patience et de l’attention. Comme si vivre était souvent une très longue attente, la plus exigeante des ascèses.

Présences

Tous les personnages de «L’été funambule» le savent. La vie ne redonne jamais ce qui est perdu. Ils surveillent leurs mots et leurs gestes avant d’échapper à ce qui a été esquissé dans l’enfance ou à l’âge adulte. Une douceur apparente mais aussi une force que rien ne peut juguler. Les personnages s’assument dans leurs hésitations et leurs faiblesses. La marche vers soi se fait à petits pas têtus. Parce que demeurer vivant et vibrant, c’est s’éloigner de ses parents et du monde du souvenir, de l’étouffement du quotidien et des habitudes. Il faut la perte d’un chat, une solitude retrouvée, un drame, un sourire pour que le souvenir s’éclaircisse tout à coup. Et cette terrible conscience de sentir le temps nous emporter dans une ronde qui ne peut s’arrêter, de ne jamais pouvoir chasser le mot fin.
«La gorge serrée, elle se retournera pour lui sourire, une fois encore. Elle ne remarquera pas le masque de la mort, imprimé sur son visage. Elle n’ira pas au musée ni au cinéma, elle passera l’après-midi à errer dans la ville. Devant elle se dessinera peu à peu le visage d’une femme qui, un jour, recevra pour la dernière fois une ancienne étudiante.» (p.147)
L’écriture de Louise Dupré s’impose telle une respiration, la lumière qui imbibe l’eau certains soirs de juillet. Un bonheur qui bouge à peine, comme certaines études de Debussy qui nous plongent dans la plus belle des méditations.

«L’été funambule» de Louise Dupré est publié chez XYZ Éditeur
http://www.editionsxyz.com/auteur/1.html