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jeudi 3 octobre 2024

LE REGARD UNIQUE DE PIERRE SAMSON

EUGÈNE ROLLAND est professeur d’université, spécialiste des textes anciens, chargé de cours malgré un parcours exemplaire, n’ayant jamais eu accès au cénacle des enseignants titulaires et à leurs privilèges. Il a fait face à bien des intrigues et aux manigances qui secouent le monde universitaire. Homosexuel, il a connu l’amour, mais son ami est décédé du sida, il y a un certain temps. À soixante ans, il envisage de partir à la retraite même s’il adore ses étudiants et qu’il n’a pas tout à fait renoncé à certains élans physiques. Il n’est jamais insensible à ces beaux mâles qui traversent son territoire de temps à autre. Son quotidien prend un tournant imprévu cependant et il devra remettre en question tous les principes qui ont guidé sa carrière. La vie n’est jamais une ligne droite et un événement peut tout faire basculer.

 

Fin observateur des agissements de ses concitoyens et surtout de leurs côtés les moins reluisants, Pierre Samson, dans L’irréparable, par les yeux de son personnage Eugène, brosse encore une fois un portrait décapant de la société actuelle. Rien n’échappe à cet observateur impitoyable. Les médias, l’université, les collègues, les étudiants, le monde politique et tous ceux qui exercent un certain pouvoir et qui marchent sur les pieds de leurs proches. Eugène me fait penser à certains oiseaux de proie qui voient tout. Il fustige la médiocrité, l’ignorance et la bêtise, surtout il déteste l’insignifiance. 

Il faut se méfier cependant et ne pas trop s’attarder aux entourloupettes de Samson. En dépit de ses facéties et ses coups de griffe, il reste un humaniste, un observateur attentif de la société et de son évolution. Certains trouvent grâce à ses yeux. C’est rassurant. 

J’adore.

Un cynisme certain, bien sûr, mais aussi une tendresse qui finit par s’imposer malgré les indignations de l’écrivain et sa plume bien affûtée. 

 

«Plusieurs se désoleraient de constater qu’un demi-siècle de télévision lénitive, de littérature édifiante, de dramaturgie vertueusement parlant irréprochable et faite sur mesure pour la marmaille, toutes ces jolies choses trafiquées, triturées, mastiquées jusqu’à ne former que des bouilles insipides, formatées par des censeurs déguisés en pédagogues, puis javellisées après être passées au tordeur de la bienséance avant d’être servies à notre précieuse progéniture, n’aura pas suffi à éliminer complètement certaines caractéristiques de l’humanité, à commencer par la goujaterie.» (p.28)

 

Pendant que beaucoup d’auteurs collent à l’oralité et à un style d’écriture qui se rapproche du bavardage, Pierre Samson prend la direction inverse. Il ose ce que plus personne ne fait actuellement. Il se montre toujours généreux, débonnaire, pas du tout avare de ses mots et de ses qualificatifs pour brasser une intrigue ou encore décrire un personnage avec une précision inquiétante. À peu près plus personne ne se risque à faire ça de nos jours. Son écriture est un défi et un pied de nez à la prose lisse et un peu «coton ouaté» de la plupart des auteurs contemporains qui s’embourbent dans la réalité et les tares d’un héros barouetté par la vie. Samson ne lésine jamais sur le crémage pour montrer les caractéristiques d’un personnage. Il raconte aussi une histoire comme personne n’ose le faire dans «ce pays qui n’est toujours pas un pays».

 

«Une boulotte, boudinée dans du Marie Saint Pierre, lui rend une main molle ployant sous les diamants, et tente un avorton de sourire. La façade de la pauvre femme a sûrement subi une suite de ravalements dignes d’une cathédrale sinistrée. Bref, elle leur offre un air de chat siamois où se serait installé à demeure un ennui insondable.» (p.55)

 

Qui ose ça dans une époque lisse où l’on bannit certains mots et où on ne désigne plus rien par son vrai nom? Oui, ça grince un peu parfois, mais c’est la manière samsonnienne. Il y a cependant des personnages qui échappent à la spatule de l’écrivain, des proches, je dirais. Eugène est l’un de ceux-là.

 

REGARD

 

Pierre Samson a bien raison de sonner les cloches parce que nous n’avons qu’à regarder autour de soi pour constater que nous pataugeons dans une fiction désolante pour ne pas dire aberrante. Nos élus nous parlent de prospérité et de progrès quand la planète implose. Nous nous comportons en sourd et en aveugle devant le pire qui est en train de se produire. Je pense à la terrible tempête qui a ravagé la Floride dans les derniers jours. Et comment imaginer qu’un Donald Trump puisse avoir des chances de redevenir président des États-Unis après tout ce qu’il a osé? Je sais, j’en parle souvent, mais cette aberration vivante m’obsède. Et que dire de notre Pierre Poilièvre qui prévoit un hiver nucléaire pour tous?

Il suffit d’enlever nos bandeaux et de regarder autour de soi pour comprendre que Samson n’a pas tort. Peut-être souffre-t-il d’une lucidité hors du commun et que l’écrivain, depuis son premier livre, est en quête de vérité. Il faudrait être bien mal intentionné pour refuser d’admettre que notre société repose sur le faux et le mensonge, l’image truquée, le maquillage quand ce n’est pas l’intelligence artificielle qui nous fait oublier la réalité. Tout cela pour sanctionner le culte du moi, se hisser dans des postes de prestige sans posséder les requis et les qualités nécessaires. 

 

ŒIL

 

Tout passe par le regard chez Pierre Samson. Rarement, j’ai lu un roman aussi visuel et descriptif que L’irréparable. L’écrivain prend plaisir à peindre ses personnages avec une précision étonnante et à les situer dans leur milieu de vie. Un artiste qui travaille à grands coups de spatule. Ce n’est jamais lisse et léché. C’est toujours esquissé à grands traits et Samson se montre particulièrement généreux en multipliant les couches et la pâte. 

Ça n’empêche pas ce cher Eugène de faire face à ses manies et ses habitudes, lui qui regarde tout avec dédain et avec l’œil de celui qui sait tout. Il perd son travail à l’université et est vite persuadé d’être la victime d’un complot ourdi par la direction et ses collègues. Son poste est pourvu par une jeune femme gentille qui devient rapidement son amie. 

Limier un peu compulsif, il s’attarde aux parutions d’Iréna Delagado Smith, sa successeure. Notre Sherlock relève des indices qui rendent sa remplaçante suspecte. Quelque chose cloche dans les publications de l’enseignante, comme si on avait voulu maquiller quelque chose ou encore trafiqué les écrits de quelqu’un. Eugène soupçonne la fraude intellectuelle et poursuit son enquête. 

Inconsciemment, il provoque le drame. Iréna est victime de son ex-mari qui n’accepte pas d’avoir été largué. Une tragédie que l’on décrit régulièrement dans les médias. Un féminicide, un autre, un de plus, un douzième peut-être depuis le début de l’année au Québec. Eugène a montré la piste qui menait à la jeune femme en téléphonant à un ancien collègue aux États-Unis. 

Il se sent responsable de ce meurtre. 

Dans les dernières pages de L’irréparable, je me suis retrouvé dans un polar qui m’a tenu en haleine. L’humain refait surface, l’empathie, la tendresse, les sentiments qui lient des amis et des amoureux. Je dirais que la compassion, la vraie, la réelle et la sensible, triomphe enfin du cynisme dans l’élan de la fin. 

Ça fait tellement de bien.

 

SÉVÉRITÉ

 

Reste que Samson est sévère en dépeignant la société contemporaine et le monde qui l’entoure. J’ai éclaté de rire devant certaines extravagances, parce que l’écrivain a un humour particulier et le sens de la caricature. Il sait être bitch souvent. Ce prosateur retourne une intrigue dans un bout de phrase, un regard et une courte description qui vous coupe le souffle et vous laisse sans mots. J’ai vu un tableau de Van Gogh dans cet extrait qui vous transporte ailleurs, ce coucher de soleil peint de façon magnifique et généreuse. C’est ça aussi Pierre Samson.

 

«Le bon professeur Rolland se laisse aller à contemplation de l’astre mourant déteignant sur l’horizon : un violet de gentiane semble émaner du minaret et pulser des gerbes de sang, des coules d’or, de chlorophylle, des rubans de soie orange qui inondent la voûte qui s’assombrit, glissant d’un bleu hésitant à un noir aveugle, à mesure que le lent basculement vers la nuit s’opère devant l’observateur installé à sa fenêtre, enveloppant les immeubles et les rares parcs dans des ténèbres opaques bafouées uniquement par les phares des voitures, les réverbères, quelques néons, la lune.» (p.221)

 

L’irréparable reste un texte attachant et étonnant. Eugène doit admettre qu’il a fait un faux pas et qu’il est tout aussi caricatural que ceux qu’il juge et a toujours vu de haut. Il fait partie de la meute et le prix à payer pour sa nouvelle lucidité est terrible. Un roman un peu étrange par sa forme et son phrasé, une manière qui détonne dans le défilé littéraire contemporain, mais une pensée, un regard qui sait trouver le travers, le ridicule dans nos grands débats qui tournent souvent à la parodie. Pierre Samson est formidablement conscient et j’ai toujours un immense plaisir à le suivre dans ses extravagances et son écriture généreuse.

Ce qui importe chez lui, c’est le contact avec l’autre, l’amour, la complicité et la tendresse entre un homme et une femme, un homme et un homme.

 

SAMSON PIERRE : L’irréparable, Éditions Héliotrope, Montréal, 280 pages.

https://www.editionsheliotrope.com/livres/lirreparable/ 

jeudi 31 décembre 2020

UN MONTRÉAL PLUTÔT MÉCONNU

PIERRE SAMSON DANS Le Mammouth, présente une ville de Montréal que nous retrouvons très rarement dans nos productions romanesques. L’écrivain nous plonge dans les années trente, dans des milieux de migrants qui échouent à Montréal pour le meilleur et le pire, avec seulement leurs vêtements dans la plupart des cas. Ils survivent en exécutant des petits travaux, se regroupent dans des quartiers délabrés, créant des ghettos où ils se replient sur eux et entre eux. Ils partagent leur faim et la méfiance, surtout envers les francophones, se battent pour une soupe, prisonniers d’une langue que peu comprennent en dehors de leur cercle. Tous vivent une terrible indigence au quotidien, la misère dans leur corps et leur tête. En plus, ils doivent se faire invisibles parce qu’à la moindre incartade, ils risquent d’être entassés sur un bateau et retournés dans leur pays d’origine où la situation est encore pire.

 

Les années trente à Montréal et au Canada, c’est le gouvernement Bennet qui entretient une véritable psychose envers les communistes qu’il voit partout et qu’il tient responsable de la plus petite manifestation ou mouvement d’humeur au Canada. Au Québec, c’est Louis-Alexandre Taschereau qui est premier ministre depuis 1920. Il en est à ses dernières années de pouvoir après avoir régné sur la province pendant une grande partie de sa vie. Maurice Duplessis est élu chef de ce parti qui deviendra l’Union nationale du Québec la même année. La crise économique frappe durement les entreprises et les travailleurs les plus démunis écopent comme toujours. Pas d’assurance-chômage ou d’aide sociale. Tous doivent se débrouiller comme ils peuvent. 

La situation est difficile pour tout le monde, surtout pour ces immigrants qui confrontent l’hiver implacable dans des logements insalubres et qui étirent la soupe pour calmer leur estomac. C’est le cas de Nikita Zynchuck, immigrant d’origine polonaise au passé un peu trouble, surnommé le mammouth à cause de son physique imposant. Sans emploi, comme à peu près tous ses concitoyens, il survit dans une solitude terrible. Il connaît la faim, le froid, la vermine dans des chambres laissées à l’abandon, les longues marches dans la ville pour se réchauffer et avoir peut-être l’impression d’être toujours un vivant, de faire partie d’une société qu’il a du mal à comprendre. 

 

PERSONNAGE

 

Le véritable personnage de ce roman de Pierre Samson est Montréal avec ses quartiers bien délimités, ses populations venues d’Europe de l’Est surtout, des séparations marquées par des rues et des quadrilatères. Les francophones sont massivement regroupés dans l’Est. La rue Saint-Laurent est une frontière et tous se méfient de «ces étrangers» dont on ne comprend pas la langue et qui, pour la plupart, ne fréquentent pas les églises. L’écrivain nous entraîne dans un univers de misère, de famine où le racisme et la peur sont la norme. Chacun se tient avec les leurs et ne s’aventure jamais dans un autre territoire ou quartier de la ville, sauf peut-être pour des êtres d’exceptions que sont les syndicalistes, les activistes qui cherchent à influencer le cours de l’histoire et à aider les éclopés du mieux qu’ils peuvent.  

 

Nick, en bon chrétien, avait décliné l’offre. Mais, planté là sur le trottoir, rongé par un désespoir insondable, suivant des yeux un tramway glissant sous un ciel quadrillé de câbles et de fils noirs, il ne peut s’empêcher de penser qu’Anselmi a raison malgré tout : la pauvreté, c’est la guerre. Et les curés, les prêtres mangent à leur faim, peu importe l’autel devant lequel ils officient. (p.23) 

 

C’est surtout un Montréal dominé par la finance étrangère, où les truands trouvent toujours une façon de profiter de la situation et de faire des sous sur le dos des indigents en s’acoquinant avec le pouvoir. Tous les commerces affichent des bannières en langue anglaise. Samson décrit une ville anglophone où les affaires se passent dans cette langue. Camilien Houde a dû céder sa place à Fernand Rinfret à la mairie. Une métropole vivante, sale, grouillante de tramways qui roulent dans toutes les directions, d’automobiles qui commencent à se faufiler partout et des chevaux qui résistent à la modernité comme des vestiges d’une autre époque. Un milieu où tout change et se modifie au jour le jour, où la faim peut pousser à des gestes extrêmes. 

 

Pendant qu’il poursuit son soliloque, Simone laisse son esprit muser au fil des portes qui défilent comme autant de cadres bordant des exemples de désespoir quotidien : femmes mûres édentées, métisses à la blondeur oxygénée, longues rousses aux yeux caves, adolescentes au visage peinturluré et aux corsages lâches, garçonnets en haillons patientant au pied d’un perron. (p.125)

 

C’est surtout l’hiver, la neige, le vent impitoyable, la sloche, l’humidité qui s’installe dans les taudis, s’insinue sous les vêtements usés et rapiécés. C’est la ville qui va donner le roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, quelques années plus tard, en 1945. Un portrait inoubliable des francophones de Saint-Henri. Les chats errants et les rats ont la vie belle dans cette métropole grouillante et cosmopolite, surtout près du port où la misère côtoie l’opulence et la richesse. 

Les usines exploitent les gens et certains syndicalistes et communistes tentent de venir en aide aux travailleurs qui se font mettre à la porte du jour au lendemain. Des noms surgissent. Celui de Fred Rose, un partisan communiste qui sera même élu député et Bella, une militante qui m’a rappelé Léa Roback, cette féministe, communiste, elle aussi d’origine polonaise, qui s’est imposée dans des luttes pour les droits des ouvriers et pour améliorer la condition des femmes. Samson se moule à la réalité et décrit Montréal dans sa laideur, ses beautés, ses odeurs et sa saleté, dans toute sa différence et mouvance. Le portrait est saisissant et perturbant. 

 

DRAME

 

Devant l’inéluctable, quand les locataires sans revenus ne peuvent plus payer le loyer d’un appartement minable, la justice intervient en saisissant tout ce qu’ils peuvent trouver sur place et en expulsant des familles qui se retrouvent sur le trottoir. Ce sont les francophones qui appliquent la loi et qui comptent sur l’appui des forces de l’ordre pour exécuter les mandats. Les policiers sont toujours là pour voir à ce que les pauvres déguerpissent sans faire d’histoires et pour que les huissiers puissent travailler en toute quiétude.  

 

— Vous êtes à Montréal. Si les rouages des affaires sont aux mains des… Britanniques, la gestion politique, la justice criminelle par-dessus tout, ont été confiées en grande partie aux Canadiens français, qui s’acquittent admirablement bien du travail aux yeux de plusieurs. Par contre, ils gardent une certaine, comment dire, timidité devant l’inconnu. (p.117) 

 

Lors de l’une de ces interventions, les policiers abattent Nikita Zynchuck dans la confusion. Une balle dans le dos. Un agent un peu nerveux, d’origine italienne, un admirateur de Mussolini, fils d’immigrants comme ce Polonais, tire sans trop savoir ce qu’il fait. Il ne sera pas importuné, on s’en doute. Ce n’est pas sans rappeler certains événements récents. La mort de George Floyd par exemple qui a été littéralement étranglé par un policier lors de son arrestation à Minneapolis. Des images qui ont fait le tour du monde et enflammé la planète. Comme quoi l’histoire se répète et que rien ne change même si nous imaginons avoir fait un grand pas vers la civilisation et l’égalité avec nos gadgets électroniques.

La mort du Polonais fera en sorte que la colère et les frustrations se canalisent et que des manifestations risquent d’éclater un peu partout, surtout lors des funérailles qui deviennent un événement où tout peut exploser. C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Toutes les associations se mobilisent pour en faire un cas d’espèce. Les syndicats, les communistes, les activistes entendent bien profiter de la situation pour s’imposer et pour dénoncer l’exploitation et les injustices. Tout peut sauter et on craint les émeutes après un simulacre d’enquête préliminaire.

 

INNOCENCE

 

Mélange explosif que celui que décrit Samson. Politiciens véreux, policiers sûrs de pouvoir tout faire sans avoir à répondre de leurs actes, migrants dans la misère extrême, vivants dans la crainte d’être déporté. Situation tendue, propre à la révolution peut-être qui ne viendra jamais comme nous le savons dans «ce pays qui n’est toujours pas un pays». Usines où l’on exploite les travailleurs dans des conditions lamentables, productions aux plus bas coûts possibles et accidents qui laissent des gens sur le trottoir, sans aucune compensation, dans la plus terrible des indigences. Certains, à peine sorti de l’adolescence, sont déjà sourds à dix-huit ans tellement le bruit est infernal dans les salles où tournent les métiers. 

Une fresque magnifique que Samson rend vivante et captivante. L’écrivain prend plaisir à décrire ces quartiers, comme si une caméra curieuse et libre circulait dans les rues en captant tout pour en montrer les commerces anglophones, les logements délabrés qui illustrent parfaitement la situation qui couve dans cette cité multiethnique où il faut se battre pour survivre. Époustouflant, le regard de Samson. Il fait vibrer ces lieux tels des caisses de résonnance. Voilà un grand corps qui bouge et se démène devant nous. Le lecteur voit, respire, entend la ville. On la surprend dans ses odeurs et ses effluves qui ne sentent pas nécessairement la rose, le bruit infernal des tramways ou encore aux alentours des usines où le sol frémit et l’air devient toxique. C’est magnifique comme travail et il faut du souffle pour montrer une époque, cette tension qui hante le Montréal que l’on aime maintenant. 

Un formidable roman qui nous fait vivre une page d’histoire méconnue, décrit des aspects de la métropole dont nous n’osons pas souvent parler. Une écriture admirable de précision qui nous emporte dans un véritable tourbillon avec des personnages attachants. Du meilleur pour Pierre Samson, un mélange parfait de fiction et de faits réels, de vrais humains qui luttent, sentent et tentent de secouer le présent, d’oublier un passé de misère en s’implantant dans une ville d’Amérique où la vie ne se laisse pas apprivoiser facilement. 

 

SAMSON PIERRELe MammouthÉDITIONS HÉLIOTROPE, 368 pages, 17,99 $.

https://www.editionsheliotrope.com/librairie/133/le-mammouth#

samedi 18 mai 2013

Samson et Laverdure jouent le jeu de la vérité


Bertrand Laverdure et Pierre Samson, dans «Lettres crues», se lancent dans une correspondance à l’incitation de leur éditrice. L’échange donne des propos percutants, parfois impertinents, souvent émouvants.

Bertrand Laverdure
Pierre Samson
Les propos sur la littérature, les écrivains, le monde littéraire ont de quoi hérisser. Surtout ceux de Pierre Samson. Peu d’écrivains trouvent grâce à ses yeux.
«Réglons le cas de mon zona, puisque tu le mentionnes dans ta lettre. Admettons que c’est un problème somme toute mineur, un sain exercice de zénitude avant mon départ pour le Japon. Le pire avec ce virus, c’est la douleur constante, pulsative, quoique modérée, qui a meublé mes jours comme mes nuits. Et, franchement, encaisser un zona, c’est comme lire un roman de Victor-Lévy Beaulieu: vous savez que vous êtes confronté à quelque chose de plus fort que vous, c’est une marée puissante faite d’élancements dans un cas, polluée par d’innombrables débris littéraires [et coupants] dans l’autre, dont Ferron, Aquin, Ducharme et, bouée de sauvetage, Joyce. Peu importe de laquelle de ces épreuves il s’agit ici, l’évocation d’un dix-huit roues lancé à tombeau ouvert sur une autoroute du 450 et vous imprimant pour de bon sur l’asphalte prend alors des airs de libération.» (p.12-13)
Bertrand Laverdure, heureusement, même s’il a des idées sur ce que doit être un roman et l’écriture, se montre plus tolérant.
«…VLB, si on met sa poésie de côté, a pondu des œuvres majeures, que ce soit dans le domaine de la biographe d’écrivain (Melville, Joyce, Voltaire), du roman-fleuve, du roman poétique, de l’étude sur l’édition au Québec, de l’essai en général et du téléroman à succès. Il est un monument de nos lettres ET un histrion éhonté de notre histoire littéraire.» (p.19)
Samson ne semble guère lire ses contemporains, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des idées tranchées, surtout sur le travail des chroniqueurs.
«Je nous demande d’éviter le piège de l’indéfinitude, zona de la prose québécoise, notamment chez nos tortionnaires en pantoufles, les chroniqueurs : Mort au «on»! Je n’en peux plus de ces fadaises indéterminées, de cette présence floue, de ce «nous» de bigleux, de ce «je» outremontais, c’est-à-dire un «nous» monarchique non assumé, et avec raison.» (.12)
Une fois à Tokyo, dans une résidence d’écrivain, Samson crache souvent dans la soupe, se moque des fonctionnaires, des manies des Japonais et peut-être aussi des siennes. Il a l’œil pour débusquer les travers de ceux qu’il approche.
Laverdure, à Saint-Ligori, découvre la vie à la campagne, fait preuve d’une franchise troublante quand il raconte ses misères de jeunesse et ses expériences.

Recherche

Quand les deux écrivains tentent de cerner le pourquoi de l’écriture ou leurs ambitions, la quête, malgré les doutes et les obstacles, devient vibrante. Les deux cherchent un ancrage au cœur des mots, un monde où l’imaginaire et le réel peuvent se colletailler. Ils bousculent leur désir de renouveler la littérature en la forçant à aller au-delà de la vie peut-être et des sentiers trop fréquentés. Comment ne pas aimer? C’est chaud, vivant, même s’ils m’ont fait rager souvent.

«Lettres crues» de Bertrand Laverdure et Pierre Samson est paru aux Éditions La Mèche.