Photo Annie Lafleur |
Élise Turcotte, dans Autobiographie de l’esprit, questionne
sa vie. Je suis souvent revenu à la pochette du livre pendant ma lecture. Ces
dessins évoquent les grottes de Lascaux, les illustrations qui ornent les murs
de ce refuge et qui en disent tant sur nos ancêtres les hommes et les femmes.
Il aurait peut-être fallu parler de « radiographie de l’esprit » avec Élise
Turcotte.
Jamais elle ne se contente d’une
suite d’événements. L’enfance, les parents, un incident qui oriente toute la
vie. Non. Si la plupart des autobiographies empruntent ce sentier, Élise
Turcotte refuse de s’y avancer.
Elle préfère les méandres de
la pensée, les chemins qui l’éloignent de la destination qu’elle pensait
atteindre. Alors l’écrivaine se livre totalement, nous emporte dans toutes les
dimensions de son esprit et de son univers.
Si je perds de vue un roman en chantier, au moment d’y retourner, j’erre
plus que jamais dans la maison, à la recherche de voix fantômes. Tout se passe
comme si je devais retrouver le fil du récit, non sur le papier, mais dans
l’air, ou dans l’ombre, ou dans le vide, ailleurs que dans les mots, cherchant
de pièce en pièce par où le reprendre. Ce fil, c’est la voix, le chant du
roman. (p.25)
Comme si Élise Turcotte refusait
tout, de l’écriture pour explorer « certains ravages » comme on dit des traces de
l’orignal qui hante un territoire particulier de la forêt en hiver.
Le rythme, la cadence du
texte, le souffle qui le marque et le révèle. Écrire est peut-être trouver une
musique, une respiration qui n’existe qu’au cœur de la phrase.
Ce rythme brisé s’est si bien installé dans mon corps que je me réfugie
de moi-même dans l’empêchement quand l’écriture coule de source. C’est ainsi
que la résistance s’est peu à peu révélée être ma manière de travailler. (p.24)
Résister, s’empêcher d’écrire
pour écrire, refuser de dire pour s’exprimer. Toujours dire non à la facilité,
aux clichés, aux déjà entendus.
Tout naît d’une négation dans l’écriture, et c’est parfois difficile, et
il faut se défendre dans le champ de bataille qu’on a soi-même créé. (p.34)
Comment dresser la carte de
sa pensée, des territoires de son imaginaire et de ses obsessions ? Peut-être est-ce
en suivant l’ombre qui va et se défait. Cette chimère qui s’efface et apparaît au
loin. Peut-être que tout réside dans les objets qui encombrent nos espaces, les
mots des autres que nous surprenons ou quelques souvenirs, des vies perdues, des
voyages et ces êtres que nous n’arrivons jamais à connaître.
Il paraît que je suis macabre. C’est vrai que tous mes projets pendant
un certain temps ont mis en scène la mort, des morts, même des mortes de Ciudad
Juarez. Mais je ne vois rien de macabre là-dedans. Je ne collectionne pas les
squelettes. Je ne hume pas l’odeur des cadavres. Je n’aime pas la pourriture.
Peut-être que je fais seulement parler, juste pour moi, pour l’entendre, un
monde à côté. (p.59)
Le monde d’à côté, celui qui
exige toutes les énergies physiques et psychiques. Tout du soi. La vie et son pendant
sombre qu’est la mort. Écrire. Une expérience d’abandon surtout où l’instinct
prend le dessus pour effleurer ce qui résiste au temps et à l’espace.
C’est justement cette position inconfortable entre la sensation de
l’incommunicable et l’urgence d’exprimer cet incommunicable qui fait de moi un
écrivain. (p.111)
Tout ce qui est dit et ne se
dit pas, se vit et s’imagine, est de l’ordre du palpable et de la conscience.
Se dresser sur la frange de la vie et de la mort pour vibrer dans la joie et
l’angoisse.
C’est pourquoi j’ai si souvent employé la formule Il y a… dans ma
poésie. Dès que j’entends ces mots, il y a, une brèche s’ouvre dans le monde qui me ramène à l’énigme de la vie.
Paradoxalement, écrire, c’est aussi tendre vers ce silence, vers cette nudité
de la vérité où il n’y aurait plus rien à découvrir. (p.111)
Un ouvrage à lire absolument
pour ceux et celles qui s’intéressent à l’écriture. Élise Turcotte ne recule
devant rien. Une franchise admirable, une intelligence enviable. C’est là que
l’on reconnaît l’écrivaine, la vraie, celle que l’on aime. Bien sûr, Autobiographie de l’esprit ne sera
jamais dans la liste des grands succès. Élise Turcotte n’écrit pas pour ça.
Voilà.
Autobiographie de l’esprit d’Élise
Turcotte est paru aux Éditions La Mèche.