L’écrivain apprend en même temps qu’il est atteint d’un cancer et que la femme qui l’accompagnait depuis des années le quitte. Il est foudroyé. Plus peut-être par le départ de Violaine que cette maladie qui risque de le tuer. Il le sait, il le sent, il va suivre les traitements, un peu comme on va à l’échafaud.
C’est que le romancier ne sait plus s’il a le goût de vivre sans la femme qu’il aime. Où trouver une raison de s’accrocher quand tout se désagrège?
La vérité
Il faut des crises souvent pour oser dire les vraies choses. Courtemanche scrute ses façons de faire et ses manies. Il ne peut plus se mentir, la mort l’attend au coin de la rue.
«Le matin devant le miroir, je prends la mesure de ma détresse. Ces rides me rappellent tous les excès de cigarettes, d’alcool. Je ne les regrette pas. Je croyais qu’on m’aimait ainsi. Mais, je constate que ce visage le matin n’inspire pas l’amour parce que, moi, ce visage me dégoûte. Il me dégoûte même le soir quand les rides s’atténuent. Si je ne parviens pas à me regarder, comment quelqu’un d’autre aurait pu le faire?» (p. 21)
La maladie est venue avec ce départ qui a tout dévasté en lui. Son corps malmené n’a pas su résister à la secousse. L’amour de Violaine lui procurait une forme d’immunité.
Il entreprend les traitements, explore les ratages de sa vie malgré les succès littéraires, le champ toujours trop grand qu’il a maintenu entre Violaine et lui. Ils étaient ensemble sans l’être vraiment. Il a cultivé les silences devant la femme qu’il aime, accumulé des gestes qu’il n’a pas osés. Il a toujours été un introverti qui arrive mal à exprimer son amour et sa tendresse. Les refus, les hésitations et les silences ont mené à la rupture.
«Violaine avait adopté la tactique de la guérilla. Elle occupait secrètement une part du territoire et attaquait sans prévenir, par petites vagues successives qui ne bousculaient aucune de mes habitudes, mais qui les modifiaient. Toute jeune, mais forte, elle m’avait pris en charge, mais je persistais dans ma négligence, ma saleté, ma bêtise, ma satisfaction de moi. Et puis je fuyais les baisers, les caresses. Pourquoi ? Pour faire l’homme qui est distant.» (p.49)
Les hommes retrouvent souvent la parole quand les mots ne peuvent plus toucher la femme qui partage leur vie. Ils réagissent quand ils ont le dos au mur ou que la mort se profile dans le miroir. Il faut un coup de massue pour lézarder la carapace.
Le combat
La chimiothérapie fait son chemin. Il a ces rendez-vous avec l’oncologue qui devient quasi une intime. Du moins, il le souhaiterait pour ne pas s’étouffer dans sa peine. Elle est musulmane et porte parfois le voile. Il suffit d’une question pour provoquer le malentendu. Dans les hôpitaux, on affronte la maladie, mais jamais les peines d’amour.
Il perd le goût de la nourriture, du vin et de la cigarette. Il imagine une petite fille ou le petit garçon qu’il aurait pu avoir avec sa compagne. Il revient sur les gestes ratés par égoïsme, par indifférence, par la vie qui grise quand le succès fait partie du quotidien. Il écrit des courriels, se bute au silence de Violaine, au mutisme qu’il lui a servi pendant des années.
Victoire
Les mauvaises cellules battent en retraite, mais Courtemanche ne sait s’il doit se réjouir. Il peut revenir à son quotidien, mais se retrouve comme un itinérant dans sa propre vie.
«Je ne veux pas mourir seul» est un récit émouvant, particulièrement pour les hommes qui se reconnaîtront. Courtemanche ose dire ce qu’il a retenu toute sa vie.
Un texte courageux et sans complaisance. Une confession qui ne règle rien, mais permet peut-être de continuer son chemin en claudiquant. Le lecteur en sort remué. La vie est-elle qu’une suite d’occasions ratées ? Un témoignage bouleversant qui vient vous chercher dans le plus intime et le plus personnel.
« Je ne veux pas mourir seul » de Gil Courtemanche est publié aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gil-courtemanche-274.html
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gil-courtemanche-274.html