L'oeuvre fut d'abord présentée en Italie, au «teatro della limonaia de Sesto» de Florence dans une version italienne. Elle a connu un grand succès à Montréal dans la mise en scène de Serge Denoncourt.
Un texte fascinant par son propos et sa facture que j'ai lu à deux reprises, pour m'imbiber de ce langage envoûtant. Parce que c'est aussi un délice de lecture que «ces pigments écarlates, du vin sacré et de l'hémoglobine, c'est tout ce rouge qui coule en nous, de nos sexes à nos âmes. C'est la collision des extases, ce sont des mensonges déguisés en conte.» Les mots sont de Michel Marc Bouchard.
Ce texte nous entraîne à Saint-Coeur-de-Marie, en 1918, fin de la première guerre. La grippe espagnole ravage les campagnes, ce pourrait tout aussi bien être le sida. Les hommes sont partis à la guerre ou bien ils fuient comme des ombres dans la forêt pour échapper aux militaires.
Une boucle
Cette oeuvre théâtrale s'ouvre et se termine de la même façon. «Un triptyque. Ce sera un triptyque», lance l'ange annonciateur en prologue. Dans l'épilogue le même personnage répète: «Et c'est ainsi que dans ce village, de génération en génération, on réinventa, de chuchotements en chuchotements, l'histoire de ce triptyque qui ornait le choeur de l'église. Les personnages parlaient une langue biblique. Tous ces mots empreints de sang, de guerres séculaires, d'inventions et de miracles.»
Le ton est lancé. La tragédie est devenue oeuvre d'art. Un monde sublimé qui échappe à toutes contraintes. Michel Marc Bouchard invente un univers où tout est poussé à la limite. Un ange présentateur qui tente de nouer la narration et des personnages qui gravitent autour du peintre, qui dansent comme des atomes autour du noyau. Un questionnement sur l'art, la création et des personnages hantés par des forces qui les jettent hors d'eux-mêmes.
Des êtres inquiétants. Un docteur qui souhaite découvrir l'âme humaine en charcutant ses patients, une jeune femme qui accompagne les morts et les délivre de leurs secrets inavouables.
L'oeuvre d'art devient un viol ou un rapt du modèle. Comme les anges dans la Bible ravissent les vierges. Le geste du prédateur qui dévore son sujet.
Un cri, un langage qui déborde des normes habituelles et qui tient de la prière et de l'incantation.
«Quand il pose ses yeux sur moi, quand il me fixe de son regard, il me vient toutes sortes de pensées. Le sol s'ouvre en dessous de moi et tous les croquis inachevés, toutes ces femmes sans visage, m'invitent à me blottir dans leurs bras... Et je le regarde encore et encore et je m'envole encore et encore, toujours plus haut.» (p.64)
Le spectateur ou le lecteur s'imbibe de ce monde marqué par la religion, de cet univers où tout est tourment, déchirements et hallucinations. Surtout une folle histoire d'amour qui retourne l'être et le consume pour ne laisser que des cendres. Tout simplement fascinant et j'ai terriblement hâte de voir ces personnages bouger sur scène et devenir humain. Ils deviendront l'impossible, tout ce qui peut arriver quand les instincts de vie et de mort sont poussés à leur paroxysme. Michel Marc Bouchard a écrit ici une oeuvre puissante.
«Le peintre des madones» de Michel Marc Bouchard est paru aux Éditions Leméac.