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jeudi 11 août 2022

L’HISTOIRE NE CESSE JAMAIS DE SE RÉPÉTER

PIERRE-LOUIS GAGNON aime s’inspirer de personnages tirés de l’histoire récente, surtout de cette puissance que nous nommions alors l’URSS ou l’Union soviétique. Aleksandra Kollontaï a été ministre sous le règne de Lénine et est devenue ambassadrice en Suède sous la dictature de Staline. Elle est en poste au moment où son pays envahit la Finlande en 1939. Cette femme était déjà une figure importante dans le roman précédent de Pierre-Louis Gagnon, La disparition d’Yvan Bonine paru en 2018. La diplomate alors jouait des coudes pour que le prix Nobel de littérature soit attribué à Maxime Gorki, le choix de Staline. Malgré toutes les pressions et les entourloupettes de l’ambassadrice, Yvan Bounine en exil en France, un dissident et farouche opposant au régime communiste, sera le lauréat de l’institution.


Pierre-Louis Gagnon, du moins dans ce que j’ai lu de lui, construit ses histoires en fouillant dans les archives, celles de l’URSS en particulier. Un moment de l’actualité contemporaine fertile en rebondissements et intrigues étourdissantes. En fait, le romancier n’a guère besoin d’inventer des péripéties tellement les gens qui gravitaient autour du pouvoir et de Staline faisaient n’importe quoi pour se faufiler dans la hiérarchie. Toutes les trahisons étaient permises, allant même jusqu’à sacrifier une épouse pour se maintenir dans le giron des décideurs. L’important était de garder les faveurs de Staline qui devenait de plus en plus irascible et bourru, imprévisible aussi avec ses proches devant l’éminence d’un affrontement avec l’Allemagne. Tous savaient qu’un couperet pendait au-dessus de leur tête et que le moindre faux pas pouvait être fatal. Il suffisait d’un geste et d’un mot et ils se retrouvaient en prison ou encore face à un peloton d’exécution. 

Kollontaï est sur la liste de la prochaine purge, mais n’entend pas demeurer passive et résiste, même si la fatigue commence à la faire fléchir et, surtout, qu’elle n’est plus une jeunette. Elle n’a plus rien de la battante, de l’implacable féministe qui réclamait une liberté totale et ne se gênait pas pour dénoncer l’hégémonie des hommes. Elle a l’appui de Molotov qui tire sur toutes les ficelles. Lui aussi tente de sauver sa peau et celle de sa femme qui a occupé des fonctions importantes au Kremlin et qui a été démise. «Aleksandra Kollontaï n’était plus dans les bonnes grâces du chef du gouvernement, c’était devenu un secret de Polichinelle. Malgré cela, Molotov, en cynique accompli, savait qu’il pouvait encore utiliser ses services, tant que le couperet n’était pas tombé.» (p.67) 

Personne ne peut se fier à ses proches. Les espions rôdent partout et montent des dossiers sur à peu près tout le monde. Tous sont sous haute surveillance et peuvent être arrêtés à tout moment. J’imagine que les collaborateurs de Poutine, en ce moment, vivent la même chose et nul n’ose prendre une décision par peur de contrarier un chef toujours imprévisible. 

 

MISSION

 

Kollontaï reçoit comme mission d’intervenir auprès du premier ministre suédois, Per Albin Hansson, afin qu’il maintienne sa politique de neutralité face au conflit qui oppose l’URSS à la Finlande. Ce n’est pas sans faire penser à la situation en Ukraine et la valse des diplomates qui marchent sur des œufs pour ne pas déplaire au chef du Kremlin. Elle provoque des rencontres, réussit sa tâche. La Suède reste sur ses positions et tente d’amorcer des négociations entre la Finlande et l’URSS pour ramener la paix selon les volontés de Staline, bien sûr. 

Les attentats se multiplient à Stockholm, les monuments sautent et cela m’a rappelé le Québec des années 70, quand le FLQ s’en prenait aux symboles de la domination britannique à Montréal.

Ce roman à caractère historique nous fait revivre les mois précédents la Deuxième Guerre mondiale, les tensions avec l’Allemagne nazie de plus en plus fortes. C’est toujours formidablement intéressant de plonger dans une époque récente que nous connaissons souvent mal et de suivre de «vrais» personnages. Ce qui est particulier chez Gagnon, c’est sa façon de décrire des gens qui sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir et qui n’hésitent jamais à trahir leurs intimes. Des psychopathes chassent dans les rues, prennent plaisir à violer les jeunes filles et à les torturer en se moquant de tout. 

Gagnon en révèle beaucoup sur la nature humaine, ses pulsions et ses excès quand les dirigeants abandonnent toute notion d’éthique et de morale. Kollontaï apprendra que son amant est agent double et qu’il informait ses supérieurs sur ses moindres propos et agissements. 

Voilà un monde qui donne des frissons dans le dos. 

Aleksandra Kollontaï réussira à déjouer tous les ambitieux pourtant. «Aleksandra Kollontaï demeura ambassadrice à Stockholm jusqu’en mars 1945 et mourut à Moscou en 1952. Pour des raisons inconnues, le grand procès des diplomates n’eut jamais lieu.» (p.255) 

Pas de purge, mais des hommes et des femmes maintenus dans la terreur. Ils faisaient tout pour ne pas déplaire au chef suprême, réalisant qu’il ne fallait surtout pas dire la vérité à Staline, mais seulement ce qu’il voulait entendre.

Pierre-Louis Gagnon a certainement encore bien des sujets et des personnages inspirants pour nous entraîner dans les coulisses du pouvoir et de la folie. L’histoire politique ne cesse de se répéter et ce formidable conteur ne se gêne pas pour nous le démontrer. 

 

GAGNON PIERRE-LOUISDix-sept, rue Villagatan, Stockholm, Montréal, Éditions Lévesque Éditeur, 2021, 262 pages.

https://levesqueediteur.com/livre/dix-sept-rue-villagatan-stockholm/

jeudi 8 novembre 2018

PIERRE-LOUIS GAGNON ET LE NOBEL


PIERRE-LOUIS GAGNON m’a étonné avec La disparition d’Ivan Bounine, un thriller qui nous entraîne dans les coulisses du prix Nobel de littérature en 1933. Nous sommes à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Hitler a pris le pouvoir en Allemagne et suscite l’admiration de bien des Européens, y compris de certains écrivains célèbres. La Russie communiste est dirigée par Staline qui tient à s’imposer sur la scène mondiale. C’est dans ce contexte que les Russes se démènent pour bloquer la route à Ivan Bounine, écrivain en exil en France, qui est pressenti comme lauréat. Le régime des Soviets veut que ce soit Maxim Gorki, un écrivain proche du régime et non ce transfuge qui s’est montré particulièrement sévère envers les communistes. Aleksandra Kollontaï, ambassadrice à Stockholm, grande intrigante et séductrice, fait tout pour empêcher la nomination de Bounine et libérer la voie à Gorki.

Ivan Bounine est né à Voronej en Russie le 10 octobre 1870 et est décédé à Paris le 8 novembre 1953. Il a effectivement reçu le prix Nobel de littérature en 1933. Ce dissident a vécu une grande partie de sa vie à l’étranger et s’est montré très sévère à l’endroit du Kremlin.
Ces écrivains en exil étaient considérés comme « des traites » par les dirigeants communistes qui ne reculaient devant rien pour les discréditer quand ils ne s’en prenaient pas à eux physiquement. C’est ce que craint Ivan Bounine à la veille de la remise du prix littéraire le plus convoité du monde.

COULISSES

Tous sont d’accord pour dire que c’est le tour des Russes qui ont été ignorés jusqu’à maintenant. Il y avait Léon Tosltoï qui était pressenti, mais il a eu la mauvaise idée de mourir en 1910.
Staline fait tout en son pouvoir pour que ce soit son favori, Maxim Gorki, grand ami du régime et figure de proue du « réel socialiste » qui devrait être le lauréat. Les juges ne s’en laissent pas imposer et font fi de toutes les intrigues semble-t-il.
Bounine reste l’un des favoris.
Aleksandra Kollontaï, un véritable personnage de roman, est née le 19 mars 1872 à Saint-Pétersbourg et est décédée le 9 mars 1952 à Moscou. Elle a été la première femme de l'Histoire contemporaine à être membre d'un gouvernement et l'une des premières ambassadrices dans un pays étranger. Elle rencontre des écrivains, des personnalités qui peuvent influencer le choix de la célèbre académie, tente de prévoir le coup et de barrer la route à Bounine.
Pierre-Louis Gagnon fait appel à de vrais personnages, des écrivains connus tels que Knut Hamsun, ce célèbre romancier norvégien qui a été lauréat du Nobel en 1920. Gagnon le montre comme un mondain qui est séduit par les fascistes qui s’installent à Berlin. Je n’ai pu que penser aux merveilleux moments que j’ai eu à lire ce romancier formidable, particulièrement Vagabonds qui me plongeait dans un univers si proche et si semblable à celui du Québec. Je me reconnaissais dans les traits d’August, un vrai « survenant » qui rentre dans son village après avoir vagabondé dans plusieurs pays et qui fait rêver un peu tout le monde à la manière du héros de Germaine Guèvremont.

INTRIGUES

Les rumeurs circulent à Stockholm. Tout le monde sait que c’est l’année des Russes, mais qui va l’emporter ? Ivan Bounine le favori des membres du jury ou le candidat des Soviets et de Staline. Gorki est rendu à un âge vulnérable et Staline l’utilise pour des fins politiques, particulièrement à la veille d’organiser une grande rencontre internationale où l’écrivain sera la figure incontournable. Maxim Gorki mourra en 1936 dans des circonstances qui demeurent encore un peu nébuleuses.

Elle commençait à croire que le pire était sur le point de se produire, que Moscou allait subir une défaite fracassante et humiliante. Depuis son arrivée dans la salle de bal de l’hôtel de ville, Kollontaï avait écouté ses interlocuteurs, posé des questions, soupesé chacune des informations qui lui étaient distillées. Elle était surprise que l’on accorde tant d’attention à ce misérable exilé, qui semblait aussi adulé dans les cercles du Nobel qu’il était abhorré dans les salons du Kremlin. (p.23)

Aleksandra Kollontaï rencontre des écrivains, les questionne, cherche surtout à savoir qui peut orienter les jurés de l’Académie et satisfaire ainsi Staline. Particulièrement Par Lagerkvist, un écrivain suédois qui recevra le prix Nobel en 1951 et qui devient une sorte d’allié.
L’ambassadrice est loin d’être naïve. C’est son sort qui se joue dans ce jeu d’échecs impitoyable. Si elle échoue, elle sera rappelée à Moscou et peut très bien finir dans une prison tout comme le ministre des Affaires étrangères Maxim Litvinov qui sent le tapis lui glisser sous les pieds.

Micha ne lui avait pas donné signe de vie et cela l’inquiéta tout à coup. Sa situation, comme celle de tous les citoyens soviétiques, demeurait précaire dans cette Russie où les libertés élémentaires avaient été emportées par les vents noirs de la Révolution. Personne n’y était à l’abri de la décision hasardeuse d’une instance gouvernementale ou de l’intervention fortuite de la police politique. (p.73)

MANŒUVRES

Le roman de Pierre-Louis Gagnon fascine parce que la fiction se mélange à la réalité et qu’elle met en scène de vrais personnages qui ont marqué l’histoire et la littérature. J’imagine que ça s’agite beaucoup quand les rumeurs commencent à circuler sur le couronnement d’un écrivain à Stockholm. Les ambassades doivent chercher à savoir, tenter d’influencer les bonnes personnes et faire en sorte que ce soit leur protégé qui soit couronné. Ce titre, tous les écrivains le convoitent, c’est connu.
Soyez sans crainte, je ne suis pas dans la course. Je ne recevrai jamais ce  prix. Pas un écrivain du Québec ne l’a reçu non plus même si Marie-Claire Blais serait une candidate idéale. Pour avoir siégé à des tables où l’on attribue des prix et des bourses, je sais que ces choses ne se font jamais facilement et que ce n’est pas évident de se mettre d’accord sur un lauréat.

Staline et son chef de police se regardèrent, quelque peu surpris par cette intervention. Litvinov venait de leur rappeler que l’URSS ne vivait pas en vase clos. Elle faisait partie d’un système international où les décisions d’un gouvernement avaient des répercussions sur les autres États. Elle aspirait même à devenir membre de la Société des Nations. Et que penserait leur nouvel ami, le président Roosevelt, si un accident mortel emportait Bounine ? (p.113)

La fiction devient réalité et la réalité doit venir à la rescousse de la fiction dans ce roman plein de rebondissements, d’intrigues et de propos étonnants pour ne pas dire dérangeants, surtout quand ils sont proférés par des figures connues qui ont souvent marqué l’histoire et la littérature.
Aleksandra Kollontaï passe par toutes les émotions et doit jouer le tout pour le tout pour sauver sa peau et aussi en arriver à une décision qui soit acceptable pour tout le monde.
Une manœuvre à la toute fin permettra de calmer les agités et les fanatiques, de couronner Bounine sans créer de remous.

Après bien des hésitations, Bounine avait accepté de relever ce pari audacieux d’amener Staline à se découvrir. Un vrai roman que ce projet de fausse disparition, de faux enlèvement et de faux assassinat, avait-il conclu devant les plans du gouvernement suédois. Si cela réussit, nous sauverons le prix Nobel de littérature d’un désastre certain et je serai le premier Russe à en être le lauréat. Et je demeurerai en vie. Voilà qui n’est pas rien. (p.206)

Pierre-Louis Gagnon fait agir des écrivains connus dans un monde réel et inventé, a dû faire des recherches et avoir une solide documentation pour écrire un tel roman. J’avoue l’avoir lu sur le bout de ma chaise, parce qu’il m’a entraîné dans un univers de lecteur et a fait ressurgir en moi des chemins de lecture tout en créant un véritable suspense.
Pas nécessaire d’être un érudit pour goûter à La disparition d’Ivan Bounine. Il suffit de se laisser porter par les personnages fascinants et l’intrigue. Une belle manière de nous plonger dans l’environnement d’un prix littéraire qui a pâli au cours des derniers mois avec certains scandales.


LA DISPARITION D’IVAN BOUNINE, un roman de PIERRE-LOUIS GAGNON publié chez LÉVESQUE ÉDITEUR, 2018, 218 pages, 27,00 $.



http://www.levesqueediteur.com/la_disparition_d_ivan_bounine.php