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vendredi 13 novembre 2020

LA DURE RÉALITÉ DU MIGRANT

BELLE DÉCOUVERTE QUE Café Sajarevo de Josip Novakovich. En quatorze nouvelles, l’écrivain nous fait atterrir aux États-Unis, effectue un crochet par Montréal, Belgrade et pourquoi pas en Russie, ce pays que l’on connaît si peu et si mal. L’homme a l’âme baladeuse et, sur un ton humoristique, met souvent de l’avant le travail d’un écrivain qui tente par tous les moyens de vivre de son art. Pas évident cependant, il doit accepter différentes tâches pour gagner sa croûte, de petits emplois qui lui permettent de croiser des gens un peu étranges et singuliers. C’est surtout un regard aiguisé sur le monde contemporain, la difficulté pour un migrant de quitter son pays et de s’intégrer. L’auteur oscille entre plusieurs villes, quelques langues et peut-être aussi différentes identités. Une belle occasion de suivre cet écrivain d’origine croate que je découvre avec bonheur.


Josip Novakovich possède l’art de s’attarder à des sujets anodins qui semblent de peu d’intérêt à première vue. Rapidement, presque tout le temps, il nous plonge dans une situation absurde, surtout quand il se déplace aux États-Unis où tout peut arriver. Dans une nouvelle en particulier, Virevoltans, j’ai eu l’impression de me retrouver avec Jack Kerouac, de vivre l’une de ses équipées qui ne trouvaient de sens que dans le mouvement, la route de l’Ouest. Le mythe de l’éternel recommencement ne cesse de fasciner.

 

Inquiet, j’ai levé mon pouce et regardé les environs. Il y avait une pancarte verte portant l’inscription LEMARS et quelques trous rouillés causés par des balles de fusil; une bâtisse longue et basse, identique à la douzaine de maisons mobiles agglutinées ainsi qu’une enseigne où l’on pouvait lire «MOTEL»; une pompe d’essence CONOCO à côté d’un tas de ferraille et d’un garage crasseux. (p.20)

 

J’ai pensé à Raymond Carver qui ne s’est jamais éloigné de ceux que l’on nomme les gens ordinaires et de son milieu. Comme s’il pouvait y avoir des exceptions avec ceux qui vivent dans des quartiers huppés. Nous errons souvent à la campagne avec Josip Novakovich, dans les lieux qui semblent abandonnés après une intense activité industrielle qui a tout saccagé. On voit ce genre d’images quand les écrivains prennent la route dans ce pays qui a renoué avec la raison, le trois novembre dernier, en élisant Joe Biden et Kamala Harris. Un territoire en ruines que Louis Hamelin décrit fort bien lorsqu’il s’aventure dans les montagnes où l’on pratique la fragmentation du sol pour en extraire le gaz de schiste. Le pire outrage que l’on peut faire subir à la planète. Décidément, Les crépuscules de la Yellowstone reviennent souvent dans mes références depuis quelques semaines. Peut-être à cause de la pertinence du propos. Hamelin plonge dans un lieu digne de l’Enfer de Dante qui m’a aussi rappelé La route de Cormac McCarthy. Un autre incontournable pour ceux et celles qui s’intéressent à l’environnement et à l’avenir de cette planète que nous détruisons avec une passion difficile à comprendre.

 

ANIMAUX

 

J’aime surtout quand Josip Novakovich s’attarde aux animaux domestiques. Là, il secoue des habitudes que nous remettons rarement en question. Une façon de montrer des travers, les grandes et petites misères de notre quotidien. Comme ces musiciens qui partagent un appartement à New York, jouent la plupart du temps devant un rat qui adore Shubert, mais déteste certains compositeurs contemporains. Un beau clin d’œil, un sens de l’humour qui permet de dire ce qu’il pense d’une certaine forme de création sans avoir l’air d’y toucher.

 

Nous avons découvert qu’il craignait Bartok. Je ne comprends pas sa terreur devant la musique de ce compositeur : la raison était probablement qu’il lui manquait l’éducation nécessaire pour comprendre les aléas de la musique moderne, quoique, en tant que véritable rat new-yorkais, il aurait pu être plus au fait de la multitude de modernismes et de postmodernismes. Et même si Bartok le faisait retourner aussitôt dans son trou, on ne pouvait pas le jouer à l’infini dans le seul but de tenir le rat à distance. (p.67)

 

Que dire des aventures du chien Sam et la dépendance des humains qui choisissent de vivre avec un animal qui devient un despote. Comme on le sait, c’est la bête qui finit par décider de tout. Je suis bien placé pour en parler, parce que je suis au service de deux chattes qui imposent leurs façons de faire. Je passe une partie de mon temps à leur ouvrir la porte, et ce même en pleine nuit, surtout en cette période qui hésite entre une certaine forme d’été et un hiver qui rentre ses griffes. Mes félines sont toutes mélangées. Je reste le majordome de ces deux bêtes qui, je dois l’avouer, contribuent largement à ma thérapie par le «ronron». Tout comme le chat Sobaka qui migre de la Russie aux États-Unis et qui vit toutes les grandeurs et les misères de l’adaptation dans un milieu où les références changent. Il le fait très bien, soyez sans crainte. Les félins réagissent mieux que les humains et la «langue ronronnienne» se comprend dans tous les pays, peu importe les époques. 

 

ZIDANE

 

Mais rien ne vaut Zidane, le bélier. Pour la petite histoire, l’écrivain fait un clin d’œil au joueur de soccer Zinédine Zidane. Ce milieu offensif a terminé sa carrière avec le Real Madrid. Son célèbre coup de tête du 9 juillet 2006 a semé la commotion en Europe. Une faute directe qui a fait perdre la coupe à la France. Le bélier est digne de son modèle. Il fonce sur tout ce qui bouge et peut envoyer au sol tous ceux qu’il rencontre et les blesser sérieusement. Cet animal fait la vie impossible à ceux qui habitent dans son entourage et constitue un véritable danger.

J’ai beaucoup aimé aussi cette nouvelle où l’auteur retourne dans son pays d’origine, la Croatie. Il retrouve un ami qu’il n’a pas vu depuis des décennies. Novakovich nous pousse alors dans un monde trouble où le non-dit devient plus important que tout ce que l’on peut verbaliser. Évocation d’une époque et de blessures que l’écrivain refuse de secouer. Ça reste certainement trop douloureux. Tout comme ce peuple qui doit vivre avec un passé qui semble inconcevable avec le recul.

 

Il m’a regardé dans les yeux, sans cligner, comme un gros chiot Saint-Bernard en détresse, face à un ours. Je pouvais voir qu’il évaluait la pilule comme une sorte d’explosif et calculait, probablement, quel facteur était plus important ici — que je sois un vieil ami, ou que je sois croate, bourré de ressentiments contre les Serbes qui avaient détruit la Croatie dans les années 1990. Les Serbes tuent leurs adversaires comme dans le temps, avec des balles, dans les lobbies des hôtels, alors que les Russes et les Croates utilisent des éléments radioactifs et des drogues. (p.178)

 

Les personnages de Novakovich cherchent une forme d’ancrage et une manière de s’installer pour survivre dans un milieu différent. Comme ce café Sajarevo de Montréal où nombre d’artistes se retrouvaient pour réinventer le monde aux sons d’une musique qui évoquait le lointain et peut-être une autre dimension de notre être. L’écrivain secoue le grand rêve de l’Amérique où tout peut arriver dans un pays où la richesse et l’opulence côtoient la plus effroyable des misères. Il décrit la laideur, le saccage insensé de l’environnement qui montre pourquoi l’humanité a le dos au mur. 

Le migrant reste un individu instable, celui qui passe, marque un peu son nouveau territoire, le temps qu’il est là, avant de repartir pour un autre lointain, tenter de trouver une forme de paix qui apaisera le corps et l’esprit. Et, même si on cherche continuellement à fuir et à s’étourdir, on ne peut oublier les blessures de l’être qui s’incrustent en soi. Il y a toujours un pays d’origine qui s’étiole en nous, peu importe d’où nous venons. 

Les textes de Josip Novakovich bousculent malgré une apparence de légèreté. Un très beau recueil de nouvelles qui, avec un humour certain, s’attarde aux grandes et petites tragédies que subissent les humains, celles qui font partir à la dérive, à vouloir changer de peau et devenir un autre peut-être.

 

NOVAKOVICH JOSIPCafé SajarevoHASH #TAG ÉDITIONS, 212 pages, 25,00 $.

 

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