lundi 20 décembre 2004

Stanley Péan ou la vie dans un taxi

Stanley Péan vient de publier une suite de courts récits qui ont la particularité de nous «mener en taxi».
Cet écrivain est un cas. Imaginez! Il n'a jamais éprouvé le besoin de domestiquer l’invention du siècle dernier. Pour la plupart des hommes, c’est une question de virilité et d’affirmation. Peut-être qu’il était trop tourmenté par les choses de l'esprit et la littérature.
«Dans mon cas, cette idée reçue est plutôt incongrue et vous me permettrez d'en expliquer la raison par une confession, à peine concevable en cette ère où la virilité d'un homme semble parfois liée au modèle de son automobile: je n'ai pas de permis de conduire, je n'ai même jamais appris à conduire. Je ne pourrais même pas expliquer pourquoi je ne m'en suis jamais donné la peine. C'est comme ça, tout simplement.» (p.12)

Voyage

«Taximan» regroupe des textes qui vont de l'époque du cégep de Jonquière à sa dernière participation au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l'automne dernier. Plusieurs années quoi!
Des rencontres, des personnages qui vivent au volant et qui hantent les rues, autant à Québec qu'à Montréal. Dans la région aussi il y a des maniaques du volant très particuliers. Parce que Stanley Péan voyage souvent, fait mille choses et se déplace beaucoup. Et avec son handicap, il est toujours dans un taxi à écouter et à discuter. Un livre qui lui a coûté pas mal d’argent, j’imagine!
Les mêmes conducteurs apparaissent et ils finissent par devenir des familiers et des intimes.
«D'où l'idée de ce bouquin, qui s'inspire de propos entendus et d'anecdotes vécues sur la banquette arrière de ces véhicules. Je l'ai conçu comme une suite de petits flashes, un florilège d'esquisses croquées sur le vif, d'amorces de réflexion jamais plus longues que la course en taxi qui les a provoquées.» (p.13)
Bien sûr, entre les arrivées et les départs, le lecteur se familiarise avec des gens qui connaissent la ville comme le fond de leur cendrier. Des courses qui nous plongent, surtout à Montréal, dans la communauté haïtienne.
«Originaire de Port-au-Prince, j'ai passé toute ma jeunesse à Jonquière, où mes parents se sont installés l'année même de ma naissance. Québécois, certes, mais avec des racines dans un pays que j'ai appris à connaître à travers la mémoire d'autrui: Haïtien par le sang, mais élevé dans un milieu radicalement différent de la terre de mes aïeux. Québécois et Haïtien, donc, à la fois l'un et l'autre et pourtant ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre.» (p.23)
Un mélange qui fait de Stanley Péan un étranger pour ces frères qui le traitent de Blanc parfois. Oui! Ils le confondent aussi avec Danny Laferrière.

Surprises

Stanley Péan, dans «Taximan», révèle un écrivain attentif, humain, capable de tendre l'oreille et d'échanger avec des gens qui sillonnent Montréal tout en donnant l’impression de vivre à Haïti, branchés qu’ils sont sur une radio qui diffuse des propos et des musiques de leur pays. Recroquevillés, comme toutes les communautés qui s'installent à l’étranger. Radio nostalgie.
Péan écoute, décrit et se confie, livre de grands pans de son enfance et de sa vie. Il s’en dégage toujours un portrait juste et émouvant. Les surprises ne manquent pas. Un plaisir!
Oui, avec Stanley Péan, l'aventure débute sur un trottoir. Il suffit d’arrêter une voiture pour basculer dans une autre réalité.

«Taximan» de Stanley Péan est publié aux Éditions Mémoire d'encrier.

Gérard Bouchard retrouve des grandes figures

Qu’est-ce qui unit des intellectuels comme Arthur Buies, Edmond de Nevers, Édouard Montpetit, Lionel Groulx et Jean-Charles Harvey? C’est la question que l’on peut se poser à la lecture du dernier ouvrage de Gérard Bouchard.
«Tous ont un même idéal pour leur peuple. Ils évoquent la mission des francophones en Amérique et en même temps ils ont des propos très durs envers les Canadiens français. Lionel Groulx parle de «lâches», de «mous», de «peureux». Les quatre aussi prônent le relèvement de leur société. La Conquête a été une blessure qui a laissé le pays à la dérive. Il faut se relever et s’affirmer», explique Gérard Bouchard en entrevue.
Les cinq affirment ou à peu près que la Constitution de 1867 a en quelque sorte réglé le problème et qu’il ne reste plus qu’à prendre sa place. Jean-Charles Harvey effleure l’idée de la souveraineté mais il se reprend très vite. Tous voient le Québec dans la Confédération et même temps ils voient bien que les francophones sont menacés. «Les solutions sont différentes mais tous se retournent vers l’agriculture ou l’occupation du sol. Tous prônaient l’industrialisation, l’éducation même s’ils refusaient un ministère de l’Éducation. Jean-Charles Harvey a défendu cette idée. C’étaient les valeurs qui ont fait la Révolution tranquille quand on y pense», reprend Gérard Bouchard.
Tous voulaient sortir du carcan de la vallée du Saint-Laurent. «Edmond de Nevers prônait l’union avec les États-Unis et même avec le Mexique. Des états francophones ici et là qui correspondaient plus ou moins à la Nouvelle-France. Arthur Buies flirtait aussi avec l’idée de s’annexer aux Américains. De Nevers a prôné le contraire aussi. S’il y avait eu des décisions de prises, le Québec aurait pu s’affirmer comme il l’a fait à la Révolution tranquille mais beaucoup plus tôt. On peu le présumer», renchérit le chercheur.

Conditions de vie

Gérard Bouchard reste très sensible aux conditions de vie du peuple francophone au début du siècle dernier. La mortalité infantile dans les villes et dans les campagnes. «Une des plus élevée du monde», dit-il. Les conditions sanitaires étaient quasi inexistantes. L’eau, les égouts en ville, c’était primaire. On vivait comme au Moyen Age dans certains quartiers de Montréal. Il y avait aussi l’analphabétisme. On parle de 70 pour cent et plus d’analphabètes alors. Un sacré problème mais on ne voulait pas imposer la scolarité», explique-t-il.
Chose certaine la lecture de cet ouvrage permet de mieux comprendre le Québec d’avant et aussi le Québec de maintenant.
«Après le référendum de 1980, certains éléments de cette pensée équivoque ont refait surface mais pas d’une manière systématique», conclut Gérard Bouchard. Un essai fouillé qui permet de mieux comprendre certains comportements et de voir d’un autre œil certains discours qui reviennent au jour le jour dans les tribunes publiques.

«La pensée impuissante» de Gérard Bouchard est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gerard-bouchard-758.html