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jeudi 24 octobre 2024

JEAN-FRANÇOIS CARON POURSUIT SA ROUTE

JEAN-FRANÇOISl’alter ego de l’écrivain Jean-François Caron, fonce dans une tempête où le ciel et la terre ne font plus qu’un. Que de la poudrerie et de la neige, que de la belle, lourde et mouilleuse neige, une vraie tempête comme on les aime au Québec et dans Monte-à-Peine. Bien sûr, l’auteur s’enfonce dans la page blanche et nous entraîne dans une nouvelle fiction, un lieu mythique situé entre ciel et terre. On trouve Monte-à-Peine au cœur de la région de Sainte-Béatrix, Saint-Jean-de-Matha et Sainte-Mélanie dans Lanaudière. C’est aussi un parc fort attrayant. Une belle façon de découvrir ce lieu du Québec avec l’écrivain qui signe ici un septième ouvrage. Un bourg délaissé, au sommet d’une longue montée, sur un plateau pour échapper à la lourdeur du quotidien et s’accrocher aux rêves et à l’envol des oiseaux. Jean-François a fait tous les métiers et il va là pour les mots, pour retrouver les profondeurs d’une page blanche, taper sur une vieille Underwood qui aurait servi à Jack Kerouac, le vrai. Il aurait traîné dans les parages à une certaine époque pour écrire jour et nuit, buvant café après café, fumant comme le poêle, une véritable antiquité, jusqu’à ce qu’il ait noirci un rouleau de papier.

 

Je lis Jean-François Caron depuis sa première publication, mettant mes pas dans ses pas, me faufilant dans ses romans et ses poèmes. J’ai tout de suite aimé son univers, sa recherche, son regard derrière son épaule pour s’aventurer dans le pays de l’enfance et mieux saisir l’adulte qu’il est ou qu’il veut devenir. Parce que tout écrivain porte une quête, enfourche une Rossinante ou un grand cheval tavelé à l’œil fou pour tenter d’effleurer le rêve qui s'échappe devant soi. C’est la nature de l’écrivain que de tendre vers une chimère, un lieu où s’installer sans jamais y parvenir complètement. 

 

«J’existe enfin quelque part.

   C’est ce que les livres ont fait pour moi.» (p.82)

 

Et me voilà dans la tempête, quasi aveugle, sur un chemin à peine visible, avançant pour rester vivant. Et c’est l’embardée, juste au bas de la dernière montée, celle qui mène au refuge, à une autre vie peut-être, tout en haut d’un Golgotha que le porteur de mots doit gravir à pied. Il a été bibliothécaire, camionneur, journaliste, conteur et inventeur de mythes et maintenant il lui faut de l’espace et du temps pour installer une histoire, tout recommencer et calmer la bougeotte qui l’a fait déborder partout sur le continent. 

 

«Je pleure dans le vent.

   C’est d’être perdu.

   C’est d’avoir tout perdu.

   De ne plus savoir ce qu’il y a devant.

   Ni derrière, si ça se trouve.

   D’être bien, quand même.» (p.17)

 

 Pas que Jean-François soit instable, mais il doit partir, se mettre un peu en danger pour traquer les mots, s’approcher des humains qu’il aime et qui finissent par le suivre dans ses récits, lui offrir leurs vies si semblables et différentes. Parce que notre écrivain est une sorte d’orphelin qui a besoin de lester ses histoires pour ne pas dériver dans ce blanc qui glisse du ciel et que les pages avalent. Il faut grimper la pente, refaire surface, s’ancrer sur le perron de l’horizon pour laisser tout l’espace à ses rêves et aux femmes et aux hommes qu’il côtoie.

Il était attendu dans ce haut du monde par un couple qui se bat amoureusement dans la neige avec les chiens qui courent partout pour savoir s’ils sont vivants. Bien sûr, l’écrivain est un peu effrayé par ce blanc qui piège tous les personnages.   

 

«Je ne pense pas. C’est le chemin qu’il fallait suivre, celui qu’on m’a donné. On m’a dit que je pourrais venir jusqu’ici m’installer le temps que passe l’hiver, au moins. On m’a dit : Monte-à-Peine, il doit y avoir une place pour toi là-bas. Il y a l’autoroute, la sortie à L’Islet, le chemin des grands bois. On m’a dit : Monte-à-Peine, tu trouveras, tous ceux qui cherchent y vont. Vous pouvez m’aider?» (p.43)

 

Le roman est un peu étourdissant au début. L’auteur bondit ici et là, raconte des moments du passé, des éclats de vie. Je l’ai côtoyé alors qu’il était journaliste culturel au journal Voir à Chicoutimi. Je le croisais de temps en temps dans les conférences de presse où nous nous informions l’un et de l’autre, juste ce qu’il faut, pas beaucoup. Je l’ai aussi apprivoisé lors d’une formation avec la comédienne Michelle Magny, qui était venue tout en haut du mont Jacob à Jonquière pour nous apprendre à nous tenir debout, à respirer et à lire devant un public. 

Jean-François y était bon et doué.

Ce qui me fait croire que ces récits collent plus que jamais à la vie du vrai Jean-François Caron, même si la fiction y trouve sa place. Il y a de temps en temps une certaine Audrée qui rôde, c’est tout dire. Parce qu’après tout, le réel et l’imaginaire se croisent pour échafauder une histoire qui peut faire son chemin dans tous les hivers de ce pays où «la neige au blanc se marie». 

 

ORALITÉ


Jean-François Caron, plus que jamais, se laisse envoûter par l’oralité, cette parole qui bondit partout devant soi et qui donne l’occasion de prendre le réel et l’inventé à bras-le-corps, de faire parler les morts et rêver les survivants. 

L’écrivain est de cette race de trappeur qui aime les vallées isolées, les forêts denses qui savent devenir protectrices, les chiens, les grandes éclaircies qui permettent de voir loin, là où le vent puise toute sa folie un matin, la neige qui raconte une légende quand vous vous risquez dans un froid qui coupe le souffle.

Oui, aller dans la poudreuse sans quitter des yeux la trail que l’on a plaqué sur les arbres pour retrouver les collets et arriver à saisir celui que l’on veut être, après s’être encabané avec son passé et un tas de livres, des histoires qui vous étonnent et vous dégourdissent l’esprit. 

Pareil à l’aventurier qui s’enferme dans le cubicule d’un énorme camion pour traverser tout un pays et peut-être aussi plusieurs vies tant qu’à y être. Celui qui devient l’astronaute des routes et s’émerveille des surprises de l’univers.  

 

«Hors de mon camion, ce n’est plus moi qui évolue dans le monde, c’est le monde qui se meut autour.» (p.58)

 

Bien sûr, il faut se pencher sur ses traces pour écrire et secouer le présent. Sans cette dimension, il est à peu près impossible de dire où vous en êtes et qui est celui qui, le matin, regarde par la fenêtre pour voir si la vie existe encore. Nier le passé, c’est se retrouver sur une chaise à trois pattes. 

Tout ça pour parler, se donner du temps et de l’espace pour les mots, juste à la lisière de la solitude, tout en sentant le souffle des humains si près. 

Et l’écrivain s’installe dans une sorte de capharnaüm que son père a hanté avant lui et qu’il n’a jamais quitté pour de vrai, devenant un fantôme qui se berce dans l’éternité. Parce que les choses gardent l’âme des trépassés et permettent aux esprits de se poser dans un grand fauteuil pour faire semblant de dormir et de rêver. Les morts ont besoin des objets pour souffler dans le cou des vivants qui, trop souvent, ne pensent qu’à traverser leur quotidien. 

 

«Au milieu de tout ça, toutes les heures sont la même répétée, égrenée au rythme d’un temps qui force l’arrêt de l’alentour, sa disparition dans le gris. Qui se déploie hors du monde, revendique l’abandon serein. L’absence à soi.

C’est le temps de l’écriture, de l’invention.

Celui de la lecture. Du laisser-à-lire.» (p.112)

 

Jean-François écoute les reines de la nuit qui hantent le Bar du monde en ressassant leurs heures de splendeur et de triomphes, alors qu’elles menaient les mâles par le bout du nez. Ce temps où Lily St-Cyr faisait la loi, où elles étaient belles dans leurs corps et les saisons des amours torrides et inventés. 

 

ÉCOUTE

 

Et tout va, comme si Jean-François avait trouvé un aquarium où il fait bon vivre avec juste ce qu’il faut de neige et de froid et d’humains dans les alentours. Il fait le ménage dans le Museum, range, découvre des choses, écoute celles qui se remémorent cette époque où elles s’habillaient de tous les regards. 

 

«Si j’écris encore, ce sera pour leur donner une voix. Une parole pour elles, pour tous ceux qui se souviennent.» (p.221)

 

C’est comme ça Monte-à-Peine, du début à un autre début peut-être. Une évocation du passé qui se faufile dans le présent, juste en marge du monde et de ses agitations, dans une cabane où l’on trouve tout ce qu’il faut de musiques et de livres pour tenir le coup avant de dériver dans un texte et l’écriture.

Un magnifique roman, tout près du cœur et de l’âme, de la vie qui ne va jamais en ligne droite, même quand on est au volant d’un énorme mastodonte qui permet de traverser les Amériques et d’en revenir comme l’a si bien fait Serge Bouchard. Une présence humaine, vraie, sentie, chaleureuse et généreuse, où l’on donne sans questionner, où l’on partage en sachant qu’il y aura un retour à un moment ou à un autre. 

J’aime cette façon de puiser dans le vécu pour mieux flotter dans le présent, de se fier à la parole qui ne va jamais tout droit, celle qui affectionne les courbes et les méandres, pareille peut-être aux empreintes des lièvres que l’on surprend dans les sapinières. 

Un texte sensible, collé aux objets et aux gens qui collectionnent les secrets de ceux qui étaient là avant et qui ne demandent qu’à revenir dans le présent. Parce que l’avenir n’est que du passé que l’on projette devant soi et que l’on suit entre les arbres et dans les éclaircies. L’écriture de Jean-François Caron reste vigoureuse et tortueuse à souhait, tout près de la parole qui cherche son souffle, de cette respiration qui permet de s’installer du côté des vivants. 

 

CARON JEAN-FRANÇOIS : Monte-à-Peine, Éditions Leméac, Montréal, 248 pages.

https://www.lemeac.com/livres/monte-a-peine/ 

mardi 12 juillet 2022

GUÉRIR SES BLESSURES PAR LA PAROLE

JEAN-FRANÇOIS CARON prend son temps avant de nous appâter avec un nouveau livre. Cinq ans nous séparent de sa dernière publication : De bois debout. J’ai pu suivre certaines de ses aventures par Facebook, même dans un article de Dominic Tardif paru dans Le Devoir en 2017. Oui, il s’est fait camionneur au long cours pour sillonner les routes de l’Amérique. Au volant d’un mastodonte que je n’oserais approcher, il a aperçu le soleil au lever et au coucher, partout sur le continent, à Flagstaff que j’ai visitée, la ville la plus laide que j’ai vue dans mes pérégrinations. Et, naturellement, j’ai pensé à Serge Bouchard et à son amour pour les camionneurs qu’il comparait aux coureurs des bois qui se laissaient porter par les eaux ca0lmes ou tumultueuses des rivières et des fleuves pour découvrir le Nouveau Monde et ses peuplements. Les nomades modernes empruntent les autoroutes qui vont comme des tentacules, même là où vous n’avez pas envie de vous arrêter. 


Jean-François Caron m’a toujours fasciné dans ses romans. Je sens une certaine proximité avec les questionnements que je traîne d’un livre à l’autre depuis ma première publication. La quête du territoire, celui des origines, celui que l’on choisit et que l’on fait sien selon les hasards de la vie, la filiation avec le passé qu’il faut retrouver, les moments perdus que l’on s’efforce de garder vivants en faisant coïncider ses souvenirs avec le présent. Comme si notre histoire avait des échancrures que nous devons colmater. 

Avec Beau Diable, l’écrivain nous entraîne encore une fois dans un monde où ses personnages portent une blessure qui tarde à guérir. Une plaie qui reste vive et qu’ils secouent de toutes les façons possibles afin de solidifier la suture. Il faut comprendre d’abord ce qui vous a jeté au sol, saisir toutes les dimensions de son vécu avant de se risquer dans une nouvelle aventure, un espace familier qui devient étrange après les grands tourments.

Je me suis attardé sur sa première phrase, son incipit comme on dit, les mots qui permettent de plonger dans le récit qui s’ouvre devant soi. Cette affirmation est souvent une fissure où nous avons peine à nous glisser parce que ça coince partout, que ça fait mal et écorche. 

 

BIG BANG

 

Et j’ai imaginé l’apparition de l’univers. Le vide absolu et une explosion, la lueur du Big Bang et l’espace connu en expansion. «Ça commence par une voix, la mienne, dans le noir. C’est tout ce que ça prend. Puis la lumière se fait doucement pour qu’on puisse tout voir venir et aller, tout entendre se placer.» (p.11)

Je n’ai pu m’empêcher de penser à la Genèse, à cette première phrase qui explique les origines de notre monde. «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l’abîme, l’esprit de Dieu planait sur les eaux.» J’ai remplacé Dieu par conteur et me suis retrouvé devant Caron, prêt à me laisser entraîner dans ses vérités fausses et ses menteries vraies.

Le monde de Beau Diable vit et périt par la voix et les mots. Au commencement était le verbe qui contenait toute chose. Le réel n’existe que par le récit, la narration que l’on en fait et ce fil que le conteur tend entre un événement et un autre pour comprendre sa vie, ses malheurs, ses peines et ses douleurs, pour refaire surface enfin et respirer à pleins poumons.

Le «beau diable» de Caron est un animal étrange qui hante les collines et la forêt où vit François. Une bête à multiples têtes et yeux, des corps qui se divisent et se soudent. Une sorte de chimère qui se transforme et possède le don de la parole, aime particulièrement les effluves du whisky. 

Voilà une magnifique définition du conte, de la légende, du mythe, des personnages fantasmagoriques qui surgissent dans l’univers traditionnel pour apaiser les peurs et les angoisses, confronter l’inconnu et dompter le mal qui gît au cœur des humains. Ce langage qui prend toutes les formes et que nul chasseur ne peut cerner même en ratissant tous les coins de son territoire. Une bête à mots qui mute et se métamorphose pour le plus grand bonheur du conteur, la joie des auditeurs qui acceptent de plonger dans le merveilleux comme dans les pires divagations. Le dompteur de réalité nous guide dans l’enfer de Dante où le mal gît sous toutes ses formes. «Ce bel animal étrange, impossible à capturer. Un qui se sauve de tous les pièges, les contourne, les déjoue, le baptême. Sorte d’aberration enfantée par les bois jamais brûlé qui couvre les vallons du pied de la tour et des alentours.» (p.17)

Cette bête va dans toutes les directions et échappe à tous les traquenards, peu importe les approches et les manœuvres des chasseurs. Elle trouve toujours une manière de se faufiler vers l’horizon que nul ne peut atteindre. 

Bien sûr, il faut effleurer le sol, s’ancrer. Un conte a besoin de racines pour garder contact avec la réalité, pour muter et bondir vers les quatre points cardinaux. 

 

REFUGE

 

François, le conteur, tout comme Alexandre, le personnage de son ouvrage précédent, s’est retiré de la société pour vivre en ermite, près de la cabane qui était autrefois le lieu de travail d’un garde-feu. C’était il y a longtemps, avant l’invention des drones qui surveillent les épinettes boréales maintenant. On construisait des tours ici et là dans la forêt, sur les pics rocheux, des phares en quelque sorte pour voir les fumées de loin, les brasiers qui se multipliaient lors des sécheresses. Le très beau roman de Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux, évoque un terrible incendie qui a ravagé le nord de l’Ontario et une partie de l’Abitibi.

Mon père a travaillé comme garde-feu dans les montagnes de La Doré. Il nous racontait souvent l’histoire de la maman ourse en colère. Je pense qu’il avait attrapé l’un de ses petits. Elle avait chargé et pour lui échapper, il s’était réfugié dans la tour. La bête avait grimpé dans l’échelle jusqu’à mi-hauteur, avait fini par redescendre pour l’attendre en bas. Il avait dû faire appel à des collègues par radio qui étaient venus abattre l’animal et le libérer. Mon père avait eu sa leçon et avait laissé les oursons tranquilles après sa mésaventure. 

 

PAYS

 

Le conteur a perdu sa fille, la grande floune, celle qui n’est jamais revenue de son voyage. Une blessure qui ne guérira jamais. Il y a aussi son ami Jean devenu camionneur, arpenteur de continent, dompteur de routes et de mastodontes qui vit avec sa Mireille qui ne sait enfanter que des petites filles mortes. Nous avons donc Jean et François, les prénoms de l’auteur. Et Vicky qui tente de cerner la réalité en dessinant et en travaillant au restaurant de Madeleine. Un lieu qui se transforme de temps en temps en temple de la parole pour faire place au conteur qui aborde tous les drames et les malheurs avec la dextérité de Beau Diable qui tient du caméléon. 

Tous viennent écouter le magicien raconter ses épreuves et celle de ses proches. Tous s’installent en silence, sirotant un verre de whisky ou une bière, s’accrochent pour contrer leur peur et leur détresse. Avec lui, ils apprivoisent leurs chagrins par le chant, se laissent bercer par cette voix qui prend mille intonations, murmure à l’oreille de ceux qui veulent entendre.

La parole étend un baume sur la douleur, le mal et la perte de ses amours et de ses amis, permet une forme de renaissance par le récit revigoré et transformé. 

Je me suis laissé envoûter, entendant la voix de Jean-François Caron (un très bon lecteur qui vous subjugue) qui m’a entraîné dans tous les recoins de la vie, de la mort et de cette étrange entreprise qu’est la quête du bonheur. Je me suis accroché à ses mots, quand il les place là où ils doivent aller dans son conte. Alors, avec lui, j’ai trouvé l’éclaircie au bout du vallon, dans un pli du terrain, un lieu où un homme et une femme savent se regarder et s’écouter. 

Un très beau récit, vivant, plein de rebondissements, d’images qui nous permettent de nous faufiler entre la parole et le texte, entre le rêve et la réalité, la «détresse et l’enchantement». Caron cherche encore une fois un ancrage à sa vie, à calmer la douleur et la transcender par l’écriture et l'écho de sa voix qui lui répète qu'il est vivant. C’est pourquoi j’ai tant de satisfaction à le lire. C’est comme si je trouvais un écho à tous mes questionnements de souffleur de mots. 

 

CARON JEAN-FRANÇOISBeau Diable, Montréal, Leméac Éditeur, 2022.

 

vendredi 31 mars 2017

Jean-François Caron fait de nous un personnage

LE PÈRE D’ALEXANDRE est abattu par un policier lors d’une poursuite en forêt. Le jeune homme trouve refuge chez Tison, un solitaire qui habite loin du village. L’homme, défiguré dans un incendie, écrit des articles et passe beaucoup de temps dans sa bibliothèque. Alexandre, un grand lecteur, adore les livres et fait la lecture à plusieurs personnes au village malgré la haine farouche que son paternel portait à tout ce qui est écrit. La vie cependant ne cesse de lui faire des crocs-en-jambe. Les épreuves et les morts se bousculent et ne veulent jamais le lâcher. La lecture lui permet de respirer dans une vie où tout semble se liguer pour le faire basculer.

Alexandre comprend très tôt que la vie est fragile et qu’un rien peut tout changer. Sa mère et son amoureuse sont mortes de la même manière et il vit des problèmes cardiaques, avale des médicaments pour stabiliser les soubresauts de son cœur. Un phénomène que Jean-François Caron connaît bien.
Pourquoi son père a-t-il été tué ? Une erreur, un geste nerveux du policier ? Et pourquoi cette chasse à l’homme sur un chemin forestier ? Un coup de feu, la tête qui éclate, une scène qu’Alexandre n’arrive pas à chasser de son esprit. Pourquoi toutes ces morts autour de lui ? Est-il marqué par la fatalité qui a défiguré Tison condamné à la solitude et la marginalité ? Et les lecteurs sont-ils tous des solitaires ?
Alexandre apprend que son père a abandonné l’université pour faire quelque chose de ses mains. La  vraie vie. C’est ainsi qu’il est arrivé dans le village, a rencontré sa mère et n’est plus jamais reparti.  

THÉÂTRE

Le roman de Jean-François Caron intrigue au début. Les dialogues tombent comme au théâtre avec de courtes didascalies. Est-ce que j’avais raté quelque chose ? Je suis revenu sur certaines phrases pour trouver une explication, un indice. Et je n’y ai plus pensé. Il y a aussi les réflexions d’Alexandre. Une sorte de monologue où il réfléchit à ce qu’il ressent, ce qu’il comprend de certaines lectures et de tout ce qui bouscule sa vie.

- LA MÉMOIRE D’ALEXANDRE
Soudain mouvement du chœur, déflagration vocale inattendue. Depuis ce jour de matin jeune et pour toujours, les voix entonnent un canon de couacs, avec des aigus, puis des graves. Et c’est bientôt toute une volée d’oiseaux qui se soulève dans l’espace autour de moi, qui chante des airs volatiles. Je suis porté par les voix mélangées des chanteurs anonymes qui peuplent ma mémoire. C’est beau et inquiétant. Un feu qui crépite, des pieds en bas de laine qui battent la mesure su un plancher de plywood 3/4. Et on frappe des mains comme on battrait des ailes, je le fais avec eux. On s’envolera, bientôt, peut-être. (p.54)

Caron se faufile dans plusieurs genres littéraires pour faire le tour de son sujet et scruter ses personnages. Comme s’il voulait empoigner toutes les écritures pour se coller à la réalité.
Alexandre est un lecteur avant tout, une voix qui touche les auditeurs, fait vibrer les personnages. Le présent s’étiole un peu et les livres prennent de plus en plus de place. Jean-François Caron est un très bon lecteur et aime lire en public. Je me suis fait plaisir plusieurs fois en l’écoutant. Je ne sais s’il fait comme le personnage de Francine Brunet dans Le Géant. Victor Scarpa, un camionneur, dirige un club audio et circule au volant de son camion en écoutant l’enregistrement d’un roman québécois ou un succès du jour. Tous les camionneurs sont amoureux de la femme qui lit.  
Jean-François Caron aime les camions et circule un peu partout en Amérique du Nord. Tout comme Serge Bouchard qui a une passion pour ces véhicules et la route. J’aime assez l’idée de passer des heures au volant d’un poids lourd en me laissant bercer par une voix qui lit un Nancy Huston ou encore La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy.

EXPLORATION

Caron nous pousse à gauche et à droite, nous fait revenir dans l’enfance, ou d’autres moments marquants. La colère du père, celle de la mère qui bannit les armes de la maison. La voisine qui initie le jeune garçon aux plaisirs du corps. Ces heures si intenses où l’on voit un être proche glisser lentement hors de sa vie.
Son ancienne institutrice le paie pour qu’il lui fasse la lecture. Le jeune homme réussit même à intéresser l’Ours, un obèse qui se terre dans son appartement. La lecture lui redonne goût à la vie.
Tout se fait et se défait autour d’Alexandre qui étudie, enseigne à temps perdu, croise Marianne et la perd aussitôt, retrouve Tison qui vit maintenant avec Marie-Soleil, la voisine d’en face. Le monde est si petit, le monde est si vaste.

Et dure la séance de lecture improvisée. On papillonne entre les rayons, éclipsant la distance qui devrait encore exister entre les deux hommes, évacuant du monde la douleur – d’abord physique – qu’endure le garçon, dissipant aussi la prégnance de la mort du père, comme si chaque phrase lue étouffait le disparu, l’enfonçant dans une tranchée sans écho, comme si, quelque part dans le tombeau blanc d’un alinéa ou dans le vide d’un pied de page, étaient ensevelis son corps crevé comme une outre et son image implosée. Chaque phrase devient une nouvelle façon de faire son deuil. (p.103)

Alexandre tourne une page et une autre pour se calmer. Il respire et son cœur cesse de cabrioler.

CERCLES

Peu à peu, Alexandre glane des informations sur son père André qui est arrivé à Paris-du-bois, comme Le Survenant, le personnage inoubliable de Germaine Guèvremont. Il s’est installé et est devenu Broche-à-foin, l’homme à tout à faire. Marie-Soleil lui apprend comment il est venu l’arracher, elle et sa mère, aux griffes d’un petit despote qui les maltraitait. Un aspect qu’il ne connaissait pas de son père était plutôt silencieux.

Marie-Soleil relève la tête pour voir sa mère qui pleure et qui sourit en même temps, qui fixe le vide. La petite abandonne l’épaule de la femme pour trouver, de l’autre côté, celle d’André. Et, sur sa cuisse, le toutou d’Alexandre qui patiente. Entre les cinq passagers, il y a une nouvelle heure de silence, ponctuée des chuchotements de Marie-Soleil qui meuble le temps d’histoires inventées. On regarde la route. Il n’y a rien à dire avant d’arriver à la maison en face de chez André, qui appartient au maire Mercier. (p.370)

Il décide, après la mort de Marianne, de s’installer dans la cabane de son père, au milieu d’une forêt. Il n’y est jamais allé et sa plus grande surprise est de découvrir dans ce chalet, où son père a tenté de se remettre de la mort de sa femme, de grands rayons qui peuvent recevoir tous ses livres. 
Alexandre comprend que pour survivre et échapper à la mort, il faut devenir un personnage. Au théâtre ou dans un roman, tout est possible. L’obèse change de vie grâce à la lecture, Tison vit l’amour avec Marie-Soleil, un vrai miracle.
Alexandre se fait lecteur, entre dans la peau d’un ermite. C’est peut-être cela la vraie vie…
Un roman fascinant qui accroche et étonne. Les personnages s’éloignent, ressurgissent plus loin, comme quand on délaisse un livre pendant une journée et qu’on le reprend. Le temps se replie. Nous sommes emportés par l’écriture, une réplique, une réflexion, une image. Jean-François Caron nous souffle à l’oreille constamment, nous parle. J’entends sa voix.
Un petit miracle, des personnages qui se débattent avec des secrets qu’ils ne sont pas certains de comprendre. Une aventure pour le lecteur qui est continuellement ramené à lui-même.

Autour de moi, il n’y a plus que des personnages, dorénavant et pour toujours. Et on se raconte, sans cesse, la même histoire, mais en empruntant chaque fois des mots nouveaux. La mort de tout cela est impossible. Tant qu’est ouvert le livre. La mort n’existe pas. Je m’en retourne dans mon lit. C’est là que je resterai dorénavant. Mon cœur croche, la lumière hésitante, et ces voix, sans fin, qui racontent. Sans fin. Tant qu’on lira. (p.394)

La vie est une fiction qui prend corps dans des personnages.
Et je n’ai plus qu’une envie : devenir un personnage de Jean-François Caron. Tout ça pour échapper aux embûches de la vie et de la mort. Vous comprenez ? Il faut être un lecteur pour déjouer la fatalité, être un personnage pour connaître une certaine immortalité. Vivre, c’est peut-être uniquement être un lecteur, respirer et voir, s’accrocher à des répliques que les personnages nous offrent. Devenir une voix dans sa tête qui console, rassure et vous apaise. Bondir d’un livre à l’autre, pour ne jamais trébucher, pour ne pas fermer les yeux.

DE BOIS DEBOUT de JEAN-FRANÇOIS CARON, roman paru à LA PEUPLADE.
           

PROCHAINE CHRONIQUE : COMME LES NUAGES de LOUISE GAUDETTE, nouveauté de La Pleine Lune.


lundi 9 avril 2012

Jean-François Caron passe du côté des grands

Je le dis en choisissant mes mots. Jean-François Caron vient d’écrire un roman qui le pousse du côté des grands. Je crois. «Rose Brouillard, le film» m’a subjugué. Une écriture incantatoire, un rythme, une cadence qui emporte dans une autre dimension. J’ai lu, allant et revenant sur ces pages pour m’imprégner de cette musique sauvage.
«Quand on est seule, quand on vit seule dans une histoire qu’on partage avec son père, on n’a pas besoin de nom. Quand on partage sa vie avec Onile, le veilleur et le papa de l’histoire, un nom, c’est inutile. Si l’un parle, l’autre écoute, nulle nécessité de s’appeler et c’est bien ainsi.» (p.41)
Un bijou.

La trame

Une  île au milieu du fleuve, près d’une autre île. Le Veilleur y vit en marge du monde pour apprivoiser sa sauvagerie et sa tendresse peut-être. Une sorte de vigie qui sauve les marins en perdition. Et sur la berge, devant, un village.
Une femme. Pas une histoire d’amour mais un mariage. Une transaction plutôt au magasin général du village. La jeune femme a connu l’amour avec un pianiste. Il faut sauver les apparences.
Il y aura une petite fille qui voit sa mère sombrer dans la folie, son père se tourner vers l’alcool. Rose rêve un monde que l’on fait et défait, les îles comme les grains d’un chapelet qui mènent jusqu’à Cuba parfois. La mère bascule du haut de la falaise. Après, Onile s’abrutit dans l’alcool jusqu’à disparaître.
Jean-François Caron est fasciné par les pièges de la mémoire. «Nos échoueries» était également une quête du genre avec tous les dangers qui refont surface quand on fouille le passé.

Rose

Dorothée, employée par la société touristique, est chargée de retrouver Rose et de tourner un documentaire. Elle retrace la vieille femme rue Drolet à Montréal. À bout d’âge, cette dernière colle des mots partout pour se rappeler ce qu’est une table ou une fenêtre. Sa vie oscille entre l’étrange liste de ses occupations et des objets qui l’entourent. Le roman de Caron va ainsi. D’une séquence à l’autre, d’un mot à un autre pour reconstituer le drame de l’île du Veilleur.
La vieille dame un peu confuse ignore les questions, bascule dans ce temps où elle vivait avec sa mère et son père Onile.
«Quand un bateau s’aventurait trop près des vlimeux récifs, au risque de s’échouer. C’étaient les emportements les plus bruyants. Mais pas les plus terribles. Les pires colères étaient celles qu’il vivait dans le silence. Parce qu’elles baignaient dans la déception. Et rien ne soulage la déception. Sauf peut-être: la musique.» (p.141)
Rose revit les drames qui ont bouleversé sa vie. La mort de la mère surtout.
«Je suis ma mère dans l’odeur verte des noisetiers, le vent emmêle mes cheveux dans mon visage et dans mes yeux, je suis elle désorientée, comme lorsqu’elle a perdu pied, lorsqu’une pierre a roulé, lorsque le vent l’a poussée, ou peut-être le désespoir, je suis elle qui bat l’air de ses bras, juste avant la chute, les yeux dans l’eau, les cheveux dans les yeux, le vent dans les cheveux, la robe dans le vent, la mer dans les plis de la robe. Je suis elle avant que son corps ne soit écorché et brisé sur les pierres accumulées au pied de la falaise vive, ballotté dans l’eau sanguine et salée. Je suis elle avant son corps perdu pendant des heures. Perdu. Pendant des heures.» (p.237)

Plongée

Une plongée vertigineuse dans le réel et l’imaginaire, le passé et l’autre, celui que l’on invente pour attirer les touristes. Nous avons tout dans ces fragments. Les témoins de l’époque, les délires de Rose, les vacanciers, Dorothée avec ses amours de passage, une Québécoise d’origine haïtienne qui nie ses racines.
«Les îles sont des mots échappés, qui dépassent la pensée. Des chapitres comme des éclaboussures. Qui vont dans tous les sens. S’il y avait un pont entre les îles, mes souvenirs se rejoindraient. Car il y a toutes ces îles dans ma tête. Je ne sais plus inventer les ponts pour les relier.» (p.217)
C’est ça! Juste ça et bien plus.
Un roman magnifique. J’ai traîné sur les mots pour prolonger le plaisir, garder ces longues phrases lancinantes en mémoire et me les approprier. Un grand livre.

«Rose Brouillard, le film» de Jean-François Caron est publié aux Éditions La Peuplade.

dimanche 2 mai 2010

Jean-François Caron réussit un coup de maître

Dans «Nos échoueries» de Jean-François Caron, un couple fait naufrage dans le Saguenay. La tragédie provoque une véritable onde de choc chez le fils.
Quelques années plus tard, le narrateur retourne à Sainte-Euphrasie-de-l’Échouerie, le village des origines. Son enfance doit rôder quelque part entre les montages et le fleuve.
Jean-François Caron au Salon du livre de Rimouski.
 «C’était ça – revenir, je veux dire, sur les lieux d’autrefois – ou m’effondrer lentement comme un cèdre transplanté, le pied dans le fjord. Ou casser et tomber. Dans le plus profond. Directement dans la mixture de mes origines restituées. Directement dans mes origines déjà brassées. Il fallait me ravaler.» (p.14)
Retrouver des lieux, des mots et des odeurs pour se redonner un élan et comprendre peut-être pourquoi il dérive depuis que la fatalité est entrée dans sa vie, pourquoi une faille ne cesse de s’élargir en lui. 
En route, il fait monter une fille rousse qui ne sait où aller. Elle l’aurait suivi au bout du monde de toute façon. La jeune femme cherche aussi à colmater sa vie, un point d’ancrage pour respirer et se redresser au milieu du jour.
«Elle était là, les deux pieds dans le gravier. Plutôt belle dans ce paysage. Les cheveux flamme, ravivés par le souffle des véhicules passés devant elle sans s’arrêter. Son sac abandonné quelques pas plus loin, près de la tranchée de drainage. Elle levait le pouce en fixant l’horizon, le regard en crémation dans le four du ciel.» (p.18)
Elle s’installe à Sainte-Euphrasie et s’occupe des personnes âgées. C’est à peu près tout ce qu’il reste dans le village, des femmes et des hommes qui, par la fenêtre du foyer, surveillent au cas où leur vie passerait. Tout se défait dans cette municipalité. C’est le sort des villages qui voient les jeunes partir vers la ville ou l’ailleurs.
La jeune femme hante toutes les conversations avec ce fils revenu qui s’installe dans la maison familiale. Il squatte en quelque sorte les lieux de son enfance en parlant à Marie qu’il a abandonnée au pays du Saguenay. 
«Imagine. Ma maison presque à l’abandon. Dans le fouillis d’une cour aussi laissée pour compte. Les herbes devenues hautes, étouffées par les feuilles mortes de l’année dernière. Le bouleau naguère petit masquant sa façade blanche de feuilles d’amiante. Aucun rideau aux fenêtres. Une maison hara-kiri, le ventre ouvert, complètement nue. Et d’une pancarte dans un carreau, elle s’offrait désespérément, voulait se vendre, ou se louer, à qui voudrait bien d’elle. Embrassée d’est en ouest par autant de village, ceinturée par le galbe des cabourons au sud, par l’horizon fluvial et le Bouclier canadien au nord. Un carré de paysage qui aurait pu être digne de cartes postales – si ce n’était de ses voisins. À l’est, l’hôtel. À l’ouest, le motel. Au nord, la dizaine de cabines dudit motel.» (p. 31)

Le pire

On a beau retrouver les sentiers de l’enfance, les lieux des premiers émois et des premières douleurs, rien ne peut changer. Le pire arrive avec la jeune femme. Il ne pouvait en être autrement dans un milieu qui rejette la différence.
«Les gens du village diront ce qu’ils voudront. Ils l’ont toujours fait. Et c’est bien connu, au village. C’est le premier dicton qu’on apprend, quand on y est né. Les étrangers sont des cormorans qui sèment la maladie et la mort. Et je n’étais plus que ça, un étranger. C’est ce que j’ai apporté avec moi, dans les trois rues de Sainte-Euphrasie, au cœur de ce village coincé dans le pli du paysage. C’est ce que j’ai répandu chez les gris d’en face. Qui vient de loin ne peut que mettre le feu aux poudres. Et ramener avec lui des souvenirs arsins.» (p.142)
Le narrateur rentre, retrouve Marie sa compagne, mais que dire quand tout a été dit, quand le pire est advenu ? Est-ce possible de guérir la blessure qui s’est ouverte en soi pendant les premières années ? Peut-on guérir de son enfance?
Jean-François Caron travaille par petites touches, place un décor, des personnages qui fascinent. On se laisse prendre par cette voix, les remises en question. Dur! Oui! Touchant en tout cas, remuant et fascinant. Un roman tout en nuances, en retenues et en chuchotements. Un ton surtout, une écriture incantatoire, une musique, une atmosphère. Une belle réussite qui vient en écho parfois «Aux fous de Bassan» d’Anne Hébert ou «Mademoiselle Personne» de Marie-Christine Bernard.

« Nos échoueries » de Jean-François est publié aux Éditions La Peuplade.