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dimanche 14 février 2010

Pascal Millet s’attarde au côté sombre de la vie

Pascal Millet, en plus d’écrire pour la jeunesse, aime bien bousculer les adultes. «Animal» présente quatorze nouvelles dont la moitié à peu près a été publiée dans des revues. Millet y explore le côté sombre de la vie, des milieux où des femmes et des hommes portent une blessure qui happe leur existence. Ce sont des éclopés, des tourmentés qui s’étourdissent avant de poser le geste fatal. Nous voyons souvent ces personnages par les yeux d’un animal. Un chat, une mouche permettent à l’écrivain de peindre d’une couleur singulière ces histoires dérangeantes.
 J’ai apprécié en 2006 «L’iroquois». Dans un roman noir l’écrivain mettait en scène deux jeunes frères qui fuyaient la maison après le suicide de leur mère. Ils tentaient de partir en Amérique pour vivre avec les Indiens. L’escapade devenait une forme d’initiation qui basculait dans la tragédie.

Contenu

Dans «Scénario pour une métisse», une jeune femme aiguise sa vengeance. La traversée du Québec ne peut finir que dans le sang. Des patrouilleurs, dans «Animal», ont pour mission de retracer une bête qui s’est évadée de son parc. Une bête qui ressemble étrangement à un être humain.
«La chemise de toile était complètement ouverte sur sa poitrine et, me baissant pour ramasser le bout de bras, j’ai vomi. J’ai eu l’impression de rester un instant entre deux mondes, deux extrêmes, mon estomac était complètement retourné, puis Luis a klaxonné.
Merde, j’ai pensé, j’espère qu’ils n’ont pas fait d’erreur dans leur calcul là-haut, parce que celui-là nous ressemblait drôlement. J’ai enveloppé le bras et je me suis dirigé vers la voiture. Il ne pleuvait pratiquement plus.» (p.88)
Le lecteur suit un couple qui tangue dans sa vie lors d’un voyage en pleine tempête, des cow-boys qui se tuent dans la plus folle des absurdités. Il y a aussi une vengeance préparée avec soin. Les circonstances font les héros qui n’échappent pas à une forme de fatalité qui les enferme et les pousse au pire. Des enfants, des femmes, des marginaux qui s’accrochent à la vie. De véritables coups de poing dans plusieurs cas.

Réalité

La canicule a frappé la France en 2003. Les médias ont parlé de 20 000 morts. Les autorités ont dû mettre les corps dans des camions réfrigérés. Pascal Millet s’est inspiré de ce drame. Une fillette croit que le hamster de sa grand-mère est accroché dans le véhicule. Elle comprendra que c’est sa grand-mère qui est décédée. Cette confusion tient le lecteur en haleine tout au long des pages.
«Les adultes se sont tous retournés vers moi. Certains m’ont regardée comme si j’avais dit un gros mot. J’ai même senti que j’avais jeté un froid comme on dit. Et un froid, en pleine canicule, c’était pas mal pour une petite fille de cinq ans. Ma mère a attrapé  ses épaules, mon père a mis ses mains dans ses poches, la femme de mon autre tonton a rabattu sa voilette devant ses yeux et Mme Dusseault a sorti un kleenex de sa manche.
- C’est grand-mère, j’ai dit. C’est grand-mère qu’ils ont accrochée dans le camion.
Ils ont tous baissé la tête, ma mère a recommencé à pleurer et Mme Dusseault a serré mon père contre elle.» (p.28)

Registres

Pascal Millet passe de la langue québécoise à l’argot français sans effort. Il s’adapte au sujet, à la situation, au milieu et ça sonne juste. Il démontre une belle virtuosité, ne cesse de surprendre et de faire grincer des dents. Il a surtout le sens du détail pour décrire le drame de ses personnages qui se tiennent au-delà du bien et du mal. Des mondes où les pulsions font foi de tout. Il sait aussi devenir tendre, mais il a surtout l’art de décrire le côté obscur de la vie, celui que nous n’aimons pas tellement voir.
Ces quatorze nouvelles bousculent un peu tout le monde et nous laissent souvent pantois. C’est drôlement efficace. Une manière de voir notre société qui ne correspond pas à celle que l’on cherche à nous vendre dans les publicités. Un voyage étonnant et perturbant.

«Animal» de Pascal Millet est publié chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/261.html

Felicia Mihali cultive un fort instinct de vie

Felicia Mihali, depuis «Le pays du fromage» paru en 2002, ne cesse de multiplier les publications. Six ouvrages en huit ans.
 Originaire de Roumanie, elle a connu le régime communiste de Ceausescu pendant son enfance et une partie de sa vie de jeune femme. De quoi marquer, pour ne pas dire traumatiser. L’autobiographie ou le récit chez cette écrivaine n’est jamais loin, même quand elle nous entraîne en Chine.
Ce passé nourrit son écriture, particulièrement dans «Le pays du fromage», «Dina» et «Confession pour un ordinateur». Comment oublier une existence où la misère et la famine sont le lot de tous? Le régime de Ceausescu s’est infiltré partout, politisant toutes les occupations normales de la population.
Dans «Confession pour un ordinateur», elle s’inspire de cette époque pour construire une fiction qui prend l’allure d’une longue marche vers la liberté physique et intellectuelle.

Études

Une jeune fille fuit un monde sclérosé pour entreprendre des études à la ville.
«Mon adolescence a commencé un jour d’automne, à Bucarest, pendant le règne de Ceausescu.» (p.13)
L’adolescente échappe à un village où la vie est particulièrement étouffante, l’avenir impossible.
«Dans cette ville perdue dans l’obscurité, j’étais peut-être la seule fille heureuse, heureuse comme peu de femmes l’ont jamais été. J’étais heureuse parce que j’avais quitté mon village et que je vivais dans un endroit où je ne m’orientais qu’au prix de nombreux égarements, étant donné que je ne pouvais quitter l’internat que quelques heures, le dimanche. J’étais contente que personne ne soit sur mes traces, pour me surveiller derrière les clôtures. Dans ma nouvelle vie, rien n’était ni interdit ni obligatoire.» (p.25)
La Roumanie alors piétine en marge du temps. Les marchés d’alimentation sont vides et il n’y a plus de travail. Même la carrière militaire a perdu de son lustre. La jeune fille croise un peintre lors de «ses égarements» dans la ville. Elle a quinze ans, il a l’âge d’être son père.

Initiation

Ils se voient. Elle le fuit et le retrouve. Il nourrit son imaginaire, devient une sorte de «mentor».
«Lorsqu’il insistait trop, je disparaissais, fuyant cette identité honteuse qui ne me causait que des ennuis. Je préférais mourir plutôt que de lui apprendre quoi que ce soit sur moi.» (p.30)
Le peintre croit au début qu’elle est là pour l’espionner parce qu’il a refusé de faire le portrait du couple présidentiel. Relation trouble, étrange, malsaine.
Elle rencontre l’artiste épisodiquement. Son premier amour, même si les hommes se bousculent dans sa vie. Elle trouve le moyen de se marier, d’avoir une fille, de voyager, de retourner vivre à la campagne, de divorcer pour reprendre des études tout en gardant le cap sur l’écriture.

Les femmes

Les personnages féminins de Felicia Mihali sont emportés par les événements et empruntent souvent des routes étonnantes malgré leur volonté de changer de vie. Et curieusement, c’est cette «passivité» qui les sauve.
«Je me réveillais de l’état de choc que j’avais traversé. Je lui avais survécu. Je me suis habituée à l’idée que j’avais fait mon choix, et peut-être une conquête, que j’étais en train de changer et que dorénavant ma vie ne serait plus la même.» (p.55)
Elle deviendra journaliste et écrivaine.
Son personnage, dans «Confession pour un ordinateur», fait preuve de ténacité et de courage. Elle finit par s’en sortir même si la grisaille des jours semble l’emprisonner. Malheureusement, il peut y avoir aussi des perdantes. Dans son roman précédent, Dina est broyée par un homme qui la détruit. Tout comme le régime communiste a écrasé la Roumanie.
Mais plus souvent qu’autrement, elles sont le reflet de ce pays qui a fini par relever la tête après les délires de la dictature. L’instinct de vie triomphe de toutes les embûches et de toutes les folies dans l’univers de Mihali.
S’aventurer dans le monde de cette romancière, c’est accepter de perdre souvent ses repères.
De roman en roman, Felicia Mihali reprend un chant de libération souvent douloureux mais combien humain et touchant. L’écrivaine s’attarde à la longue marche de ces femmes qui s’échappent d’une société archaïque pour s’affirmer dans la modernité. Toujours troublant et inquiétant.

«Confession pour un ordinateur» de Felicia Mihali est publié chez XYZ Éditeur.