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mercredi 31 janvier 2018

MARIE-CÉLIE AGNANT N’OUBLIE PAS

MARIE-CÉLIE AGNANT propose six textes dans Nouvelles d’ici, d’ailleurs et de là-bas qui nous entraînent dans des univers troubles où très peu d’écrivains s’aventurent dans notre littérature. Madame Agnant, il faut le préciser, est originaire d’Haïti et habite le Québec depuis 1970. Ils seraient plus de 130 000 de ses compatriotes à s’être installés dans la Belle Province. Voici donc une femme qui a quitté son pays maintes fois frappé par des cataclysmes ou pire encore, entraîné dans des dérives politiques où les démunis écopent pour les lubies de certains qui se sentent investis d’une mission et qui n’hésitent jamais à s’en prendre à tous leurs opposants. Haïti écrit une saga d’une tristesse infinie depuis plusieurs années.

Tous les personnages de Marie-Célie Agnant sont en quête d’une forme d’ancrage et d’un lieu où il est possible de respirer, de rêver et de vivre sans craindre de se faire agresser ou tuer. Tous sont des migrants qui tentent de s’épanouir même s’il est difficile d’oublier ses origines. S’arracher au passé pour s’installer dans le présent n’est jamais chose facile.
Partout dans le monde, des réfugiés tentent d’atteindre un pays dont ils rêvaient. La plupart du temps, ils stagnent dans des enclos comme du bétail. On parle des camps de réfugiés. Ils ne savent pas ce qui les attend et ce que les militaires peuvent faire d’eux. Des centaines d’hommes et de femmes survivent ainsi dans une sorte de trou noir où ils doivent oublier leurs droits et leur dignité. Tous ont perdu la direction de leur vie et croupissent dans une prison simplement parce qu’ils ont commis le crime de venir d’ailleurs.
Ils ont eu le tort de naître dans un pays sous-développé, d’avoir subi des régimes sanguinaires où la grande majorité de la population n’arrivait jamais à vivre une vie décente et libre. Le nombre des réfugiés aurait dépassé les 60 millions d’individus l’an dernier et ne cesse d’augmenter.
Bien sûr, ces mouvements importants de populations provoquent des crises et des heurts. L’Europe est un exemple terrible. Il y a aussi les lubies d’un Donald Trump qui font fuir des gens vulnérables au Québec et au Canada. Partout, ces hommes et ces femmes cherchent une nouvelle terre pour améliorer leur sort et celui de leurs enfants. C’est comme ça que s’est faite la conquête de l’Amérique. Beaucoup de nouveaux arrivants aux États-Unis, au Canada et dans les pays d’Amérique du Sud n’arrivaient pas à manger à leur faim dans leur pays d’origine. Je pense aux Irlandais qui ont migré dans des conditions épouvantables. D’autres ont été déplacés de force. Les Noirs africains ont été vendus comme esclaves. L’un des plus grands crimes de l’humanité ! Il y aurait eu plus de cinq millions d’esclaves dans les Amériques et un peu plus de 600 000 seulement aux États-Unis. Et ce commerce infâme existe encore. On a fait les manchettes avec des cas récemment.

RÉFUGIÉS

Les migrations marquent l’histoire de l’humanité et elles sont souvent accompagnées par l’ostracisme, le racisme et l’exploitation. Marie-Célie Agnant imagine un réfugié dans un camp qui attend une lettre, la permission de franchir la barrière et de partir ailleurs pour enfin se forger un avenir.

Alors que je trouvais à des lieues de toi, j’avais ressenti cette peur que tu ne cachais pas, celle de tout laisser derrière toi pour aller rejoindre ta Mamusia, pour qui tu étais tout. Je te savais plein d’appréhensions, terrifié même, à l’idée de te retrouver dans un avion. Pour dissiper tes craintes, je t’exposais mes plans, te parlais de l’entreprise que nous allions faire grandir ensemble. J’avais tout fait pour te rassurer, en vain. « Le temps du vol n’est rien qu’un mauvais moment à passer », me disais-tu la veille, comme pour me rassurer à ton tour. (p.13)

Comment oublier les Indiens que l’on a refoulés dans des réserves, les privant de tout leur pays ? Ce sont nos camps de réfugiés et j’ai grandi tout près de Mashteuiatsh sans comprendre le drame de cette population.
Nous nous blessons au racisme, à l’intolérance, aux abus de pouvoir, aux viols et aux agressions en parlant des réfugiés. Tous quittent un pays pour ne pas être tués. Leurs villes et leurs villages ont été ravagés par des guerres qui ont tour rasé. Leur terre est devenue un charnier où il est impossible de vivre et de survivre, où il n’est plus imaginable de cultiver le sol contaminé par les bombes. La migration devient une question de vie et de mort. Le paradis qu’ils habitaient depuis des générations est maintenant un champ de cailloux après les bombardements et les folies des fanatiques. Des gens perdus, déracinés, isolés dans un pays étranger, incapables souvent de communiquer parce que personne ne parle leur langue. Un drame sans nom dont nous ne mesurons pas l’ampleur malgré tous les reportages. On s’attarde au corps d’un petit garçon retrouvé sur une plage, à des camps d’accueils, aux frontières qui se referment, mais rarement aux terribles difficultés que ces humains doivent affronter jour après jour.
Heureusement, des écrivains nous plongent dans la dérive d’un père qui n’arrive jamais à s’en sortir et se sacrifie pour que son fils ait une vie meilleure. Je pense à Niko de Dimitri Nasrallah qui décrit cette épouvantable réalité, un destin qui nous fait perdre toutes nos références.
Ils ont fui avec leurs vêtements et ils attendent, démunis, impuissants, espérant seulement avoir la permission de vivre comme des humains. Que dire des camps palestiniens où des enfants y naissent, grandissent et font des enfants à leur tour ? Ils ne connaîtront jamais un autre territoire que ces enclos où ils sont gardés à vue. C’est un destin à peine imaginable pour un Québécois qui fréquente les grands espaces et se permet toutes les escapades. Que dire de l’Innu qui voit son monde se recroqueviller aux limites de la réserve ?

EXPLOITATION

Et il y a toujours des gens sans âme qui réussissent à les exploiter et à leur soutirer le peu qu’ils ont. Lawrence Hill en fait une description plutôt troublante dans Le sans-papiers où une femme dirige un ghetto et exploite tout le monde. Elle s’est arrogé le droit de vie et de mort sur toute une population qui dépend d’elle et doit subir ses humeurs et ses fantaisies.
Caroline Vu décrit également cet univers sans pitié dans Palawan, son dernier roman, où des gens tentent par tous les moyens d’aider des Vietnamiens qui vivent en marge du monde, ne demandant qu’un peu d’espoir et un passeport pour la liberté.
Il y a aussi les nantis de ces pays qui ont dû fuir et qui trouvent refuge à l’étranger. Ils réussissent à se refaire un petit milieu et vivent dans un luxe désolant. Leurs enfants rêvent d’une société où il n’y a plus de frontières raciales.
C’est le cas de Sigrid qui pense vivre comme tous les jeunes, mais qui apprend brutalement qu’il existe des frontières qu’il n’est pas possible de franchir. Le racisme dans sa manifestation la plus horrible.

Cette histoire, qui n’en était pas une, avait fait le tour de l’île. Pour la punir — Joséphine prétendait que c’était pour la forcer à choisir —, on l’avait expédiée à New York. Cependant, depuis son arrivée, elle se sentait engagée dans un marathon insensé, vers un état de nudité dont elle découvrait à présent toute l’horreur. Engluée dans son brouillard, Sigrid sentit qu’on prenait son pouls ; des mains tâtaient son corps, devenu l’objet premier de la condamnation. Sous les draps rêches, elle se sentit frissonner, car elle était tellement nue ; nue dans son exil, nue dans sa peau, nue dans son cerveau farci d’horreurs depuis l’enfance, nue dans l’incommensurable bêtise du monde. (p.61-62)

D’autres s’installent et sont condamnés à faire des tâches peu valorisantes, mal payées. Une mère compte ses sous et travaille du matin au soir pour arriver à faire venir son fils au Canada. Le rêve se transforme en cauchemar dans la plus absurde des tragédies, sans que l’on sache vraiment ce qui a pu se produire. Peut-être tout simplement la crainte de l’autre qui est de plus en plus présente avec les attaques terroristes. Le monde des années 70, où il était possible de découvrir tous les pays, s’est refermé et est devenu dangereux. Plusieurs pays sont maintenant des terres interdites. La belle grande fraternité qui faisait danser les jeunes il y a cinquante ans n’aura pas duré bien longtemps.
Marie-Célie Agnant plaide pour les apatrides, les errants et les dépossédés de ce monde, les maudits de la terre. Je le répète. Ils sont plus de 60 millions à vivre dans des lieux où l’on aurait du mal à garder le bétail, à tourner dans des enclos boueux et poussiéreux, à espérer qu’un jour ils auront la chance de partir et de s’installer dans un vrai pays.

« Tu oublies que le monde, c’est aussi la Palestine. La Palestine, avec la dépossession qui n’en finit plus, les territoires volés, les morts que nul ne compte et dont personne ne se soucie. La Palestine, avec ses cris, ses enfants assassinés, ses larmes et cette misère innommable. N’est-ce pas toi qui nous as, depuis toujours, rabâché les oreilles avec cette situation que tu as toujours qualifiée d’ignoble ? » (p.70)

Un espoir qui s’use avec le temps et qui bien souvent, surtout quand la chance ne se manifeste pas, peut tourner à la violence. Les textes de Marie-Célie Agnant frappent fort, bouleversent, étonnent, même si on sait déjà que toutes ces situations existent et se perpétuent. Et il ne faut surtout pas rater L’attente, la dernière nouvelle. Un bijou de texte qui m’a retourné. Tout cela dans une langue riche, luxuriante qui subjugue littéralement.
Heureusement, la littérature a encore le pouvoir de dénoncer et de bousculer nos aveuglements. Cela a toujours été son rôle et elle doit continuer à montrer l’horreur pour faire changer les choses peut-être, du moins à allumer un peu de conscience et d’empathie dans l’esprit des lecteurs. Marie-Célie Agnant fait un travail de mémoire nécessaire. L’humanité a besoin de se souvenir, quoi qu'on dise.


NOUVELLES D’ICI, D’AILLEURS ET DE LÀ-BAS de MARIE-CÉLIE AGNANT, une publication des ÉDITIONS DE LA PLEINE LUNE.


  
http://www.pleinelune.qc.ca/titre/462/nouvelles-dici-dailleurs-et-de-la-bas