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lundi 12 mars 2012

Sergio Kokis nous entraîne vers la Terre promise

Sergio Kokis était hanté par cette histoire depuis son enfance. C’est du moins ce qu’il affirme à la fin de son nouveau roman «Amerika».
«L’histoire de Waldemar Salis et des gens de Lazispils, ces Russes originaires de la Baltique, restera nécessairement fragmentaire. Son résultat est soit un roman, soit une fable, même si beaucoup de ces gens existèrent vraiment et périrent comme ce fut raconté ici. Elle fut écrite parce que l’auteur la gardait dans son esprit depuis l’enfance, et il ne voulait pas qu’elle se perdit lorsqu’il ne serait plus là pour continuer à s’en souvenir, à l’enjoliver, à la transformer avec ses propres fictions au point d’en être réduit à l’imaginer entièrement à partir de simples bribes glanées il y a très longtemps.» (p.268)
Des événements qui nous font remonter au début du siècle dernier. Waldemar Salis, pasteur fils de pasteur itinérant, s’installe à Lazispils, village perdu de Livonie, après ses études. Ce rêveur est hanté par les histoires horribles que son père lui racontait pour l’endormir et les textes de la Bible. Il tente de demeurer optimiste, même s’il croit que la catastrophe est imminente. Il épouse Martha, une adolescente, se met à imaginer qu’il peut guider ses fidèles vers la Terre promise. Il confond rapidement certains passages bibliques avec ses fantasmes, surtout quand il insiste un peu trop auprès d’une bouteille de vodka. Est-il possible de tout recommencer, de trouver le paradis dans ce Nouveau Monde, cette terre d’Amérique d’où personne ne revient? Voilà bien la preuve que tous y trouvent fortune et bonheur. Tout comme personne ne revient de la mort pour informer les vivants.

Périple

Il entraînera une partie des villageois dans la forêt du Brésil où ils doivent tout réinventer. Un combat contre une nature étouffante et des insectes qui rendent fou.
Waldemar discute avec son beau-frère Alexandr Volkine, un instituteur, un réaliste qui penche plutôt du côté des communistes et des anarchistes. La grande révolution russe n’est pas loin. Ce sont des amis, des frères ayant épousé les deux sœurs. La belle-mère Alija exerçant une sorte de droit de cuissage avec ses gendres. Cette séduisante sorcière manigance dans l’ombre et sait profiter de la naïveté du pasteur. Une femme libre que Waldemar aimera plus que Martha sa femme. Il se reprochera souvent de n’avoir pas choisi la mère plutôt que la fille.

Migration

Longue marche d’abord pour atteindre Riga, des jours en train ensuite pour se rendre à Hambourg sous l’œil un peu méprisant des Allemands. Embarquement dans les cales d’un navire d’où ils ne pourront sortir. Une traversée éprouvante à cause de la promiscuité, la saleté et la chaleur. Des liens se nouent et se défont, des colères et des querelles que le pauvre Waldemar aura toutes les misères du monde à apaiser.
Les migrants finissent par débarquer à Sao Paulo, au Brésil, un pays qui n’a rien du paradis.
Le pasteur continue à répéter que tout est possible dans cette forêt où chaleur et moustiques donnent une bonne idée de l’enfer. Une tâche surhumaine les attend. Alexandr repartira vers Sao Paulo pour travailler avec un groupe d’anarchistes, plutôt soulagé que sa jeune épouse le quitte pour un ami d’enfance. Waldemar s’accrochera à son rêve et en paiera le prix.
Ils seront tous fauchés ou presque par la fièvre jaune et mourront en quelques jours. Les survivants oublieront cette histoire au bout de quelques années. Les descendants garderont une vague idée de leur origine et de la langue des parents. Même Ruben, le fils de Waldemar, élevé par sa grand-mère, ne se souviendra guère de son père.
Un rêve grandiose qui tourne à la tragédie, une épopée parmi d’autres en cette terre d’Amérique. Ils furent des millions à imaginer un monde plus égalitaire et plus libre. Kokis évoque un volet de l’aventure du Nouveau-Monde avec bonheur.
Un récit fascinant, des personnages séduisants, particulièrement Waldemar, Alexandr, Alija et quelques autres. Sergio Kokis y est à son meilleur et peint cette fresque avec une belle tendresse. Parfaitement ancré dans une réalité que nous avons malheureusement oubliée, l’odyssée de ces gens mérite d’être connue. Une belle manière de remonter le temps pour se souvenir des origines. Kokis y est juste, direct et souvent émouvant.

«Amerika» de Sergio Kokis est paru chez Lévesque éditeur.