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jeudi 10 mai 2018

ALAIN OLIVIER COMBLE UN VIDE

ALAIN OLIVIER s’aventure dans un espace occulté de notre histoire dans Neka (maman en langue innue) ou, si l’on veut, dans un vide inquiétant. Si nous connaissons les pérégrinations des Français en terre d’Amérique, le visage des Autochtones reste discret pour ne pas dire inconnu. Un aspect que Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque ont tenté de combler dans Le peuple rieur, racontant les Innus et leur histoire singulière. Alain Olivier se tourne vers les femmes autochtones qui ont connu l’homme blanc, ces mères dont on n’a jamais retenu le nom et qui ont disparu sans laisser de traces. Toute la place a été prise par le mâle qui a imposé son nom et sa lignée. Combien de femmes restent des fantômes, des mères qui se sont perdues dans les replis et les vagues du temps.

C’était il y a quelques années. J’ai commencé par hausser les épaules en étudiant l’arbre généalogique de ma famille que l’un de mes frères avait commandé à un spécialiste. Je dois l’avouer, je ne me suis jamais tellement passionné pour ce genre de recherche même si cela peut avoir son importance. Il semblerait que notre ancêtre français, quand il a débarqué en Amérique, quelque part en Acadie, a vécu avec une Micmaque. Notre famille serait née de ce couple improbable et les descendants se sont installés un peu partout sur le continent américain. Cette ancêtre de tous les commencements n’a pas de nom et encore moins de visage dans le document. Juste l’homme venu de France et elle, cette arrière-arrière-arrière-grand-mère invisible, réduite à trois petits points dans une case, comme une branche morte dans un bouleau. Ma première mère en Amérique serait un esprit, un espace vide à côté d’un migrant français. Ce fut une révélation et surtout le début d'un questionnement. Je me suis demandé surtout si c’était vrai et possible. Alain Olivier m’a rappelé ce moment particulier où j’ai en quelque sorte renié celle qui a permis que je sois là et que j’écrive cette chronique.
Et j’ai pensé aux autorités chinoises pendant la révolution culturelle qui « effaçaient » certains personnages officiels quand ils ne répondaient plus aux exigences du Parti communiste. On biffait la photo des documents et ces hommes et ces femmes n’existaient plus, éjectés qu’ils étaient de l’Histoire.
Alain Olivier dans Neka entreprend d’esquisser des visages dans ce flou historique, de faire une place à ces femmes aimantes, souvent abandonnées à leur sort avec leurs enfants. Une page peu reluisante de notre passé que l’on tente d’écrire maintenant, souvent de façon maladroite. Depuis un certain temps, il est bon de se trouver des racines ou des ancêtres autochtones. Les temps changent et je ne suis pas certain que cette quête se fasse pour les bonnes raisons.

DÉBUT

Alain Olivier nous ramène à ce jour lointain où des Français arrivent dans ce lieu qui allait devenir Québec, la ville, la capitale nationale. Un matin où des Blancs débarquent de leur grand bateau, construisent une étrange habitation et côtoient des Hurons-Wendat, certainement. Un premier contact, des gestes, des regards, des rencontres qui se sont déroulées parfois de façon un peu étrange.

Il s’est retiré aussitôt, maussade et renfrogné. Il est parti brusquement, sans même saluer son hôtesse. Elle l’a regardé d’un air étonné. Elle ne comprenait pas sa hâte. Elle se serait attendue à tout le moins à un sourire, à une caresse, à un baiser. Quand elle l’avait vu accoster dans ses terres, elle s’était imaginé qu’il venait pour elle. Elle mit du temps à saisir que faire connaissance ne l’intéressait pas. Ou qu’il s’y refusait. Il construirait une maison non loin de la sienne. Mais la rencontre n’aurait jamais vraiment lieu. (pp.15-16)

L’arrivée de ces conquérants en terre d’Amérique, leur installation sur des terres occupées, leur manière de faire avait tout d’un rapt et d’un viol. Ils s’appropriaient, sans demander de permissions, sans négocier, des territoires et des forêts immenses. Ils n’étaient pas des émigrants comme on aime le répéter de nos jours, mais des envahisseurs qui se sont imposés par les armes et qui ont profité de la grande tolérance des peuples autochtones pour tout prendre.
Le moment historique est raté. Le Français réduit cette jeune femme à l’état d’objet sexuel qu’il rejette après éjaculation. C’est la plus terrible et la plus horrible négation de l’individualité d’une femme.

Mais les semaines passant, elle en était venue à s’interroger sur la nature de cette pulsion vite transformée en dédain. Elle ne pouvait se défaire du sentiment qu’on s’était servi d’elle. (p.18)

GARÇON

Naît un garçon qui a les yeux bridés de sa mère et les cheveux blonds du père. Une lignée débute et traverse les saisons, les époques, connaîtra les soubresauts d’une histoire que nous connaissons surtout par les yeux du conquérant. Les Autochtones acceptent ce petit métis et il devient l’un d’eux. La jeune femme donne naissance ainsi à une nation métisse, celle qui assure le lien entre les peuples d’Amérique et les arrivants européens.
Alain Olivier nous fait traverser les siècles. Nous le savons, les Français s’installeront le long du Saint-Laurent et abattront les arbres pour cultiver la terre. D’autres viendront pour transformer le visage de l’Amérique. Cette descendance métisse subit les soubresauts de l’histoire, hésitant pendant un certain temps entre la vie des nomades et des sédentaires, subissant les grands bouleversements qui transforment la vie de tout le monde.

Elle le chérissait, en dépit du fait qu’on le lui avait imposé. Comment aurait-elle pu ne pas aimer la chair de sa chair ? Certes, cela n’avait pas été facile au début. Quand elle posait son regard sur lui, elle devait faire un effort pour ne pas songer à son bourreau de Tadoussac. C’est qu’il avait les mêmes cheveux que lui, des cheveux clairs comme les rayons dérobés à un soleil d’été. Mais il avait hérité de ses yeux à elle et, quand elle décidait d’y plonger, elle avait le sentiment de s’immerger dans un lac aux eaux tranquilles. (p.79)

La traite des fourrures, le commerce du bois, l’agriculture, le travail dans les scieries, jusqu’à la période contemporaine où François, le dernier de cette histoire inconnue, cherche à savoir qui était sa mère, qui étaient ces femmes qui ont permis à sa famille de s’installer sur cette terre et de survivre dans un climat qui défiait l’imaginaire.

VISAGE

Les archives ne disent rien de ces femmes sans nom, tout comme il est difficile de suivre les filles du Roy dans les documents officiels. Comment trouver la partie manquante de son histoire, le côté obscur de son identité ? Nous ne pouvons y arriver que par la fiction et l’imaginaire, que par la littérature qui permet de se réinventer.

François n’avait jamais parlé à son fils de ses origines. Lui-même n’avait pas connu sa mère. Elle avait mal réagi au chloroforme qu’on lui avait fait respirer pour l’anesthésier lors de son accouchement. Le cœur avait subitement cessé de battre. Elle avait perdu la vie en lui donnant la sienne. N’en avait-il pas été ainsi de toutes celles qui l’avaient précédée ? Elles avaient tellement peur de couper les ailes à leurs fils qu’elles s’effaçaient pour qu’ils pussent prendre leur place. Et ce sont les pères qui ont fini par occuper le terrain, en s’emparant de tout ce qu’ils y trouvaient. Ils avalaient tout, comme des ogres. Même la vie de ces femmes pourtant fortes. (pp.129-130)

Il faut se rappeler que l’on a voulu éradiquer les Indiens et en faire des Blancs avec la triste saga des pensionnats. Comment alors faire une place à « ces orphelines de visage » comme l’écrit si bien Nicole Houde, à toutes ces jeunes filles qui ont épousé des Blancs et perdu leur identité et leurs droits dans leur communauté d’origine.
Et la scène se répète au cours des siècles. Un sourire, un regard, un viol à Tadoussac, de belles rencontres aussi, heureusement, des histoires d’amour et des vies de femmes remarquables.
Si Serge Bouchard a suivi les traces des grands oubliés de notre histoire, Alain Olivier imagine ces femmes invisibles, ces victimes qui ont consacré leur vie à leurs enfants, sacrifiant leur corps et leur bon vouloir, donnant naissance à une nation, un peuple singulier sur cette terre d’Amérique.
L’écrivain trouve le moyen de s’inventer un passé et des souvenirs. C’est là le rôle essentiel de la littérature, soit de nous donner une mémoire et une présence dans la course du temps. Il le réussit bellement dans Neka, un roman à lire, nécessaire, touchant et important. Chose certaine, il m’a rappelé mon ancêtre dont je ne sais rien. Cette femme sans nom, sans visage, effacée et niée par l’histoire des hommes que je porte en moi.


NEKA d’ALAIN OLIVIER est une publication de LÉVESQUE ÉDITEUR.


http://levesqueediteur.com/neka1.php

mardi 22 novembre 2016

Et si Charles Darwin avait été très mal compris

UN PROFESSEUR DE BIOLOGIE se rend au Chili pour un colloque et en profite pour prolonger son séjour en compagnie de sa femme. Les voilà sur les traces de Charles Darwin qui a visité le pays dans les années 1830 lors de son célèbre voyage. Un périple de presque cinq ans qui devait changer le regard du naturaliste sur le monde et les êtres vivants. Le narrateur se questionne sur les concepts, les hésitations de Darwin, l’évolution des espèces. Une pensée qui a bouleversé les idées convenues sur les origines du monde. Une véritable révolution que nous n’avons peut-être pas comprise et que nous interprétons souvent de façon erronée.

Charles Darwin, en publiant L’origine des espèces en 1859, presque trente ans après la fin du voyage qui allait changer son regard sur l’univers, bousculait la pensée de ses contemporains, remettait en question leur rôle sur la planète. Un tournant qui secoue les croyances, ébranle les concepts religieux qui avaient des réponses à toutes les questions. Certains regards ont bouleversé des dogmes au cours des siècles. Il en a été ainsi quand Nicolas Copernic a démontré que la Terre tournait autour du Soleil, abolissant la certitude que notre planète était le coeur de l’univers. Charles Darwin, en parlant de l’évolution et de l’origine des espèces, de la diversité des êtres qui ont tous une même origine, bouleversait les certitudes de son époque. Et surtout, il ébranlait l’affirmation que l’homme avait été créé par Dieu et qu’il était devenu par l’effet même le maître du vivant.

Il y a des centaines de millions d’années que cette histoire a commencé. Comme son fil conducteur n’est pas du tout explicite, plusieurs personnes, depuis des temps immémoriaux, ont tenté d’en deviner le scénario. Or, plus on en sait, plus on en vient à douter qu’un tel scénario existe. C’est comme si l’évolution de notre planète empruntait les mêmes chemins tortueux que la genèse d’un roman. (p.62)

L’humain, sa place, son rôle changeaient du tout au tout avec les idées de Charles Darwin. Il devenait une espèce vivante, parmi les autres, l’une de celles qui avaient réussi son adaptation de façon spectaculaire. Il en a été ainsi de la découverte de la relativité par Albert Einstein qui allait réviser les lois de la physique et permettre de penser autrement les forces qui régissent l’univers. Voilà des tournants de la pensée humaine qui modifient totalement notre regard sur la vie, la place de l’homme dans l'histoire et nos façons de faire.
Mais a-t-on lu Darwin, l’a-t-on bien compris ? On a souvent réduit son regard à des clichés voulant que « l’homme descende du singe » sans trop se demander ce que cela signifiait vraiment. 

Le manuscrit de L’origine des espèces était d’ailleurs à peine sous presse qu’il faisait déjà l’objet de commentaires. On s’en était fait une idée au préalable et son auteur lui-même n’y pouvait pas grand-chose. Il eut beau s’offusquer ensuite de quelques raccourcis, on objectait invariablement qu’il le faisait pour éviter de voir la planète se déchaîner contre lui. J’imagine qu’il a dû en ressentir une certaine amertume, même qu’il appréhendait depuis longtemps la réaction du public au pavé qu’il s’apprêtait à jeter dans la mare. (p.117)

VOYAGE

Alain Olivier, docteur en biologie végétale, réfléchit sur sa vie et celle des humains en voyageant au Chili, terre séduisante avec ses lacs d’une beauté saisissante, ses volcans, sa flore et sa faune. Un pays qui allait contribuer à changer la pensée du jeune Darwin lors de son périple autour du monde, étudiant, collectionnant les fossiles et les plantes, des ossements d’animaux et les pierres. Le couple met ses pas dans ses pas, fait des liens avec ce chercheur fascinant.
La vie sur Terre, à partir des bactéries, s’est diversifiée de façon étonnante et a donné naissance à un nombre incalculable d’espèces. Tous les êtres vivants ont une même origine et ont évolué grâce à une sélection qui variera selon les lieux. L’humain devenant une sorte d’anomalie avec sa capacité de penser, de discuter, d’analyser et d’inventer des objets de plus en plus sophistiqués. Surtout qu’il n’a cessé au cours de son histoire de se donner une place prépondérante dans la chaîne du vivant.

Il est cependant loin d’être acquis que nous ayons été conçus pour être heureux. Si l’on se fie à ce que nous enseigne la théorie de l’évolution, notre rôle consisterait d’abord et avant tout à nous efforcer de transmettre nos gènes aux générations qui nous succéderont, de façon à garantir leur adaptation, au milieu et, par conséquent, la perpétuation de notre espèce. Il se pourrait bien que la quête du bonheur, comme celle du plaisir, s’avère une cause illusoire. (p.157)

RENCONTRE

Pas étonnant que le narrateur croise le fameux Darwin à quelques reprises, discute de sa vie et de ses découvertes. Il revient aussi sur son passé, les épreuves qu’il a traversées avec son épouse Julie, les liens avec son père et les beaux moments de son enfance au Lac-Saint-Jean. L’humain se heurte un jour ou l’autre au désir d’avoir des héritiers, de perpétuer la vie qui prend racine dans la nuit des temps et qui permet aussi d’établir un lien avec l’avenir.

Darwin donnera le coup de grâce à notre anthropocentrisme : non seulement l’être humain est-il issu de l’animal et n’occupe donc qu’une modeste place parmi tous les êtres vivants, mais il doit ses principales caractéristiques à la mécanique de l’adaptation. Autrement dit, il aurait pu être totalement différent de ce qu’il est aujourd’hui. La réalité de l’évolution rend donc difficilement concevable toute vision déterministe de la création. Les formes de vie, dans toute leur diversité, ne sont pas le fruit d’une intention divine. Elles n’ont pas été prédéterminées. Penser que l’être humain représente la finalité de la création n’a plus guère de sens. (p.166)

Ce roman devient un trésor de réflexions, d’observations, de considérations sur ce qu’est l’évolution, les comportements des vivants, particulièrement ceux des singes, ces frères qui sont peut-être l’illustration de ce que nous avons été. Ils sont certainement proches de ce que furent les humains.
J’ai aimé les discussions avec Darwin, le rêve de tout biologiste, j’imagine, comme tout écrivain souhaiterait rencontrer Shakespeare ou Cervantès pour surprendre leur pensée et évaluer ce qu’ils peuvent dire de leurs écrits, ce que nous avons déformé avec nos lunettes contemporaines ou ce que nous avons occulté.
Le roman nous permet de voyager entre le personnel et la réflexion sur la vie des humains, leurs étranges comportements, l’amour, la fidélité, les valeurs aussi qui permettent aux plus démunis de survivre dans une société souvent inhumaine.

Les résultats des travaux de Darwin nous enseignaient ainsi que l’altruisme n’était pas incompatible avec notre bien-être individuel. Il en était même la condition préalable. La morale ne nous avait pas été imposée par notre Créateur. Elle était née de notre évolution. Si elle nous appelait constamment à apprendre à vivre ensemble, c’était parce qu’il en allait de notre propre intérêt. Les conduites désintéressées avaient été sélectionnées tout simplement parce qu’elles nous étaient avantageuses. Et je comprenais tout à coup qu’en exécrant l’esclavage, qu’en prêchant les vertus de l’éducation, qu’en jugeant important de venir en aide aux nécessiteux, Darwin ne s’était pas inscrit en faux contre sa théorie de l’évolution. Il avait fait preuve, au contraire, d’une grande cohérence. (p.328)

La pensée de Darwin a souvent été mal comprise, servant à justifier des dérives qui ont faussé complètement l’approche du naturaliste. J’ai aimé suivre le narrateur dans ce voyage où il tente de trouver un ancrage à sa vie, sa place dans cette longue marche qui est celle de la présence humaine au cours des millénaires. Nous sommes ce que nous avons été et serons ce que nous sommes.
Il est un peu difficile d’imaginer que notre évolution continue et que l’humain, dans 10 000 ans, s’il n’est pas disparu dans ses cruautés guerrières, sera autre dans ses regards, ses comportements et ses manières de vivre en collectivité.
L’héritier de Darwin devient un texte nécessaire, une lecture que l’on devrait faire lire à tous les étudiants pour qu’ils puissent mieux comprendre le métier d’être humain, pour comprendre une évolution qui donne un regard autre sur tout ce qui nous entoure. Surtout, Alain Olivier nous fait prendre conscience de notre appartenance à la planète, à cette vie qui n’a cessé de se diversifier et de se modifier. Après tout, nous sommes les survivants d’une expérience qui n’a cessé de prendre des directions étonnantes au cours des millénaires. Notre formidable capacité de s’adapter aussi, qui fait que la vie reste possible.
Périple assez unique que celui d’Alain Olivier. Son roman a le grand mérite de présenter la vie d’une autre manière. Longtemps, après avoir refermé ce livre, j’ai regardé autour de moi, ne pouvant plus voir mon environnement de la même façon. Olivier nous offre une conscience et c’est un devoir d’accepter ce regard généreux.

L’HÉRITIER DE DARWIN d’ALAIN OLIVIER est publié chez LÉVESQUE ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : La Gouffre de CAROLE MASSÉ, paru chez XYZ ÉDITEUR.

lundi 15 août 2011

Alain Olivier ou le voyage intérieur

Vingt ans plus tard, Alain Olivier retourne au Mali, dans un pays qui l’avait séduit à l’époque. Pourquoi partir au bout du monde? Ces questions surgissent quand vient le temps de faire ses valises.
«Lorsqu’on part en voyage, on porte toujours en soi le secret espoir de réinventer sa vie. Personne n’y échappe, pas même le plus choyé des hommes. Même comblé- avec à ses côtés la plus ravissante des compagnes, un fils adorable, entouré d’amis fidèles, menant une carrière exaltante-, qui n’en vient pas certains jours à rêver d’une nouvelle existence?» (p.11)
Se réinventer pour devenir un autre. Il semble que ce soit la plus folle des utopies, mais il est difficile de ne pas y croire.
«On continue pourtant de se bercer de l’illusion que le voyage, inévitablement, nous transformera. Qu’il n’en restera pas que des photographies sur du papier glacé, ni mëme des souvenirs inscrits dans la mémoire, mais que ce qu’on y aura vécu sera gravé, buriné dans notre chair.» (p.11)
Il faut pour cela quitter son confort et aller vers l’autre. Le voyageur attentif se heurte à des différences et des croyances qui changent selon les lieux et les espaces.

Retour

Laissant sa famille, son fils avec qui il a fait un périple au Vietnam, Alain Olivier entreprend un pèlerinage aux sources, histoire de jauger où il en est. Il se rendra vite compte que tout bouge et que rien ne peut être pareil.
«Je détourne la tête, complètement désemparé. Je viens de réaliser soudainement que cet homme est mon miroir. Je voudrais retrouver la passion qui m’a tant fait aimer ce pays et j’attends, assoupi, qu’elle renaisse. Or, il y a des gens qui vivent là. Juste à côté. Tout près de moi. Comment se fait-il qu’ils me paraissent si loin. Qu’ils me semblent hors d’atteinte ? Qu’ils demeurent hors de moi. N’est-ce pas pourtant sur le continent africain que j’ai commencé, à vingt ans, à ne plus me sentir totalement étranger aux autres- et à moi-même?» (p18)
Le voyageur se laisse prendre par le rythme de ce pays enchanteur. Il s’attarde auprès des gens qui luttent tous les jours pour avoir un peu d’eau dans les campagnes. Des hommes et des femmes l’accueillent. Il prend un repas avec eux, écoute, sourit et écoute encore. Et le plus important: un arbre dans la savane, des rires, des moments uniques où la communication fait vibrer l’être et peut-être l’âme aussi.

Retour

Il reviendra pourtant, il faut toujours revenir. Il retrouvera sa compagne, ce fils à qui il s’adresse tout au long du récit. Celui qui rentre est toujours un peu différent et semblable. La vie, qu’on le veuille ou non, transforme le voyageur.
«Car le voyage, immanquablement, bouscule le voyageur. Il y découvre sa véritable identité et donc, forcément, ce qu’il y a de plus singulier en lui, son individualité propre, mais aussi le banal, le commun, c’est-à-dire son humanité et, par delà, celle de ses semblables. Et c’est ainsi que le voyage nous prépare à cet instant à la fois unique et universel où nous devrons tout laisser, de façon irrémédiable, derrière nous.» (p.316)
Voilà une belle occasion de réfléchir sur l’accueil, l’amitié et l’amour. Un plaisir que de suivre ce voyageur attentif qui prend le temps d’écouter, de regarder et de réfléchir. C’est l’art même de l’exploration intérieure.

«Voyage au Mali sans chameau» d’Alain Olivier est paru aux Éditions XYZ.

http://www.editionsxyz.com/auteur/98.html