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mercredi 11 octobre 2023

LA VIE DANS LA FORÊT AVEC LES OISEAUX

UN ÉCRIVAIN habite un coin des Laurentides et s’éloigne de son refuge, de temps en temps, pour donner des cours et parler de littérature en Estrie. Sa principale activité reste l’entretien de son bout de paradis, les arbres qu’il materne tel un jardin potager. Un travail qui le préoccupe beaucoup avec la lecture et aussi l’écriture par temps perdu. Une vie de solitaire, d’efforts physiques, de contacts intenses avec la nature, son morceau de pays que François Landry soigne, triant les espèces qu’il veut voir s’épanouir et éliminer les variétés qu’il considère comme indésirables. Des corvées qui le passionnent depuis des années. Il nourrit également les oiseaux fort nombreux et observe les agissements des sizerins, des mésanges, des gros becs et de tous ces visiteurs que nous avons la chance de croiser pendant la saison froide. Une occupation qui me fascine et à laquelle je m’abandonne volontiers. Juste pour le plaisir de voir, sur la galerie de mon Pavillon, les durbecs des sapins approcher dans la plus belle des discrétions. Farouches au début de l’hiver, beaucoup moins craintifs fin février, ce sont des seigneurs. Les geais qui sèment la pagaille quand ils surgissent et vident les mangeoires en jetant tout par terres sont de la partie aussi. Ou encore l’écureuil roux qui s’installe et fait le plein sans se soucier des autres, se foutant de tous les volatils qui doivent prendre leur faim en patience. Ça me fait penser à certains individus que j’ai connus. Les sittelles, les chardonnerets qui n’ont pas migré et ont perdu leurs couleurs flamboyantes, les mésanges qui animent tout le groupe. Tous ces moments de contemplation que la vie dans la forêt offre, sans compter les traces que certains visiteurs plus imposants et discrets laissent autour de la maison. Landry a la chance d’avoir des chevreuils qui s’approchent régulièrement. Moi, ils se faufilent derrière la dune avec l’orignal qui y circule de temps en temps.

 

François Landry a décidé d’écrire son journal pendant l’année 2022 et ce sont ses observations, ses réflexions, ses grandes et petites joies, ses épreuves aussi qu’il nous livre dans Le sang des arbres. Une vie toute simple, avec des moments pour s’attarder à un roman quand il trouve un peu d’espace pour la lecture. C’est comme ça que j’ai su qu’il avait parcouru le dernier Geneviève Petersen. 

Je l’ai suivi dans ses pensées pendant quatre saisons qui dictent ses travaux et ses préoccupations. Des heures un peu contemplatives malgré tous les efforts physiques, les tâches, les humeurs de l’heure et les rencontres toujours étonnantes de certaines bêtes. Des contacts avec les voisins, juste ce qu’il faut, des semaines où il regarde les jours raccourcir des deux bouts. Et quand l’hiver s’installe, que l’air devient presque solide et mord la peau pendant les grandes folies de janvier et de février, il ne s’éloigne guère du poêle à bois, tue le temps en noircissant quelques pages. 

 

«J’écris aujourd’hui parce que le froid me claquemure. Ceci n’est pas une œuvre de l’esprit mais, tout au contraire, l’expression même de mon désœuvrement, tandis que s’affaisse le jour et que s’endorment les bourrasques.» (p.10)

 

L’impression de le suivre pas à pas dans ses jongleries et ses lectures. J’ai une vie si semblable avec des retraits dans mon Pavillon où j’accorde du temps aux mots tous les matins ou presque. Avec devant les fenêtres, le monde ailé qui va et vient dans des vagues provoquées par des mouvements et peut-être aussi autre chose. Un souffle dans le bouleau, une ombre, un craquement et tous s’envolent. Ces petites bêtes sont toujours aux aguets, nerveuses, à surveiller et réagir à un danger. 

 


MONDE FAMILIER

 

Je connais bien le monde de François Landry et tous les efforts qu’il faut pour entretenir des arbres qui subissent, tout comme les humains, les humeurs des saisons. Le vent qui casse des branches, certains spécimens plus vulnérables qui s’affaissent lors d’un orage, ou encore élaguer et abattre ceux qui se fendillent à la souche et deviennent dangereux. Une forêt a besoin de soin constant. 

Chez moi, il y a le renard qui fait sa ronde toutes les nuits pour voir si tout est à la bonne place dans son territoire. Quel plaisir de me pencher sur ses empreintes et de les suivre pour tenter de deviner ce qui l’arrête, retient son attention avant de repartir en se laissant guider par son nez! Il y a le lièvre ou encore la perdrix qui est revenue depuis un certain temps et qui est là tôt le matin. Quand la neige sera venue, elle va se livrer à la broderie en approchant de la petite galerie du Pavillon, marquant la cour de traces belles et précises, raffinées je dirais. 

François Landry bougonne un peu, mais il y a des jours où il est parfaitement heureux d’être seulement un regard, un témoin de la vie des mésanges si attachantes qu’il surveille dans la bonne chaleur du poêle à bois. Comment ne pas retenir son souffle devant des dizaines de durbecs des sapins qui surgissent dans leurs habits du dimanche, magnifiques, paisibles et toujours accommodants avec les sizerins et les chardonnerets

 

«Rarement ai-je pu admirer autant d’espèces partageant une zone réduite et conséquemment surpeuplée avec de la courtoisie dans les formes. On s’y presse sans chichis, et se sont joints aux lilliputiennes et fourmillantes créatures des parents beaucoup plus imposants qui, ô surprise, savent éviter les abus de pouvoir à l’encontre de leurs fluets compétiteurs : gros-becs errants et durbec des sapins conservent un flegme impérial dans le trafic incessant; leur venue ne suscite aucun émoi chez les autres. Un seul volatile sème l’épouvante : le geai bleu. À son approche, on s’égaille de tous côtés.» (p.28)

 

Et l’inévitable se produit. Une bourrasque folle détruit tout sur son passage en quelques minutes au début de l’été. Arbres cassés, renversés, déracinés partout dans la forêt. Un drame que j’ai vécu le 23 décembre 2022. Les fières épinettes le long du chemin et les bouleaux ont cédé devant les rages du vent, emportant les fils électriques. Même un pin gigantesque s’est écrasé tout près de la maison, faisant un carnage dans les sarments de ses congénères. Une véritable tragédie qui va laisser des traces dans notre petit domaine, et ce pour des années encore. Panne de courant pendant des jours où les gestes de la survie se multiplient.

De quoi décourager notre jardinier des arbres parce qu’il doit couper, ramasser, brûler les branches, tout reprendre à zéro presque. Le travail d’une décennie perdu en quelques minutes. Sans compter ces jours où il doit revenir à la vie primitive, celle qu’ont connue nos ancêtres quand ils avaient la folle idée de vouloir fonder une paroisse au milieu de la forêt et qu’ils devaient se débrouiller avec si peu.

 

LA VRAIE VIE

 

Le sang des arbres est un récit touchant qui nous ramène aux choses essentielles et vraies, qui permet de rentrer en contact avec la nature qui nous entoure et de vibrer avec les averses, les coups de vent, le soleil et les jours longs et paisibles, les giboulées froides de l’automne quand le premier gel change tout. Sans se couper du monde, des folies d’un Poutine qui sème la mort en Ukraine ou les hallucinations de certains politiciens.

Les oiseaux d’abord et les plus grands animaux un peu inquiets et toujours magnifiques qui ne manquent jamais de venir nous rendre visite lorsqu’on a construit sa maison au milieu des pins. Les bêtes finissent par vous tolérer et par partager leur territoire avec vous. Toutes les joies et aussi le découragement qui frappe notre solitaire quand il constate les dégâts d’un derecho, une tempête de vent qui ne dure que quelques minutes. Il suffit de si peu pour que tout soit à recommencer.

Assez pour que François Landry pense retourner en ville et oublier son aventure de jardinier de la forêt. Il persistera pourtant avec l’aide de certains voisins avec qui il entretient peu de liens, juste le nécessaire. Il faut de la patience, de l’entêtement et beaucoup de sueurs pour tout ramasser, y aller arbre par arbre sans trop se poser de questions. Un peu comme l’écriture qui progresse phrase par phrase, paragraphe par paragraphe pour finir par constituer un récit ou un roman. C’est ainsi que l’on refait son petit coin de paradis, ce lieu où il est plus facile de respirer et d’observer la vie sous toutes ses formes, d’occuper son corps et son esprit en ne boudant jamais le plaisir d’ouvrir un livre. 

J’ai beaucoup aimé ce récit, trouvant un véritable complice en François Landry. Il pourrait être mon voisin et je sais que nous effectuerions certaines tâches ensemble, que l’on pourrait se donner un coup de main, juste ce qu’il faut pour ne pas empiéter sur les habitudes de l’autre. Nous serions aussi de longues périodes sans nous voir, chacun dans ses heures et ses jours. 

Le sang des arbres est à lire en prenant son temps, s’interrompant souvent pour se pencher devant la fenêtre, pour l’émerveillement que la nature ne manque jamais de nous fournir quand on s’accorde à ses rythmes, que l’on visite la forêt dans le plus grand des respects. Un récit qui fait du bien et surtout remet tout à la bonne place. La vie n’est pas qu’une course effrénée après le succès, l’argent ou une gloire aussi éphémère que les feuilles du bouleau et de l’érable en octobre qui cèdent par épuisement, dans les couleurs les plus vives, à la grisaille et aux jours sonores. Je l’ai lu tout doucement en me berçant avec ma tasse de café à portée de main, prenant le temps de regarder autour de moi entre chaque phrase pour voir ce que les pins blancs et le grand lac me réservent comme surprises et enchantements à tous les jours.

 

LANDRY FRANÇOISLe sang des arbres, Éditions du Boréal, Montréal, 272 pages.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/sang-des-arbres-3990.html