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mardi 1 juin 2010

Gil Courtemanche se livre sans retenue

«Je ne veux pas mourir seul» est certainement le livre le plus intime de Gil Courtemanche.
L’écrivain apprend en même temps qu’il est atteint d’un cancer et que la femme qui l’accompagnait depuis des années le quitte. Il est foudroyé. Plus peut-être par le départ de Violaine que cette maladie qui risque de le tuer. Il le sait, il le sent, il va suivre les traitements, un peu comme on va à l’échafaud.
C’est que le romancier ne sait plus s’il a le goût de vivre sans la femme qu’il aime. Où trouver une raison de s’accrocher quand tout se désagrège?

La vérité

Il faut des crises souvent pour oser dire les vraies choses. Courtemanche scrute ses façons de faire et ses manies. Il ne peut plus se mentir, la mort l’attend au coin de la rue.
«Le matin devant le miroir, je prends la mesure de ma détresse. Ces rides me rappellent tous les excès de cigarettes, d’alcool. Je ne les regrette pas. Je croyais qu’on m’aimait ainsi. Mais, je constate que ce visage le matin n’inspire pas l’amour parce que, moi, ce visage me dégoûte. Il me dégoûte même le soir quand les rides s’atténuent. Si je ne parviens pas à me regarder, comment quelqu’un d’autre aurait pu le faire?» (p. 21)
La maladie est venue avec ce départ qui a tout dévasté en lui. Son corps malmené n’a pas su résister à la secousse. L’amour de Violaine lui procurait une forme d’immunité.
Il entreprend les traitements, explore les ratages de sa vie malgré les succès littéraires, le champ toujours trop grand qu’il a maintenu entre Violaine et lui. Ils étaient ensemble sans l’être vraiment. Il a cultivé les silences devant la femme qu’il aime, accumulé des gestes qu’il n’a pas osés. Il a toujours été un introverti qui arrive mal à exprimer son amour et sa tendresse. Les refus, les hésitations et les silences ont mené à la rupture.
«Violaine avait adopté la tactique de la guérilla. Elle occupait secrètement une part du territoire et attaquait sans prévenir, par petites vagues successives qui ne bousculaient aucune de mes habitudes, mais qui les modifiaient. Toute jeune, mais forte, elle m’avait pris en charge, mais je persistais dans ma négligence, ma saleté, ma bêtise, ma satisfaction de moi. Et puis je fuyais les baisers, les caresses. Pourquoi ? Pour faire l’homme qui est distant.» (p.49)
Les hommes retrouvent souvent la parole quand les mots ne peuvent plus toucher la femme qui partage leur vie. Ils réagissent quand ils ont le dos au mur ou que la mort se profile dans le miroir. Il faut un coup de massue pour lézarder la carapace.
Le combat

La chimiothérapie fait son chemin. Il a ces rendez-vous avec l’oncologue qui devient quasi une intime. Du moins, il le souhaiterait pour ne pas s’étouffer dans sa peine. Elle est musulmane et porte parfois le voile. Il suffit d’une question pour provoquer le malentendu. Dans les hôpitaux, on affronte la maladie, mais jamais les peines d’amour.
Il perd le goût de la nourriture, du vin et de la cigarette. Il imagine une petite fille ou le petit garçon qu’il aurait pu avoir avec sa compagne. Il revient sur les gestes ratés par égoïsme, par indifférence, par la vie qui grise quand le succès fait partie du quotidien. Il écrit des courriels, se bute au silence de Violaine, au mutisme qu’il lui a servi pendant des années.

Victoire

Les mauvaises cellules battent en retraite, mais Courtemanche ne sait s’il doit se réjouir. Il peut revenir à son quotidien, mais se retrouve comme un itinérant dans sa propre vie.
«Je ne veux pas mourir seul» est un récit émouvant, particulièrement pour les hommes qui se reconnaîtront. Courtemanche ose dire ce qu’il a retenu toute sa vie.
Un texte courageux et sans complaisance. Une confession qui ne règle rien, mais permet peut-être de continuer son chemin en claudiquant. Le lecteur en sort remué. La vie est-elle qu’une suite d’occasions ratées ? Un témoignage bouleversant qui vient vous chercher dans le plus intime et le plus personnel.

« Je ne veux pas mourir seul » de Gil Courtemanche est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gil-courtemanche-274.html 

dimanche 24 janvier 2010

Gil Courtemanche: de quoi douter du monde

Le droit est-il la justice ? La question se pose après avoir lu «Le monde, le lézard et moi» de Gil Courtemanche.
Claude, analyste à la Cour pénale internationale de La Haye, réunit des preuves contre Thomas Kabanga, un despote qui a sévi au Congo. Le dictateur est accusé d’avoir embrigadé des enfants, de les avoir entraînés pour faire la guerre, commettre des meurtres et des viols. Ces jeunes ont semé la terreur dans un pays où le trafic des diamants et de l’or attire tous les aventuriers.
Avec une équipe de recherchistes, il est convaincu de faire condamner le dictateur et de créer un précédent dans le droit international. Il écoute les témoignages de ces jeunes torturés et violés. Des histoires invraisemblables qui plongent dans l’horreur et deviennent obsédantes.
Solitaire, ce Québécois a cru changer la société au temps de ses études. Il s’est joint à un groupe de militants et après un attentat raté, a dû purger trois mois de prison.
«Je découvrais que l’injustice existait dans mon pays. Ce n’était pas la même pauvreté. Ce n’étaient pas des cases malodorantes dans lesquelles vivaient entassées des familles nombreuses, mais des taudis puants abritant des familles nombreuses. Pas des gens qui mouraient de faim dans un pays pauvre comme l’Éthiopie, mais des Québécois qui ne mangeaient pas à leur faim dans une des sociétés les plus riches du monde.» (p.41)
Il se transforme en chasseur qui ne lâche pas sa proie. Une hantise qui peut devenir dangereuse.
«Kabanga occupe toutes mes pensées. Je suis un monomaniaque et je pourrais peut-être constituer un danger pour la société si cette obsession avait quelque autre objet humain. Je vis avec cet homme… Je l’observe, l’analyse, le dissèque, le retourne, le soupèse, le met en question comme un biochimiste travaille sur une molécule prometteuse, désespère de ses premiers résultats, mais certain de son intuition, poursuit le fractionnement de la molécule, la combine avec d’autres éléments.» (p.105)

Vice de procédure

Thomas Kabanga est libéré. Vice de procédure. Il rentre à Bunia et peut tout recommencer.
Claude démissionne et part pour le Congo en compagnie de Myriam qui travaillait avec lui. La Somalienne a connu les horreurs de la dictature. Elle aussi souhaitait voir Kabanga payer pour ses crimes. Ces deux éclopés ont du mal à trouver un espace où il est possible de respirer. Claude garde l’espoir fou de réussir là où l’appareil juridique a échoué.
«Kabanga, trois mille enfants soldats, un sourire insolent, des boutons de manchette en or, non pas le regard d’un assassin, mais celui d’un chef imbu de sa personne, cherchant par tous les moyens pouvoir et richesse. Un être méprisable. Mais je n’ai jamais vécu dans ce monde des émotions primaires, et je ne l’avais jamais avant considéré comme autre chose qu’un accusé que je crois coupable. J’ai quitté l’univers rigoureux de la justice pour celui embrouillé et arbitraire de la passion. Je ne suis pas certain que cela soit bien, mais c’est le chemin que j’ai choisi.» (p.155)

Enfant soldat

Il retrouve Josué, un enfant soldat qui a témoigné à la cour de La Haye et qui cherche à se venger et à refaire l’histoire. Il s’entoure de gens qui tuent, violent, éliminent Kabanga, à l’image du monstre qui lui a volé son enfance. Rien ne change ! Les despotes engendrent les despotes. Les tueurs forment les tueurs et les violeurs. Claude participera même au simulacre de procès de Thomas Kabanga.
Réflexion sur la justice, le pouvoir, la violence et les pulsions qui poussent les humains à commettre les pires horreurs, cet ouvrage nous plonge dans les conflits qui déchirent notre monde. C’est l’humain le grand responsable. L’homme incapable de justice, de compassion et d’empathie, impuissant devant les pulsions de mort qui dominent partout. Tous finissent piégés par des règles, des codes qui deviennent des prétextes pour dominer les autres, même les hommes de bonne volonté.
Roman dur de désespoir et de désespérance, «Le monde, le lézard et moi» fait douter de l’espèce humaine et de ses capacités à dominer ses pulsions et ses folies meurtrières. Une réflexion nécessaire dans une époque où les conflits se multiplient, où les bombes servent à ponctuer les discussions.

« Le monde, le lézard et moi » de Gil Courtemanche est publié aux Éditions du Boréal.