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vendredi 4 décembre 2020

PERDRE UN ENFANT ET SURVIVRE

VIVRE UN DEUIL EST toujours un drame épouvantable, surtout quand il s’agit de son enfant, d’un bébé qui n’a que quelques semaines. Paul était le premier fils de Typhaine Leclerc. L’avenir s’annonçait plein de promesses pour le couple et ce poupon bien en vie. Pourtant, le malheur est arrivé après vingt-huit jours, comme ça, dans un claquement des doigts. La mère commençait tout juste à s’habituer à ce petit après une naissance difficile et voilà que le pire se produit. Le choc est terrible pour les parents, on le comprend. Comment vivre cet événement impensable? La vie du couple est bouleversée. Madame Leclerc raconte avec une justesse émouvante, dans Le marcassin envolé, la perte de cet enfant qui n’a pas eu droit à l’avenir.

 

Un marcassin est «le petit du sanglier, âgé de moins de six mois, au pelage rayé horizontalement de noir et de blanc qui ne quitte pas sa mère». On comprend ici que l’écrivaine utilise ce terme affectueux pour son fils nouveau-né. 

Ce n’est pas là un sujet que l’on aborde souvent en littérature. Les gens qui vivent un tel drame se taisent habituellement et ravalent en silence sous le regard compatissant des proches qui ne savent comment se comporter et quoi dire. Qui peut trouver les mots pour parler d’une blessure au cœur et à l’âme?

Typhaine Leclerc prend tous les risques et plonge dans ce récit où chaque phrase touche un point sensible. Que devient sa vie après la disparition de son fils? Vingt-huit jours, c’est peu et en même temps, c’est une incroyable présence dans l’existence de la mère. Le petit Paul meurt subitement, comme cela peut arriver chez les bébés, sans qu’il y ait des signes avant-coureurs ou de maladie. L’humain est fragile à la naissance, vulnérable. Mais même en disant cela, on n’explique rien. Madame Leclerc cherche à comprendre et à se faire une vie après la disparition de cet enfant qu’elle chérissait et qui lui a arraché un pan de vie.

 

Je ne sais que faire sans toi, mon petit marcassin. Je sais que c’est dans l’autre sens que les choses devraient aller. C’est moi qui devrais être là pour toi. Je veux croire en ce que je t’ai dit pendant tes dernières heures, tes dernières minutes. Nous serons toujours là pour toi. Tu seras avec nous pour toujours. Je veux m’en tenir à ces paroles, les rendre chaque jour réelles, mais le défi est immense. (p.17)

 

Comment accepter la fatalité qui a ouvert ce gouffre sans fond? Comment vivre, se faire une famille, tout en se souvenant de ce petit qui n’a pas eu la chance de prendre son envol pour découvrir le monde? À quoi servent les gestes du quotidien devant cette absence ou cette présence qui hante l’écrivaine? La vie, surtout en ses débuts, alors que tout n’est qu’une esquisse, est faite pour le futur et non pas pour cet atterrissage brutal. 

 

J’ai survécu. Je survis. Je pleure encore. La plaie me semble parfois aussi à vif qu’à la mort de Paul. À d’autres moments, je sens que la cicatrice a pris. Elle est là, bien présente, elle me tiraille, mais elle ne me fait plus souffrir autant. Elle fait partie de moi, déjà. Elle me constitue, me laisse avancer malgré la blessure. (p.31)

 

Les remords et le terrible sentiment de n’avoir pas été à la hauteur secouent la mère. Tout se confond et madame Leclerc s’impose le devoir de se souvenir. Là aussi, ça pourrait devenir un fardeau. La mémoire est oublieuse dit-on, mais pas pour Typhaine Leclerc. Le petit Paul, le garçon promit à toutes les expériences, reste dans sa vie malgré les bousculades qui ne manquent pas de surgir, même la présence d’un autre fils qui n’est pas venu combler le vide laissé par l’aîné.

 

TSUNAMI

 

La mort s’est longtemps tenue loin de moi. Il y a eu celle de mon père. La maladie de Parkinson ne fait pas de quartier et c’était une fin annoncée depuis quelques années. J’avais vingt-cinq ans, il en avait soixante-cinq. Et après, la famille a été épargnée. Je la pensais devenue invulnérable, pendant une décennie et encore plus. Et ce fut l’hécatombe. Mon frère Paul d’abord, un cancer, et les autres en rafale. Six membres de ma famille en quelques années. Tous frappés. Le cœur qui n’en peut plus après les excès de mes aînés, je peux comprendre. Un accident d’auto aussi. La mort a bien des manières de mettre son nez dans une famille. Et le cancer de ma soeur ? Je devais annoncer à ma mère qu’un membre de la tribu flanchait. Comment dire qu’un autre de ses enfants venait de basculer? Peu importe les mots que l’on trie, ça reste difficile. Je suis devenu «le messager de la mort». Et longtemps après, ce fut ma mère de quatre-vingt-quatorze ans. J’ai pu l’accompagner pendant des nuits à l’hôpital de Roberval, l’écouter me raconter les jeux de son enfance. Elle était redevenue une petite fille sourde aux questions que je n’avais jamais osé lui poser et qui sont demeurées sans réponse. Un moment de vie unique où l’on voit la mort avancer sur la pointe des pieds, le corps de celle qui a toujours été là fléchir à chaque respiration, à chaque battement des paupières.

 

LA VIE APRÈS

 

La fin, quand c’est une personne qui a beaucoup vécu, ça peut s’accepter même si c’est toujours une partie de soi qui s’en va. Voir mourir un proche, c’est perdre un chapitre de sa vie. C’est tout soi qui est secoué dans ses gestes, ses projets, ses décisions, ses rencontres ratées et aussi ses fuites et ses petites lâchetés. Mais un fils de moins d’un mois, encore au quai, avec tous les espoirs et les possibles, c’est une absurdité. Rien ne peut expliquer ce qu’a vécu Typhaine Leclerc. 

Des photos lui rappellent sa présence, certains objets. Pas question de s’en défaire. Surtout, elle doit se débattre avec les remords. Peut-être qu’elle n’a pas su trouver les gestes qui s’imposaient, qu’elle n’a pas été assez attentive au moment où le drame s’est produit. 

 

J’essaie de cheminer là-dedans. Lentement. Mais je ne réussis pas à croire que je n’y suis pour rien. J’essaie d’apprendre à vivre avec ce sentiment de culpabilité. À l’apprivoiser jusqu’à le laisser me quitter, éventuellement. Mais je n’arrive pas à remettre en question son bien-fondé. (p.38)

 

Culpabilité, honte, douleur, l’impression d’avoir peut-être été une mauvaise mère pendant quelques minutes. Tous ces moments qu’elle ressasse dans sa tête et qui ne peuvent être changés.

Elle s’accroche et s’invente des rituels, décore un arbre sur une montagne qui rappelle le petit Paul, devient son lieu de pèlerinage. Les amis sont attentifs et patients, présents et rassurants. Le psychologue aussi, bien sûr. Et les anniversaires restent des plaies qui s’ouvrent sur tout ce qui n’a pas eu la chance d’être vécu. 

 

Demain, tu aurais eu trois ans. Je voudrais te connaître à trois ans. Je voudrais découvrir qui tu serais, qui tu aurais été, qui tu es. Je voudrais t’entendre. Te voir jouer. T’emmener, toi aussi, au bord de la mer. T’apprendre à aimer l’eau bleu-gris, le ciel bas, le vent dans les cheveux, les marais salants, les coquillages trouvés, les rochers, les algues qui éclatent lorsqu’on les presse entre les doigts. Je voudrais partager avec toi une galette des rois au bord de l’eau. Je voudrais tant. Je voudrais tout. (p.103)

 

Et il y a l’après, un Aimé et une Maloue qui bondissent avec leurs cris, des peurs, des questions et des larmes. Toujours l’ombre de Paul cependant, ce grand petit frère si vite éclipsé.

L’écrivaine met des mots sur ce qui échappe habituellement au langage, exprime la douleur qui coche le corps et l’esprit, l’absence qui ne s’explique jamais. Un texte tout en nuance et en retenue malgré la gravité. Une finesse remarquable. 

J’ai souvent arrêté ma lecture, avalant de travers, happé par la justesse de ces propos, retrouvant tout ce qui a été fait avec mes disparus et surtout tout ce qui n’a pas été fait. Un sujet difficile, exprimé avec une délicatesse unique. J’en suis encore remué. 

Et la mort, personne ne s’y habitue, même si elle fait partie de la grande course des vivants. Elle se place sur votre chemin un jour ou l’autre, qu’on le veuille ou pas. Autant tenter de l’amadouer, ce que Typhaine Leclerc réussit de façon magnifique.

 

LECLERC TYPHAINELe marcassin envoléÉDITIONS de LA PLEINE LUNE, 160 pages, 21,95 $.

 

 https://www.pleinelune.qc.ca/titre/530/le-marcassin-envole