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jeudi 31 octobre 2024

JEAN-SIMON DESROCHERS S'AMUSE BIEN

J’AI PRIS un certain temps avant de me sentir à l’aise dans le nouveau livre de Jean-Simon DesRochers : Le masque miroir. Rémi, le personnage principal, m’a donné du fil à retordre. Cet enseignant en création littéraire à l’université et auteur d’un roman qui a connu un beau succès s'abandonne à toutes les tentations dans sa vie privée. Sans compter les nombreuses aventures amoureuses où il en ressort toujours déçu et plus esseulé. Rémi est un peu revenu de tout et se laisse aller pendant cette année sabbatique où il n’a pas d’horaires à respecter. Il est surtout hanté par une maison de chambres où il a séjourné pendant quelques semaines et qui lui a servi de décors pour sa fiction. La fable et le réel nous emportent dans une spirale qui fait perdre pied et vous plonge dans les fantasmes de l’écrivain qui n’arrive pas à se détacher de son histoire et de ses héros. Attachez vos ceintures. L’imaginaire s’impose pour étourdir le narrateur et bousculer le lecteur de toutes les façons envisageables. 

 

Peu à peu, des personnages envahissent le quotidien de Rémi. Surtout une femme, Anya Moreno, une performeuse qui le prend dans ses filets et s’amuse à le mener par le bout du nez et à lui donner des crocs-en-jambe. Ils ont vécu quelques jours d’une ferveur amoureuse fulgurante qui a laissé des traces chez l’écrivain. Il n’arrive pas à oublier cette femme qui l’a marqué au cœur et au corps. Les deux sont allés au bout de leurs fantasmes et de leurs pulsions lors d’ébats torrides où toutes les frontières ont été abolies. Comme si les deux devaient expérimenter tout ce qu’une vie permet de folie et de passion pendant quelques heures, avant la disparition de la mystérieuse Anya. Rémi Roche, l’alter ego de l’écrivain, n’oublie pas ces moments époustouflants. Cette femme l’a entraîné dans une dimension où il n’était qu’un corps qui répondait à ses pulsions.

 

«Dans ce royaume d’images où la présence d’Anya occupe plus de la moitié des photos, plusieurs constats s’imposent : nos sujets de conversation semblent inépuisables, nos obsessions créatives comme nos intérêts philosophiques se ressemblent tout en se complétant, nous apprécions la même musique, aimons les mêmes films, livres, artistes et œuvres pour des raisons similaires, et nous admettons sans sourciller que le monde ne peut continuer sur sa lancée, même si, somme toute, il est trop tard pour éviter la catastrophe avec ces phénomènes appelés alors mondialisation et réchauffement climatique.» (p.54)

 

L’osmose parfaite, à croire que notre homme se dédouble pour aller au bout de ses fantasmes. 

 

FICTION

 

Plus je progressais dans ma lecture, plus je me sentais cerné par la fiction de Rémi Roche. Les personnages se dédoublent, interviennent et bousculent tout le monde. Ils envahissent son appartement et s’approprient tout l’espace. Une sorte de jeu de miroir où Rémi se décuple dans une galerie aux mille reflets. Même qu’il se retrouve devant lui, en version femme, donnant une belle part à la partie féminine qui se dissimule en chacun de nous. 

 

«À mon réveil, une note m’attend sur le comptoir-lunch, à côté de la lettre de Dominique que je n’ai pas relue depuis des jours. Alice s’excuse d’être partie tôt, évoquant le client impatient de la veille. Force est d’admettre que cette nuit passée dans les bras de ma personne féminine est la plus apaisante que j’ai connue depuis des années.» (p.244)

 

Et si c’était Anya Moreno qui tente par tous les moyens de le déstabiliser? Rémi devient en quelque sorte sa création et il perd le contrôle de sa vie. 

Tout va à la limite quand il participe à une expérience où il se livre à la fameuse intelligence artificielle. IA écrit comme Rémi Roche, peut-être même mieux que lui. Alors, qui est qui dans cette aventure? Et le temps de l’inventivité humaine est-il révolu? Sommes-nous à l’aube de la littérature de la machine?

 

«Un nouveau texte sorti de l’algorithme, une nouvelle de vingt-deux pages intitulée “Le bledou” mettant en scène un personnage nommé Rémi Roche, comme j’en avais eu l’intuition, il y a quelques jours. Ce Rémi fictif découvre après une enquête méthodique qu’il est le personnage d’une fiction. Ce faisant, il rencontre son double inversé, un certain Miré Chero qui a lui aussi compris être le personnage d’un récit et qui sombre dans la panique lorsqu’il rencontre ses personnages sur le plateau de tournage d’une série adaptée d’un de ses romans.» (p.245)

 

Une histoire un peu tordue, un jeu de miroirs où les poupées gigognes se multiplient à l’infini. Comment trouver ses repères quand tout se défait et surtout lorsqu’on ne peut se fier à ce qui nous entoure?

Pendant la lecture de Jean-Simon DesRochers, une question m’a obsédé : que sont le réel et l’imaginaire? Il est vrai que, dans la société présente, à peu près tout se confond sans que l’on sache à quoi nous accrocher. Et avec cette intelligence artificielle (IA), l’identité est remise en question et la pensée humaine, que l’on croyait unique et irremplaçable, se fendille.

 

MIROIR

 

Tout s’inverse dans le miroir et il faut être capable de lire à l’envers et à l’endroit pour décoder les messages et suivre le parcours de Rémi. Nous sommes peut-être avec Alice de l’autre côté de l’image où tout arrive. L’éditeur François Hébert se dédouble. On le retrouve à la fois dans son bureau à travailler sur un texte comme il le fait jour après jour et devant Rémi, dans le restaurant. De quoi perdre la tête. Qui est qui dans Le masque miroir? Ça devient étourdissant pour le lecteur. Déroutant, oui, mais en même temps envoûtant. J’ai aimé suivre DesRochers dans tous les méandres de son roman et plonger dans les trappes qu’il place partout.

Un jeu étonnant et fascinant. 

Jean-Simon DesRochers se plaît à détricoter tous les nœuds de la fiction et nous entraîne dans un monde où tous les repères s’effilochent. Il nous reste alors les mots et les phrases pour demeurer à la surface et ne pas être happé par les profondeurs et la déraison. 

Monsieur DesRochers est un véritable sorcier qui jongle avec des feux d’artifice et nous plonge dans un labyrinthe où le Minotaure vous guette de son œil noir. Rémi Roche, au bout de 336 pages bien serrées de son récit, se penche sur son clavier et écrit : «Est-ce que ça commence ainsi? Oui, il faut que ce soit comme ça. Pourquoi je me sens si bien?» Nous retrouvons l’incipit, le début de l’histoire. Nous voici au départ et au fil d’arrivée. Tout va recommencer peut-être, dans une autre utopie, avec un nouveau visage pour déjouer et bousculer le réel tout en se laissant emporter par les fantasmes et les obsessions. 

L’écriture pour Jean-Simon DesRochers est peut-être un éternel jeu de recommencements et de fausses intrigues qui ne cessent de le déstabiliser. Le masque miroir est une chorégraphie sur la fiction qui se faufile dans une histoire haletante et étrange. Non, jusqu’au recommencement. Et où est le vrai dans notre société quand un mythomane et un menteur compulsif veut redevenir président des États-Unis pendant que les continents sont ravagés par des tornades, des feux ou encore des pluies diluviennes. La planète est en train de chavirer et nos élus parlent de prospérité et de richesses. Nous sommes peut-être dans la plus folle des fictions et nous avons perdu contact avec le réel qui se manifeste de de façon brutale.

 

DESROCHERS JEAN-SIMON : Le masque miroir, Éditions du Boréal, Montréal, 342 pages.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/masque-miroir-4057.html

mercredi 11 janvier 2023

L’APOCALYPSE SELON J.S. DESROCHERS

MÊME SI JE LIS souvent deux ou trois livres par semaine, il m’arrive encore d’être dérouté par un écrivain, par ses propos ou par la forme de son ouvrage. Jean-Simon DesRochers avec Le monde se repliera sur toi m’a un peu désemparé. Oui, l’impression de plonger dans un immense puzzle avec les pièces éparpillées ici et là sans avoir une idée de l’ensemble à reconstituer. Tout cela présenté par segments, comme un journal daté avec la ville où l’action se déroule. J’ai voyagé ainsi du 24 septembre au 25 décembre sans connaître l’année des événements racontés. C’était hier et peut-être demain. Quatre mois à faire des bonds dans l’espace, des escales dans des cités, allant et revenant dans une frénésie qui témoigne certainement du monde contemporain, du moins de celui d’avant la COVID où des individus se déplaçaient constamment pour leur travail. Ces nomades passaient plus de temps dans les avions et les hôtels que dans leur lieu de résidence s’ils en avaient un. Au lecteur de rassembler le tout. Et j’avoue avoir eu du mal à suivre certains personnages qui surgissent, disparaissent et s’imposent au détour d’une page. J’aurais dû avoir la bonne idée de noter les noms par ordre d’apparition dans le récit pour m’y retrouver, dresser aussi une liste des villes pour avoir une carte du territoire visité.

 

Bien sûr, j’ai aimé l’écriture, le rythme surtout qui bouscule constamment. Un solo de guitare qui vient vous secouer et vous pousse plus loin. Et puis hop, on change de lieu et de décors, de personnage. Nous sommes devant les tourments d’un homme ou d’une femme que l’on croisera après un tour du monde ou la traversée de la rue. Certains reviennent et d’autres semblent s’évanouir dans la nuit du récit comme dans tous les romans où il y a des pivots et des figurants. 

«Les mauvais matins de Noémie gardent les relents de la récente crise qui a ébranlé sa vie comme celle des autres sur la planète, une période d’intenses claustrations répétitives où son sens de la discipline parvenait à organiser les siens, son ex-mari et surtout leur fille, enfin, sa fille, dont elle assume désormais l’essentiel de la garde.» (p.11)

Une séparation, un drame personnel dans le grand tout des tragédies mondiales… C’est peut-être là le fil qui relie ces passages, ce qui m’a permis de poursuivre ma lecture, de chercher des liens pour comprendre le projet de DesRochers, m’attarder à la toile qui soutient les fragments. C’est une manie chez moi. Je m’accroche à l’ancrage et la situation sociale que dissimule souvent une histoire qui peut paraître banale. 

Le monde se repliera sur toi, présente la fuite, les couples qui se brisent, un homme qui ne prend pas ses responsabilités avec sa fille, une société perturbée, mutante, toujours en train de se faire et de se défaire malgré les élus qui nous chantent à cœur de jour qu’il faut la stabilité et la continuité. Les partis politiques en font même des programmes. Économie, performance, compétitivité, progrès quand on sait que nous devons imaginer la décroissance, tant du nombre des individus sur la planète que notre consommation effrénée. Allez donc expliquer ça à notre super-ministre Pierre Fitzgibbon.

«Zoé avait sciemment cessé de croire en l’avenir, tant le sien que celui du monde; dérives autoritaires, disparition de la vie privée, existence ou non du deep state et de ses ramifications, accroissement exponentiel des écarts de richesse, extinctions de masse, échec annoncé de l’accord de Paris, crise climatique en mode accéléré, la condamnation à mort de l’humanité avait transformé son vieux rêve de suicide en une réalité nécessaire dépassant sa propre personne.» (p.75)

Comment se donner un élan quand on ne croit plus au futur, que la planète est en rogne et que les tornades frappent avec une violence inouïe; que dire devant les pluies diluviennes qui noient la Californie, les feux de forêt, les sécheresses et les pénuries de plus en plus fréquentes avec les pandémies? La Terre n’est plus fiable et on prévoit la montée des océans, des bouleversements climatiques et la migration de peuples entiers. Les frontières deviennent poreuses et certains pays de l’hémisphère nord doivent se transformer en refuges. 

Tout cela est particulièrement angoissant et on peut décrocher comme Zoé, se dire qu’il n’y a plus d’avenir, que la vie n’en vaut pas la peine. 

 

CONSTANCE

 

Tous les personnages que l’on rencontre dans ce tour du monde en 90 jours ou presque souffrent de solitude chronique, d’un manque de tendresse et d’empathie, de chaleur humaine et d’amour. Personne n’arrive à toucher ses proches qui semblent prisonniers d’une bulle. Tout comme ces individus que l’on croise partout maintenant, ces mutants scotchés à leur téléphone intelligent qui vivent dans une dimension où personne ne peut les atteindre. Tous voulant des contacts pourtant, des paroles, du sexe et une présence sans jamais se présenter devant l’autre. 

Roman terrible où plusieurs personnages ont le goût de la mort plutôt que de la vie. Ils s’abandonnent à l’effroyable tentation de l’acte terroriste où le but est de tuer le plus grand nombre de gens en s’immolant. Tout comme l’envahissement de l’Ukraine démontre que la Russie cherche à frapper la population, à détruire les installations nécessaires et à faire souffrir les Ukrainiens en les privant de tout ce qui est essentiel à la survie. Voilà une guerre d’extermination, il ne faut pas avoir peur des mots. C’est épouvantable d’être témoin de gestes semblables dans un monde que l’on dit civilisé et éduqué. L’impensable, l’inimaginable, la pire fiction s’est incarnée aux États-Unis avec Donald Trump à la présidence. Une régression pour l’humanité. Que comprendre de ce qui se passe au Brésil avec les partisans de Jair Bolsonaro qui refusent le verdict du plus grand nombre de votants?

 

VITESSE

 

Roman étourdissant parce que tout va vite, nous pousse d’un pays à un autre sans jamais s’attarder. Cette vitesse qui est en train de nous tuer et de tout saccager. Et comment retrouver un peu de silence et de sagesse dans cette course sans fin? Comment réfléchir quand un texte s’effiloche après quelques lignes? Pourtant, nous sommes tous liés, de plus en plus, dépendants et responsables. Un geste malheureux au Japon a des conséquences à Montréal et à Paris.

«J’ai rien senti. J’ai compris qu’elle était morte. Ça peut arriver n’importe quand, n’importe où. On le sait, même si on veut pas y penser. Je sais que je devrais me sentir triste ou en colère, mais c’est comme gelé en dedans. J’aimais ma mère. J’ai plein de souvenirs d’elle, beaucoup de photos aussi. Mais quand je les regarde, je comprends que c’est le passé, que c’est loin. Peut-être que je vais ressentir des choses, un jour… Je comprends pas ce qui est arrivé en dedans de moi. Mon père dit que c’est comme si j’étais tombé en safe mode, comme un ordi. J’aimerais ça vous dire que ça m’inquiète ou que ça me fait peur, mais je sens vraiment rien. Désolé d’être aussi bizarre…» (p.95)

Roman fascinant qui joue sur le déséquilibre, pose la question de soi, du monde, de l’avenir de l’aventure humaine qui peut se terminer dans tous les dérèglements et les folies qui frappent la planète. Et je ressasse la citation précédente. Ne rien ressentir, ne rien éprouver devant les désastres qui malmènent les continents et ceux qui nous entourent. Se sentir ailleurs, être sur «pause» comme mon ordinateur quand je m’éloigne pour aller chercher un café. C’est ce qui explique peut-être les rages de certains individus qui prennent d’assaut les parlements pour tout casser ou encore qui pousse un marginal, avec ses armes, à tirer sur la foule et à faire le plus de morts autour de lui. Tout cela pour être vivant, pour dire j’existe… Du moins, je l’imagine. 

Jean-Simon DesRochers vous laisse sur le carreau avec des réponses que nous devons chercher en soi et peut-être aussi en se tournant vers ses proches pour changer des manières de faire devenues obsolètes. Le constat n’est guère rassurant. Un véritable tsunami que ce roman où le monde se replie sur soi pour vous avaler. Comme s’il fallait repartir à la conquête de soi et de cette planète pour croire que l’avenir a encore un peu d’espace, que l’humain a toujours sa place dans cet univers virtuel, d’algorithmes et d’interfaces. Voilà un écrivain percutant et particulièrement de son temps.  

 

DESROCHERS JEAN-SIMONLe monde se repliera sur toi, Éditions du BORÉAL, Montréal, 256 pages.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/monde-repliera-sur-toi-2854.html