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jeudi 21 avril 2016

La grande aventure du vêtement avec Charles Sagalane

JE NE REGARDE PLUS ma garde-robe de la même façon depuis que j’ai lu 73 armoire aux costumes de Charles Sagalane. Le poète m’a fait comprendre que les vêtements ont une histoire, une origine et qu’ils ont marqué plusieurs moments de ma vie. Plus, les habits ont beau couvrir le moi, ils ont aussi un soi. Ce sont des artéfacts qui témoignent de ces instants qui font l’histoire d’une vie humaine. Dans ce cinquième recueil, le poète s’attarde à ses costumes comme il dit, ceux qui l’ont accompagné pendant un temps avant de rendre l’âme ou de finir au fond d’une valise, quand ce n’est pas dans une remise. Aborder le vêtement, c’est toucher l’histoire du monde, les migrations, les explorations et bien des guerres. La grande histoire du vêtement, mais aussi celle de l’individu et de ses proches. Des tenues pour les grandes circonstances ou encore pour le quotidien. Il y a aussi tous les uniformes qui marquent la fonction ou le rang social. Plus, les voyages permettent de découvrir des vêtements peu familiers, des textures et des couleurs qui étonnent.

L’idée peut sembler étrange, mais elle est fort intéressante. Charles Sagalane a décidé de faire un musée du moi, ou du soi qui passe par les costumes qui ont marqué sa vie. Il a même eu l’audace de présenter une exposition à Alma où différents uniformes étaient exposés. Des bottes de marche, un sarong rapporté de l’un de ses périples, des chemises et d’autres vêtements pour aller en forêt ou sous la pluie. Tout cela avec la rigueur qu’on lui connaît, sa façon de présenter le vêtement en s’inspirant des techniques muséales.
Et plus on fouine dans l’armoire de Sagalane, plus on trouve des directions à prendre. En fait, il aurait pu rédiger une véritable encyclopédie du moi. « On est nés nus » chante Damien Robitaille, mais, dès les premiers instants de sa vie, on nous passe des vêtements. Et ces tenues marqueront les grands virages de la vie, les déplacements, les aventures et les moments charnières.
Je pense aux couleurs que l’on assigne aux garçons et aux filles... Et combien de fois j’ai pesté contre les fameuses culottes courtes et les bas longs qui refoulaient même quand nous avions la prétention de nous aventurer vers le monde adulte. C’était notre tenue d’enfant. Personne n’y échappait.
Après, nous avons eu droit au pantalon long, signe que nous étions en bonne voie de devenir des hommes. Il y a eu l’incontournable blazer et le pantalon gris à l’École secondaire de Saint-Félicien. Et comment échapper à la cravate ? Les filles aussi avaient leur uniforme pour le couvent.
Ça fait sourire maintenant, mais dans mon enfance, il était mal vu de voir une fille en pantalon. Je me souviens d’un sermon du curé Gaudiose un dimanche. Il avait vu une fille traverser le village sur sa bicyclette. Une apparition, la rondeur d’un genou peut-être ou le début de la cuisse. La pauvre fille avait dû sentir les feux de l’enfer et du confessionnal. Surtout qu’elle pensait bien faire en portant sa jupe plissée.

PRÉSENTATION

Charles Sagalane a retenu quelques vêtements importants, certains objets comme la machine à coudre qui est indispensable à l’art de l’habillement. Il y a ce magnifique sarong qui faisait partie de son exposition d’Alma, des couleurs chatoyantes et un tissu bon pour les doigts.

J’ai réuni ces pièces d’outre-moi. Dans une boutique de Tawang où on propose aux touristes des drapeaux de prières et des chandelles, j’ai voulu me procurer l’une des robes pourpres et piquantes, d’un seul morceau, qui patientaient en vitrine. « C’est pour les bonzes, monsieur. » Mon insistance a fait qu’on m’a ouvert le présentoir, confié ce cylindre rugueux, montré comment l’enfiler et le nouer aux reins, avant de consentir à me le vendre. (p.39)

Le tout dans un espace limité dans le temps pour ne pas s’égarer. Le chiffre 73 permet au poète de rêver, de fantasmer, mais aussi de circonscrire son travail. Une année, un numéro, une époque, des odeurs et des musiques.
Le dossard 73 de Nadia Comanecci, l’athlète parfaite des Jeux olympiques de Montréal en 1976. Ou encore les habits de personnages de la télévision qui ont séduit l’enfant. Des accoutrements qui donnent une identité, collent à des héros. Sol et Franfreluche par exemple, Spiderman et son uniforme. Certains ont tellement personnalisé leur déguisement qu’il ne viendrait à l’idée de personne de les reprendre. Les habits des ordres religieux, les uniformes militaires. Qui oserait s’afficher avec la tenue d’un soldat nazi maintenant ?

FAMILLE

Des habits personnels, mais aussi ceux de sa famille qu’il évoque, ceux que l’on réservait pour le chalet ou la forêt. Les métiers des adultes sont souvent liés à un uniforme particulier. Le médecin ne s’habille pas comme un éboueur. Et le vêtement dans la littérature, dans certains textes, dans la poésie prend toute son importance. Toutes les avenues s’ouvrent.
J’ai tout de suite pensé aux voiles de Sheherazade ou encore celui qui efface le corps et le visage. On en a fait un enjeu aux dernières élections fédérales. Comment ne pas penser au fameux foulard de Zelda, la compagne de Scott Fitzgerald ? On pourrait s’égarer en fouinant dans les coffres bombés ou les garde-robes oubliées. Combien d’œuvres littéraires nous entraînent dans une penderie, un monde de douceur et d’odeurs, de glissements et de désirs ? Et des moments surgissent, des histoires de famille, d’hommes et de femmes disparus.

La mère de l’extrapetit est catégorique, c’est grand-maman qui t’avait cousu ça. Quand tu partais à Chambord, on te mettait quelques biscuits dedans, avec deux couches et une bouteille de lait. Elle confirme que l’extrapetit ne s’en servait plus en 73. Il y aurait long à dire sur cet objet dont la confection a eu lieu au 173 De Quen. (p.43)


Voilà un recueil un peu étrange qui permet de voyager dans l’univers de ce poète, de savoir où il est allé dans ses exils, de comprendre sa fascination pour les textures, les couleurs et aussi l’immense tendresse qui l’unit à son milieu et aux siens.
Ah ces bottes de mille lieux qui ont porté l’écrivain sur les routes du monde et fait en sorte qu’il mute dans sa façon de voir et de présenter les choses. Il y aurait bien à dire encore sur ces vêtements que l’on passe une seule fois. La robe de mariée et l’habit des noces. Je me souviens des dimanches et de ces vêtements pour la messe. Nous devenions autres dans ces uniformes qui faisaient de nous des enfants graves et sérieux. Des vêtements que nous devions enlever au retour pour ne pas les abîmer dans nos jeux.

y a-t-il du beau sans le vêtement ?
y-a-t-il du beau au premier fil ?
du beau que récolterait l’aiguille ?
Y a-t-il du beau pour qu’on le porte ? (p.125)

Un art qui se perd peut-être avec les usines où tout est formaté et fabriqué par des machines. La conquête du monde par le fameux jeans d’origine américaine est un bel exemple et a marqué toute une jeunesse et un certain esprit de contestation.
Charles Sagalane a dû faire de nombreux choix, parce que comme il l’a dit lors du lancement de l’ouvrage à Saguenay, ce projet aurait pu l’occuper toute la vie. Ce musée du moi reflète une époque, des manières de voir, d’agir, de vivre ses loisirs et d’affronter le quotidien, de rappeler des grands-parents, des oncles et des tantes. Le vêtement est un témoin qui permet de tisser l’histoire.
Et des moments, comme une broderie, un point recherché.

C’est un vêtement ample que déploie le silence. On ne sait si c’est lui qui nous enfile ou si on l’enfile. (p.25)

J’ai beaucoup aimé cet ouvrage. Je ne m’attarde pas souvent à la poésie parce que je trouve que le genre a perdu ses lettres de noblesse. Pourtant, il y eut une époque où j’étais un lecteur impénitent de poésie. Faut pas oublier que je suis entré en littérature avec L’octobre des Indiens, un recueil de poèmes. Maintenant, le texte poétique témoigne d’une émotion. Un éclair et puis un autre. Une pensée disparate et souvent hagarde. Plusieurs oublient que la poésie est une déconstruction de la pensée et du langage qui permet de s’avancer dans une autre dimension.
Charles Sagalane a un regard, une démarche et explore le monde que nous percevons par nos sens, en nous adaptant aux saisons ou en se déguisant de façon obligatoire pour exercer un métier. Il m’a poussé dans des directions et des moments importants de ma vie, des tournants même. Il fait prendre conscience de ces compagnons de route que l’on néglige souvent. L’armoire aux costumes nous pousse dans la vie, celle d’une famille, d’une époque et des moments qui font la grande histoire, celle que l’on veut emprisonner dans de gros livres.

73 armoire aux costumes de CHARLES SAGALANE est paru à LA PEUPLADE, 194 pages, 23,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : Tam-Tam de Pierre Gariépy publié chez XYZ Éditeur.

lundi 18 avril 2016

La vie est une belle fête pour Jacques Boulerice

Une version de cette
chronique est parue dans
Lettres québécoises,
printemps 2016, no 161
J'AIME LES ROMANS qui prennent leur distance avec le réel et les occupations de tous les jours, les textes qui plongent dans l’imaginaire et rendent possible tout ce que l’esprit humain peut concevoir et fantasmer. On dirait cependant que de plus en plus, la notion de vérité s’impose et qu'on a du mal à oublier leur quotidien. J’ai perdu nombre de lecteurs avec Le voyage d’Ulysse parce que j’ai voulu inventer une mémoire réelle et imaginaire à partir de L’odyssée d’Homère, le livre fondateur, la rencontre du merveilleux et de l’humain. Pourtant nous nageons dans la fiction à la télévision en rêvant d’être une Voix ou encore une vedette spontanée. Tous des Virtuoses en claquant des doigts. Pour Jacques Boulerice, la vie est une fête qui ne cesse de nous surprendre et ce jusqu’à la dernière extravagance, la plus flamboyante, celle qui consume le corps et l’esprit.

S’il y a des êtres malfaisants dans les contes et les légendes, et ils sont fort nombreux, il peut y avoir des âmes qui ne veulent que la joie et le plaisir. L’invention des fêtes est la principale occupation de Félibre et de la fée Joufflue, une femme qui ne pense qu’à aimer, qu’à vivre tous les moments de son existence en les goûtant comme des pépites de chocolat. Voici donc les éternels amoureux qui ne cessent de s’inventer des raisons pour s’effleurer et se reconnaître, s’aimer, se draper de grands rires en sachant qu’ils peuvent tout recommencer avec le jour et les poussées de la nuit. Je suis parce que tu es, pourrais-je dire en paraphrasant le grand William.
Mais attention, malgré les grands sourires, les caresses et les baisers, il y a la vie qui fait son chemin, les virages imprévus. Parce que vivre est une tragédie et épuiser tous les plaisirs, répandre le bonheur peut demander une certaine forme de trahison et d’infidélité. Félibre devra apprendre à vivre une liberté qui le bouscule et lui demande beaucoup d'efforts. La fée est insatiable et surtout elle a plusieurs vies en réserve. Il faut se lever de bonne heure comme on dit pour s'accorder à son pas.
J’ai dû abandonner mes repères pour savourer ces courts textes qui se succèdent comme ces dessins d’enfants que l’on colle sur la porte du réfrigérateur. Ils nous offrent un monde que nous connaissons, un regard, une simplicité, une fraîcheur qui touchent toutes les âmes sensibles. Des esquisses, des couleurs étonnantes pour traduire l’espoir, la douleur et le chagrin. Boulerice ne se prive de rien et possède un don pour les trouvailles langagières.

Avec les éclats tombés à leurs pieds, entre des dates et des mots dans le marbre, les amoureux ont ouvert sur place un calendrier de fêtes. C’est un calendrier perpétuel ou le retour de chaque jour offre une image fragile. Grandeur nature, elle demande aux amoureux une attention de tous les instants. Elle leur demande aussi de s’arracher aux beautés éphémères. (p.16)

S’il y a la vie, il y a aussi la mort, les chagrins et la maladie, la perte de soi et de l’autre, celui ou celle qui donne un ancrage à sa vie. Mais tout est plus facile quand on aime une fée qui possède la magie du rire perpétuel et le don de tout transformer en joie. Félibre suit même si on devine qu’il aurait tendance parfois à s’abandonner à une certaine mélancolie, une tristesse qui nous tombe dessus comme une bruine par un matin de juillet. Un état d'âme plus qu’une douleur, une façon d’être qui vous laisse alangui sans avoir l’énergie de secouer le jour. La fée est faite pour le soleil, le ciel bleu et les vents chauds qui emportent les danses et les musiques. Aller vers les autres, les regarder, leur parler et surtout prendre conscience que ce sont eux qui vous donnent la certitude d’exister et d'être heureux.

Il aimait serrer la main des gens, leur tenir le coude, les enlacer ou faire la bise aux plus chers pour s’assurer de leur existence tout autant que de la sienne. Cette façon d’être présent aux vivants palpables rachetait la superbe ignorance que son amoureuse affichait à leur égard, réservant ses salutations et ses tendresses à des êtres qui restaient invisibles. (p.87)

Comment ne pas sourire devant un carrousel à songes ou des boîtes à échos ? Tout est magie, invention avec cette femme-fée si généreuse de son corps. L’impression de m’avancer dans une sorte de bande dessinée où tout peut arriver d’un coup de crayon ou d’un regard. La certitude de prendre le bonheur à pleines mains, à pleine bouche, et ce le plus souvent possible. Parce que la joie est la rencontre de soi et de l’autre. J’aime ce partage, cet équilibre nécessaire entre les êtres pour parvenir peut-être à se faufiler dans une autre dimension.
J’ai souvent pensé à Boris Vian et L’écume des jours où Chloé voit son cancer comme une fleur qui s’épanouit sur son sein. Boulerice nous pousse dans tous les étourdissements et les extravagances. J’aime cette euphorie douce qui retourne les mots, fait surgir des images, des objets impensables, des situations impossibles. Parce que la joie de vivre est peut-être l’invention la plus singulière de l’humain. Ce qui est particulièrement difficile de nos jours avec les violences qui frappent partout et rendent le monde inquiétant. La folie meurtrière est là depuis si longtemps qu’il faut la contrer par la joie d’aimer et le goût du bonheur.
Il faut caresser les mots pour y arriver et surtout fait confiance à leur puissance. Que demander de plus ? Peut-être un regard de la fée Joufflue pour oublier les jours gris, les folies humaines et la mort qui est devenue un sport extrême. Je l’accueillerais volontiers pendant ces semaines où le printemps danse le tango avec l’hiver cette bonne fée. On le sait, les êtres de lumière se moquent des changements climatiques et favorisent le réchauffement de l’être.

L’invention des fêtes de Jacques Boulerice est paru chez Le lézard amoureux, 298 pages, 19,95 $. 

PROCHAINE CHRONIQUE : 73 armoire aux costumes de Charles Sagalane publié chez La Peuplade.