SIMON ROY a fait les manchettes récemment avec Ma fin du monde, un ouvrage qu’il présente comme sa dernière publication. L’écrivain souffre d’un cancer incurable au cerveau. La tumeur perturbe le langage, l’outil privilégié de cet enseignant et auteur. Il a rédigé son essai rapidement sous l’effet d’un médicament qui provoque des insomnies. Son passage à Tout le monde en parle a touché bien des gens et son bouquin a trouvé ainsi nombre de lecteurs. Voilà un homme qui signe son ultime livre, il le répète. Mais quelle surprise lui réserve la vie ? Avec lui, on croise les doigts, l’accompagnant vers un rendez-vous que tous souhaiteraient éviter. Brûler ses dernières cartouches et décider de tout arrêter si la douleur devient intolérable. Roy a fait appel à l’aide médicale à mourir même s’il ne sait pas s’il va en arriver là. Un témoignage bouleversant.
Simon Roy me semble un homme courageux, lucide qui tente de vivre les jours qui lui restent avec le sourire. J’étais curieux de lire le fruit de ces nuits d’insomnies, sachant que le temps lui était compté, qu’il s’enfonçait dans un sentier de plus en plus étroit. « … car, comme l’écrit Yvon Rivard dans Le Dernier Chalet, “on ne peut écrire en se disant que le livre qu’on écrit est le dernier […] car on ne peut écrire qu’en faisant inconsciemment le pari qu’écrire retardera et même repoussera indéfiniment la mort, que l’écriture, comme la prière, est une sorte de rétrécissement, semblable à la mort, qui conduit non pas à une autre vie, mais à l’élargissement de celle-ci.” (p.10)
Que peut-on dire quand nous voilà debout et tremblants dans un ultime virage, à un âge où tout peut encore arriver ? Simon Roy nous offre une forme de testament littéraire.
PARCOURS
Je me suis arrêté après quelques pages. Déboussolé. Que me proposait l’écrivain ? Pourquoi parler de la fameuse émission réalisée par Orson Welles, La guerre des mondes, une adaptation radiophonique du roman de H. G. Wells, diffusée le 30 octobre 1938 ? Et pourquoi s’attarder à Stephen King ? Évoquer Les ailes du désir de Wim Wenders, un très beau film que j’ai visionné à quelques reprises, me rassurait un peu. Je m’avançais en terrain connu avec ces anges qui accompagnent des errants dans leurs désespoirs et leurs découragements.
J’ai tout recommencé en pensant que Simon Roy faisait peut-être un détour pour cerner son angoisse, apprivoiser la vie et surtout la mort. « L’œuvre d’épouvante s’attache à cultiver des émotions qui comptent parmi les plus primitives de l’être humain. La peur est multiple. Tout le monde a peur. Pas besoin de monstres ou d’entités surnaturelles pour la provoquer. » (p.19)
Et j’ai compris, page 20, quand il énumère les formes que prend la frayeur. Comment ça marche la peur et pourquoi nous tremblons devant des monstres, des événements inéluctables, sa fin qui approche à grands pas ? Qui n’éprouverait pas d’angoisse en luttant avec un cancer du cerveau ? La tumeur le prive de mots et l’éloigne de l’écriture.
La terreur a donné naissance aux mythes, aux légendes, aux contes pour se rassurer un peu. Les religions aussi. Les dieux se moquent de cette fin inexplicable. Roy s’attarde à Welles et King pour tenter de saisir les mécanismes de la crainte, de la panique qui fait perdre ses moyens. En comprenant peut-être comment ça marche, Simon Roy pourra apprivoiser ses hantises si l’on peut dire.
COMPRENDRE
Chasser la peur devant l’inconnu quand on sent son corps s’échapper. Comment s’empêcher de basculer dans l’irrationnel lorsque tout s’enraye ? Peut-on apprivoiser la mort, la fin de son monde et de sa conscience ? Pourquoi craignons-nous les extraterrestres, comme si tout ce qui peut vivre en dehors de notre petite planète n’attendait que le moment de nous envahir et de nous dominer ?
La bombe atomique, dans les années 50, a fait angoisser des populations. Et, certains souffrent maintenant d’anxiété devant les changements climatiques, surtout des jeunes. Qu’est-ce qui déclenche ces réactions déraisonnables ? « La peur s’accroche, tenace. Une fois qu’elle s’est pointée, impossible de faire comme si elle n’avait pas traversé notre esprit tant elle est vicieuse. La peur contamine tout. Comme une spirale, elle part en vrille en s’éloignant du noyau de la sérénité. La peur dissout dans sa chute les structures sous-jacentes tout comme la confiance la mieux ancrée. » (p.70)
TÉMOINS
Simon Roy tâche d’étourdir ses terreurs et de calmer ses angoisses en s’attardant à certains témoignages. Des femmes et des hommes ont vécu des expériences particulières en échappant à leur réalité pendant de longues minutes. Ils ont flotté hors de soi, voyageant si l’on veut en orbite autour de leurs corps. Ils ont ressenti une forme de sérénité difficile à atteindre lorsqu’on se débat dans le quotidien.
Cette attirance pour la vie après la mort fascine depuis la nuit des temps. L’oncle de Simon détient des pouvoirs, semble-t-il. Il peut arrêter la douleur tout comme l’écoulement du sang quand on se blesse. Un don. Simon Roy aimerait percer son secret. D’où ça vient ? Qui transmet ce pouvoir de guérison ? Y a-t-il une présence, un esprit hors de la dimension des humains auquel certains auraient accès ? Comment cerner son soi, le prendre dans le creux de ses mains pour l’examiner sous toutes ses coutures ? Des preuves pour éloigner la peur et nous raccrocher à une forme de continuité ou de certitude. « Lorsque je parle de mon rapport à la mort avec des amis, chacun écoute attentivement avant d’y aller de son témoignage lié à des phénomènes particuliers. Notre esprit nous a tous, un jour ou l’autre, fait dévier vers des croyances saugrenues, ne serait-ce que pour les rejeter au final après réflexion où le rationnel l’emporte. » (p.76)
La raison refuse de basculer dans le néant, de s’enfoncer dans un trou noir où tout se replie sur soi. « Penser à sa fin prochaine, se demander de loin en loin s’il y a un autre monde après. Pour dire la vérité, j’y songe chaque jour, plusieurs fois.» (p.76) Personne ne souhaite devenir un nom dans un registre ou un tiret entre la date de sa naissance et celle de sa mort sur une pierre tombale.
Comment faire face ? Vivre intensément, oublier le passé et le futur pour se blottir dans le présent, cet instant qui s’écoule. Comment s’ancrer dans une bulle qui libère de tout ?
RENCONTRE
À la toute fin de son ouvrage, Simon Roy se retrouve avec un proche. Ils discutent dans un endroit paisible où la vie prend ses aises. Les deux se livrent. Pas de cachotteries. Ils tentent de cerner l’être, cette étincelle qui allume le corps et permet de respirer, d’être une conscience dans un certain espace. Échanger avec son ami qui reste attentif, présent comme jamais. « J’aimerais juste être fixé sur comment ça va se passer. Est-ce que je vais choker juste avant la piqûre finale ? Je suis assez en paix avec la mort. Avec la mort elle-même. J’suis même curieux de savoir si y a quelque chose de l’autre côté. Sauf la peur de faire une autre crise d’épilepsie, de pus en revenir autrement que comme un fou qui attend de rendre l’âme, de pus savoir parler, communiquer, perdre la raison, quoi ? » (p.115)
Le temps se recroqueville quand ils se regardent dans les yeux et c’est tout ce qui importe. « Dernière balade avec mon ami » touche par sa simplicité et sa profondeur. Je l’ai relu trois fois pour ne rien manquer, pour que tout demeure bien vivant. Et peut-être que la vie doit se mouler à la mort pour recommencer. Mais cela ne rassure pas, bien sûr. Il reste toujours des questions qui dépassent et qui se terminent avec de terribles points d’interrogation.
Bonne route, Simon Roy, respire le plus longtemps possible et continue à écrire pour éloigner tes peurs.
ROY SIMON, Ma fin du monde, Éditions du BORÉAL, 136 pages, 22,95 $.
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/fin-monde-2837.html