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lundi 13 avril 2015

Pas facile de demeurer fidèle à ses convictions

PURES ET DURES… JE NE SAIS POURQUOI, mais ces qualificatifs ne m’ont pas étonné en lisant le titre du recueil de nouvelles d’Andrée Ferretti. Cette attribution lui va comme un coquet petit chapeau qui marque la venue du printemps. Qu’est ce que l’auteure cherche à dire, vers quoi elle veut que le lecteur regarde ? Qu’on le veuille ou non, un écrivain a toujours un désir de surprendre et d’étonner. S’il n’y a pas de vision particulière sur le monde et la société, nous aurons un texte avec un commencement et une fin comme il en existe trop dans notre monde du livre. Tellement que cela crée des embouteillages dans les librairies. Pourquoi pilonne-t-on tant de livres au Québec ? Que diriez-vous d’une fabrique de pâtes alimentaires ou d’ordinateurs qui détruit la moitié de sa production chaque année ? C’est pourtant la situation dans notre monde littéraire. À faire commerce on va peut-être tuer la littérature.

J’aime examiner un livre avant d’amorcer ma lecture, l’illustration de la couverture, les données du livre, le nombre de pages, la présentation et l’incipit, cette clef qui ouvre la porte d’un univers. C’est très souvent révélateur, parfois trompeur et même, je l’avoue, cela m’a fait passer à autre chose même si j’avais beaucoup de bonnes intentions au début. Appâter un lecteur n’est jamais facile.

Voici vingt-six nouvelles, chacune ayant pour titre un prénom féminin commençant par une des vingt-six lettres de l’alphabet. Vingt-six portraits de femmes, saisis à un moment crucial de leur vie, et qui illustrent un des rapports particuliers et variés, qu’elles entretiennent avec la liberté. (Présentation du recueil)

Nous savons à quoi nous attendre. Des femmes s’affirment, vivent des moments où elles doivent choisir, demeurer fidèles à une pensée, à un comportement ou tout simplement trahir une manière d’être dans la vie.

ENGAGEMENT

Andrée Ferretti nous présente Adèle, Béatrice, Diane, jusqu’à Zoé… Une galerie de femmes toute simple, pas très visible dans leurs vies et leurs préoccupations. Pas de Shéhérazade, d’Iseult ou de Juliette qui se retrouvent au cœur d’un drame cosmique.
J’ai été étonné d’abord par l’âge des héroïnes. Elles sont soit en fin de vie ou en début d’aventure. Peu sont à la veille de prendre des décisions qui marquent l’existence, comme les relations amoureuses ou un choix de carrière. Peut-être que pour être pure et dure il faut du vécu ou encore avancer dans une façon d’être qui oriente tous les gestes et les décisions.
Pas question de donner dans la dentelle. C’est souvent cru, dur, souvent dérangeant. J’avoue que certains personnages m’ont donné froid dans le dos, surtout cette Adèle qui décide de prendre le maquis pour garder une certaine autonomie.

J’ai soigneusement enveloppé dans des linges à vaisselle les nombreux objets auxquels je tiens et les ai mis dans deux taies d’oreiller. Je les attacherai à un drap et une à la fois, je les ferai descendre par la fenêtre qui donne sur la courette de la maison. J’ai placardé toutes les autres et poussé plusieurs meubles sur les portes d’en avant et d’en arrière. J’ai aussi couvert de vieux journaux les planchers des quatre pièces. Je les imbiberai d’essence et y mettrai le feu, juste avant de me laisser glisser le long du drap solidement accroché à la fenêtre et de m’éloigner de la maison sans me retourner, libre comme l’ai, assouvissant un désir presque aussi vieux que moi. (p.15)

Toutes les héroïnes de Ferretti sont aux prises avec des contraintes, des lois, des façons de faire et de se comporter qui brident le quotidien et les relations avec les autres. Ces fameux consensus qui font que l’on vit dans l’indifférence sans trop s’agresser, brancher irrémédiablement sur son je. Surtout que notre monde est de plus en plus angoissé et qu’il faut tout prévoir de la naissance à la mort. La fatalité a été supplantée par la gestion. On ne fait plus confiance à la vie. Les humains sont des produits avec des dates de péremption. Il faut mourir en passant par le foyer d’accueil et les soins palliatifs. On ne meurt plus dans la nature ou dans sa bibliothèque en égoïste.
Les femmes de Ferretti se retrouvent seules au bout d’un parcours. Comme si le fait d’avoir défendu une manière d’être ou de vivre ne faisait que les pousser vers la solitude. La liberté n’est pas un somnifère.

HÉLÈNE


Comment ne pas m’attarder au portrait qu’Andrée Ferretti dresse d’Hélène Pedneault. J’ai toujours aimé les intransigeances de cette militante, ses façons de dire, d’être et ses contractions. Un grand cœur qui s’est battu toute sa vie pour la liberté des femmes et leur reconnaissance.

Elle voulait leur parler du pays, de ses rivières et forêts à découvrir et admirer, à protéger pour jouir de leurs richesses incommensurables sans les exploiter abusivement. Elle voulait leur parler de la nation, de sa culture à connaître et aimer, à sans cesse recréer et promouvoir et, mettant la main à la pâte, elle montait des spectacles qu’elle leur offrait avec la munificence de la souveraine du don qu’elle était. (p.58)

Je n’ai pu que revivre cette journée. Il pleuvait. Pas une petite pluie douce propre à la flânerie. Une pluie qui noyait le cimetière de Shipshaw au Saguenay où Hélène a été inhumée. Nous étions peut-être une douzaine sur l’herbe détrempée. Ses sœurs, quelques amis. Marie-Claire Séguin a chanté l’une de ses chansons, un texte comme elle seule avait l’art d’en tricoter. Du pain et des roses. Il pleuvait à boire debout sur Shipshaw. Marie-Claire Séguin avait eu la délicatesse de rapporter une bouteille d’eau du lac Sébastien pour le verser sur le cercueil de son amie. Personne ne pleurait, il pleuvait. Hélène est partie dans un monde d’eau. C’était son genre. Peut-être que son engagement dans Eau secours lui était rendu en abondance. La nature sait toujours être généreuse.

SOLITUDE

Je suis allé de la femme volontaire qui a vécu sa vie comme elle l’entendait, à la militante culturelle, à celle qui a été trompée ou violée, à la prostituée ou l’artiste qui s’exprime pour masquer la grande douleur ou la blessure qu’est une vie.
Une plongée dans un monde où des femmes subissent souvent la loi de l’homme, se battent pour être, refusent de subir les diktats des autres. C’est difficile la liberté, de se protéger dans les mailles d’un système qui repose sur l’exploitation et la négation de l’autre, en particulier pour les femmes. Il reste toujours une flamme chez les personnages de Ferretti, peu importe ce qu’elles ont pu subir ou vivre dans un univers qui ne fait jamais de faveur.
Nous sommes au cœur d’une époque de tragédies, de massacres au nom de Dieu ou d’Allah, d’une folie qui cultive le goût de la mort. Heureusement, il y a l’espoir, la volonté de vivre sans jamais abandonner ce qui est essentiel et nécessaire. La liberté est intransigeante et il faut prendre des risques pour la courtiser. Il faut se révolter aussi, s’enfoncer dans la solitude pour demeurer fidèle à son être. Ce recueil de nouvelles nous le confirme en nous bousculant, en nous poussant dos au mur. Une écriture directe, sans fioritures qui nous laisse souvent en déséquilibre. Il est possible d’être pure et dure, mais à quel prix ?


Pures et dures d’Andrée Ferretti est paru aux Éditions XYZ, 136 pages, 19,95 $.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/671.html

jeudi 9 octobre 2008

Andrée Ferretti jongle avec des questions importantes

Andrée Ferretti est associée à l’indépendance du Québec depuis fort longtemps. Il suffit de consulter sa bibliographie pour constater que cette question, au cœur du débat politique depuis cinquante ans, la préoccupe et alimente sa réflexion. Elle a publié, avec Gaston Miron, «Les grands textes indépendantistes» et «Le Parti québécois: pour ou contre l’indépendance», un pamphlet qui va droit au but. Cet aspect de sa vie a fait oublier l’écrivaine qui entrait en littérature en 1987 avec «Renaissance en Paganie». Elle publiait par la suite des nouvelles et des récits. «Bénédicte sous enquête» est son troisième roman.
Je ne savais à quoi m’attendre, ayant pour une raison ou une autre, négligé cette auteure jusqu’à maintenant. Les chemins de la lecture nous poussent souvent vers les mêmes écrivains qui finissent par constituer de véritables familles qui occupent tout notre temps ou presque.

Hollande

Sophie Bertrand, latiniste et passionnées de généalogie, archiviste à la ville de Québec, achète une veille maison de Neuville. Pendant les rénovations, elle trouve un coffret minutieusement scellé qui contient les textes d’une certaine Bénédicte née en Hollande en 1632 et qui, nous allons le découvrir, s’avère être son ancêtre. Une philosophe bannie et excommuniée de la communauté juive pour ses idées, et qui rejette tous les carcans. Guillaume Bertrand, l’ancêtre québécois de Sophie, a caché les documents dans sa maison de Neuville à la demande de Bénédicte, la mère de son épouse. Par courts fragments, nous découvrons une femme qui a vécu une double vie, dissimulant sa féminité pour vivre en homme.
«J’ai écrit au masculin les pages qui précèdent. Je m’en suis vite rendu compte, en même temps que je me découvrais impuissante à me corriger. Anomalie, s’il en est une, puisque, ce 6 février 1673, j’entreprends la présente rédaction de mes mémoires dans l’unique but de révéler à la postérité que je suis une femme. Objectif dont l’atteinte m’apparaît plus difficile que je l’eusse cru. Non seulement parce que j’ai peine à me débarrasser des habits d’homme sous lesquels je vis depuis toujours, sous lesquels j’écris mon œuvre et en discute avec moult amis et quelques savants, mais parce que j’ai de bonnes raisons de craindre un rejet méprisant de ma pensée  par la société viscéralement misogyne des philosophes.» (p.22)
Le lecteur se prend d’affection pour cette contemporaine qui revendique le droit à la pensée, à la liberté, prône la démocratie, l’amour libre et le droit de s’exprimer comme un homme.

Fiction

Andrée Ferretti multiplie les pistes. On se prend au jeu, on fouine, on tente de deviner de qui il pourrait être question même si l’auteure ne s’embourbe jamais dans les grands concepts qui fascinent son héroïne. Elle en met juste assez pour alimenter la curiosité, nous pousser vers des personnages ou des concepts qui ont secoué toutes les sociétés depuis les Grecs.
«Ils ne soupçonnent pas que ma philosophie entièrement fondée sur ma vision de l’unité du monde et sur la nécessaire affirmation de soi de chaque être suppose la puissance des femmes à gouverner autrement des sociétés différentes, transformées par les acquis d’une connaissance vraie d’un nombre croissant de phénomènes, mutation qui, libératrice des préjugés et de la peur, augmentera la liberté de chaque individu devenu dès lors rebelle à la domination des uns sur les autres.» (p.110)
Des propos qui font hurler les bien-pensants d’Amsterdam au XVIIe siècle et qui pourraient faire sourciller bien des conservateurs s’ils osaient ouvrir ce livre.

Enquête

«Bénédicte sous enquête» reprend les grandes questions que les humains se posent depuis qu’ils ont pris conscience de leur existence et de la mort. Quel plaisir de plonger dans ces textes qui bousculent la société et les religions, les croyances et les dogmes. C’est rafraîchissant dans une époque qui carbure à la bêtise de l’opinion et des sondages. Andrée Ferretti choisit la réflexion et, à la toute fin, quand l’ultime fragment est signé par Bénédicte Spinoza, on se met à rêver. Est-ce possible?
Voilà une belle matière à un autre roman… Un court ouvrage bien mené qui, par le biais de l’histoire et de la philosophie, nous ramène au temps présent. Une habile façon d’apporter les idées dans la littérature et de réfléchir à la condition des femmes au cours des siècles.

«Bénédicte sous enquête» d’Andrée Ferretti est paru chez VLB Éditeur.
http://www.edvlb.com/andree-ferretti/auteur/ferr1017