Isabelle Daunais |
Isabelle Daunais et François
Ricard affirment, dans «La Pratique du roman», que les écrivains du Québec
s’attardent rarement à réfléchir sur l’art qu’ils pratiquent. Particulièrement
en ce qui concerne le roman qui connait un essor considérable depuis des années.
C’est un peu négliger la collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles où des
dizaines d’écrivains mettent les cartes sur table.
«Les romanciers parlent
volontiers de leur œuvre ou de leurs projets, ou encore de la littérature en
général, mais peu de l’art précis qu’ils pratiquent (les poètes, en cela, sont
beaucoup plus prolixes). Pourtant, le roman constitue ici comme ailleurs une
forme artistique majeure et il n’échappe en rien aux grandes questions- sur sa
spécificité, son rôle, ses limites- qui partout se posent à lui.» (p.8)
François Ricard |
Ils sont huit à prendre le
temps de réfléchir à la question. Gilles Archambault, Nadine Bismuth, Trevor
Ferguson, Dominique Fortier, Louis Hamelin, Suzanne Jacob, Robert Lalonde et
Monique La Rue. Quatre femmes et quatre hommes.
Le titre le dit bien. On peut
fréquenter le genre en étant écrivain ou encore simplement lecteur. La plupart
des auteurs sont l’un et l’autre comme il se doit. L’écriture vient souvent avec
la lecture et la lecture pousse vers l’écriture.
Droit au but
Gilles Archambault est
peut-être le plus direct. Il y va sans détour. Un roman est «l’écriture de soi»,
dit-il, empruntant la formule à Jean-Claude Pirotte. S’écrire le plus
simplement possible en évitant les prouesses, les effets de style ou les longs
détours.
«Ne pas céder à la tentation
du divertissement. L’imaginaire a bon dos. Elle recouvre souvent l’inanité du
propos. Je n’ai pas en tête quelque recherche de «profondeur». (p.105)
Nadine Bismuth est plus
préoccupée par le sort réservé aux écrivains dans les médias. À la télévision, à
la radio, dans les revues et les journaux, c’est l’homme qui intéresse, sa vie,
ses idées et ses points de vue. Dany Laferrière dit la même chose dans «L’art
presque perdu de ne rien faire». Un autre sujet il me semble.
Regards
Dominique Fortier écrit
devant une fenêtre pour voir le monde.
Elle peut aussi être vue. Le roman devient une lecture d’un certain univers et
le lecteur imagine ce qu’il veut bien en surveillant cette femme. Cela m’a fait
penser au dernier roman d’Andrée Laurier. Dans «Avant les sables», tout commence
avec Myriam qui, à sa fenêtre, surveille un couple au café. Elle aussi est l’objet
de leur attention.
Fortier défend le droit à
l’invention et à l’imaginaire même si un certain réalisme n’est pas à dédaigner.
Elle hausse les épaules devant les autofictions qui font saliver les foules.
Louis Hamelin s’attarde au
roman québécois et américain. Le mythe de la cabane isolée semble récurrent
dans notre littérature. Fort intéressant ce qu’il écrit sur Gabrielle Roy. Il
aurait pu rôder aussi du côté de Jean Désy.
Monique La Rue et Suzanne
Jacob se tournent vers Roland Barthes et Milan Kundera. Ces écrivains ont
décortiqué le roman comme une mécanique sans pour autant en percer les secrets.
Comment saisir l’émotion qui porte les grandes œuvres? Peut-être qu’il faudrait
demander au lecteur. C’est lui qui a toujours le dernier mot. Madame Jacob
raconte comment un roman de Pierre Jean Jouve a changé sa vie. Elle a trouvé
dans «Hécate» ce qu’elle cherchait. L’écrivain n’a rien eu à dire dans cette illumination.
Le lecteur crée son livre en se l’appropriant.
Réflexions
Presque tous sont d’accord.
Un roman doit s’inscrire dans l’histoire et être porté par une écriture, un
rythme et un souffle. Kundera se montre sévère en affirmant dans «Les
testaments trahis» que la production romanesque de maintenant est
interchangeable. Difficile de lui donner tord.
Les romanciers travaillent à
construire des cathédrales. Chacun a son architecture, son plan et son lieu. Un
ouvrage fort pertinent pour ceux et celles qui aiment lire de la fiction. Une
manière de réfléchir à ce que l’on recherche dans un livre. Ce pourrait être là
le sujet d’un autre essai…
«La Pratique du roman» de Isabelle Daunais et
François Ricard est paru aux Éditions du Boréal.