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lundi 29 juillet 2013

Un monde meilleur est-il encore possible ?


Nicolas Delisle-L’Heureux, dans Les pavés dans la mare, entreprend une quête qui connaîtra bien des rebondissements. Jakob, son héros, doit expérimenter plusieurs vies, tout comme son père qui a connu la commune au lac Sauvage, près de Senneterre, avant d’épouser sa mère. Pourtant, on le sait, ce genre d’aventure tourne souvent à la tragédie et marque les esprits.

Tout s’effrite bien sûr après une catastrophe qui laisse les survivants désemparés.
«Un soir cependant, le premier janvier 1980, le monde extérieur rattrapa l’endroit. Comme le voulait la tradition, les soixante-sept enfants du village fêtaient entre eux, dans L’Eldorado, l’arrivée de la nouvelle année. Le rocher qui supportait le bâtiment se fissura à cause du froid et le bloc complet déboula la montagne d’Argent, écrasant du coup L’Eldorado et les enfants qui s’y trouvaient. Il n’y eut qu’un seul survivant.» (p.27)
Jakob connaît des moments difficiles à Montréal. Il a adhéré à un groupe dirigé par une ancienne de la commune abitibienne. On le répète, le monde est petit. Sous la férule d’Irène Martineau, ils tentent de déstabiliser la société en commettant des larcins, du vandalisme et en allumant des incendies dans des édifices en construction ou inoccupés.
«Il y eut trois autres incendies criminels dans le Sud-Ouest au cours du mois d’août. Un dans Ville-Émard; un autre dans la Petite-Bourgogne; et un dernier dans Saint-Henri, à nouveau. Chaque fois, une note: «Nous veillons. Brûlons l’inflation. Réapproprions-nous nos quartiers!» Les feux ciblaient des bâtiments vides, neufs ou rénovés.» (p.175)
Une entreprise juste bonne à faire les manchettes de certains journaux.

Recherche

Comment trouver sa place dans une ville où tous semblent courir après quelque chose d’inatteignable? Jakob végète un peu, cherche sa voie malgré Manou, une comédienne au grand cœur, son amoureuse. Son frère Édouard, le seul enfant qui a survécu au drame du lac Sauvage, le poursuit et finira par se suicider. N’en pouvant plus, le jeune homme fuit avec Mathieu, son ami d’enfance, vers cette Terre promise qu’est l’Abitibi. Peut-être qu’en retournant aux sources, tout peut changer. L’aventure se terminera mal pour Mathieu. Après une collision avec un orignal, il s’évanouit dans la neige.
«Je pense, de toute façon, que je n’aurais jamais avoué aussi facilement mes faiblesses, même à Mathieu, mon ami de toujours. Quoi qu’il en soit, je n’eus pas à y réfléchir: une orignale femelle traversa la route et la Chevette la percuta à une vitesse de 145 kilomètres-heure.» (p.225)
Jakob confronte le silence de l’hiver abitibien, l’isolement. Il travaille pour payer son hébergement, prend le temps de se forger une autre identité peut-être dans cet endroit marqué par les souvenirs. Tout ce qu’il a voulu fuir finira par le rattraper.


Épopée

Regorgeant d’événements, de réflexions et de personnages qui sortent de l’ordinaire, ce roman prend souvent les teintes d’une saga. Il y a un je ne sais quoi de fascinant. La volonté, le désir d’échapper à ses démons bien sûr, de se surpasser pour mettre une distance entre soi et un héritage qui étouffe. Une histoire touffue, des jeunes qui doivent secouer leurs chaînes, couper avec leur milieu pour devenir des adultes responsables. Jakob y arrivera en s’éloignant de sa famille pour s’en rapprocher d’une certaine façon.
La séparation d’avec Manou, l’amour de sa vie, la disparition de Mathieu après la collision, tout contribuera à le délester d’un passé qui le tourmente.
«Je me suis rendu jusqu’à l’île du Cap-Breton. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai eu envie d’écrire. L’acte n’avait rien d’un cache-silence forcé ou prémédité: j’ai mis trois semaines à coucher mon histoire sur papier, jouer pour jour, puis je l’ai envoyée à Manou sans plus de préambule. J’ose espérer qu’elle habite toujours au même endroit. Je peux maintenant abandonner la fuite pour le voyage et regarder les bateaux…» (p.296)
Des moments magnifiques. Je pense à la marche en forêt après la collision, la fuite dans la neige et le silence. Certains égarements aussi où Delisle-L’Heureux semble ne plus savoir quelle direction prendre.
L’écrivain a du rythme, du coffre, le sens du détail et du rebondissement. Il possède surtout l’art de faire rêver dans une société qui cherche une embellie depuis des années sans jamais rien proposer de nouveau. Dans cette époque qui fait eau de partout, il reste l’utopie, le rêve pour inventer un ailleurs, une autre manière de vivre et de posséder le monde. Nicolas Delise-L’Heureux nous permet d’y croire.

Les pavés dans la mare de Nicolas Delisle-L’Heureux est paru aux Éditions de la Pleine lune.