ISABEL
VAILLANCOURT publie un carnet chez Lévesque Éditeur, dans la collection Carnets d’écrivains qui permet d’aller
au-delà de l’écriture et de la fiction. L’écrivaine affronte la solitude, le
froid de l’hiver, la neige et surtout la maladie de son homme qui s’éloigne tout
doucement. Une glissade de la mémoire que pas un médicament ne parvient à
stopper. C’est toujours terriblement perturbant que de vivre les derniers
moments de quelqu’un qui a été bien droit dans vos jours, de voir qu’il ne
réagit plus à votre présence. Ça va aller
nous convie dans l’intimité d’Isabel Vaillancourt qui s’accroche à la vie avec
toute l’énergie qui est la sienne.
J’ai
participé à l’atelier donné par Robert Lalonde au Camp littéraire Félix il y a deux ans. C’est devenu, au fil des ans,
le rendez-vous pour ceux et celles qui s’intéressent à l’écriture de l’intime
et du carnet. Isabel Vaillancourt était là et tout comme moi, elle tournait
dans ses doutes et ses questionnements. Je travaillais une version de L’Orpheline de visage et ne savait plus quel
chemin prendre. La formule de l’atelier veut que nous lisions des extraits de
notre travail tous les soirs, à l’heure de l’apéro. Nous y allons à tour de
rôle et c’est une façon de tester son écriture, de se sensibiliser aussi à l’autre.
Isabel lisait et à vrai dire, je ne me souviens plus très bien. Il y a un monde
entre un projet d’écriture et le texte que l’on coince dans un livre. Tout
comme elle n’a pas dû reconnaître mon Orpheline
si elle l’a lu.
Je
me souviens qu’il y avait deux livres dans son projet, un roman amusant et un récit
plus intime. Tout comme il y avait deux textes dans mon Orpheline. Je m’égarais au milieu du manuscrit pour retrouver mon
chemin après pas mal de détours. Après des discussions avec Robert Lalonde et
les autres participants, j’ai sorti mes ciseaux et retranché tout près de 70
pages. Je me suis souvenu de Gaston Miron qui répétait quand il en avait
l’occasion qu’il « ne doit jamais y avoir deux poèmes dans un poème. » Comme
quoi l’écriture est souvent bien plus une question de soustraction que d’addition.
LUTTE
Isabel
Vaillancourt lutte malgré la maladie qui cloue son mari sur un lit d’hôpital. Son
homme, son ombre, l’écho de sa voix, la main tendue quand il y avait hésitation.
La maladie fait qu’il n’est plus conscient de ceux qui viennent lui rendre
visite. Le corps dérive tout doucement dans une autre dimension.
À arpenter
Sainte-Bernadette, ma rue, mon refuge, encore et encore, ce chemin que nous
foulions, bras dessus, bras dessous, mon chéri et moi. Au temps où il avait
encore tous ses sens, avant la chambre d’hôpital. Sa raison dans les limbes.
A-t-il conscience du temps qui file ? De ses forces qui, petit à petit, le
fuient ? Les jours, les soirs, les nuits se pointent à sa fenêtre. Je l’y
trouve parfois. Voit-il tous ces voiliers qui glissent sur le lac Osiko ? Il
regarde, mais c’est comme s’il tournait le dos à ce qu’il a tant aimé. (p.17)
La
narratrice pourrait se tourner vers son passé, raconter sa vie avec toutes les grandes
et petites aventures. C’est la direction que prennent bien des écrivains.
Isabel Vaillancourt reste discrète sur la vie de son mari et la sienne, regarde
en arrière juste ce qu’il faut. Comme tout le monde, elle a une boîte pleine de
souvenirs.
Elle
préfère le présent cependant, habiter cette nouvelle solitude qu’elle doit domestiquer,
trouver de nouveaux réflexes et de nouvelles manières d’être.
L’instant
présent, le jour, le temps d’une respiration, d’un battement de cœur, la
lumière du soleil dans le jardin, au bord de la fenêtre. L’hiver avec le froid qui
endort la ville, la rue qui veut la piéger, la neige qui dresse des montagnes
dans son entrée et s’amuse à sculpter son jardin.
Ma chaise de
jardin, en imitation de fer forgé, accumule son poids de neige. Beautiful, cette parure. Ses bras se
gonflent jusqu’à la démesure avec cette blanche épaisseur. Ça lui donne un air
de yéti. Il a plu, la nuit dernière, puis le mercure a subi une surprenante
dégringolade. Le tout a emprisonné la « créature » dans une gangue de glace,
comme pour accompagner ma solitude jusqu’au printemps. (p.45)
Le
froid qu’elle tient à l’œil et qu’elle bouscule, apostrophant le lecteur ou ce
quelqu’un qui devient son confident.
Les
oiseaux s’approchent. Toutes ces boules de plumes se nourrissent dans le plus
fou des froids. Ces ailes viennent secouer les secondes dans la lumière crue des
matins de janvier. Et ce cardinal, cet égaré, cet oiseau d’été, cet éclopé
peut-être, qui ne devrait pas être là.
Ils sont bien une
trentaine à la mangeoire. Des bruants à couronne, des mésanges, des geais
bleus, des durbecs des pins. Que de couleurs ! Que de gazouillis ! Que de grâce sur mon cœur ! Ils
se gavent et moi, l’âme au ravissement, je déjeune en les admirant. Mais… mais
mais… là, oui là, à gauche : un oiseau d’Église ! Oui oui : un
cardinal ! D’un rouge vif ! En Abitibi ! Un immigré, aux couleurs cappa magna ! (p.73)
Ça
m’a rappelé le merle qui s’est retrouvé dans une de nos mangeoires au milieu de
décembre. Il est demeuré autour de la maison pendant tout l’hiver, s’accommodant
des mésanges et des sizerins, prenant son tour dans la mangeoire malgré les gros-becs
fort nombreux et tellement affamés.
PRÉSENCE
Isabel
Vaillancourt aime la musique dans la maison, cette présence qui arrive à
secouer sa tristesse et à faire oublier le grand absent. Et l’écriture, bien
sûr. Pas un carnet d’écrivain n’oublie de faire un détour par les mots. C’est
obligé.
Étrangement,
Isabel Vaillancourt écrit devant la télévision, les informations en continu et les
malheurs du monde qui défilent.
Ressentir pour
écrire ensuite. Pourquoi écrire ? Pour laisser aller les choses, pour ajouter
de la distance entre ce qui fut inéluctable et le présent. Parce qu’on finit
par se sentir bien dans ce présent, bien que l’on s’en sente coupable à cause
de la perte de l’autre. Ou parce qu’on traverse des passages à vide et que ça
finit par peser, du vide. L’ennui pourrait durer, marquer les journées de
drabe. Tout dépend de quelle manière on arrive à faire la part des choses, me
dis-tu. (p.106)
Comment
fait-elle ? Ce serait assez pour me rendre fou et ne plus arriver à faire tenir
une phrase debout. Il me faut le silence, beaucoup, et elle a besoin de ces
images, de ces voix, du monde qui s’agite. Peut-être à cause de son travail dans
un hôpital comme infirmière, je ne sais pas. Pourtant, comme journaliste,
j’écrivais dans la cohue et le brouhaha.
J’apprivoise
les mots, avec juste le bruit de mes doigts sur le clavier et aussi des
oiseaux, pas les même que ceux d’Isabel Vaillancourt, mais des mésanges surtout
qui vont et viennent avec mes mots et les heures. Parfois aussi la chatte
noire, la curieuse, qui vient dans la porte et regarde si je ne dors pas. Je
n’arrive jamais à lui expliquer ce que je fais là pendant des heures devant un
écran.
ÉCRIRE
Écrire,
c’est lire avant tout. Je l’ai souvent répété et le réitère encore. Isabel
Vaillancourt garde sa pile de livres tout près, à portée de main et d’œil. Elle
y puise comme un pêcheur qui va au large, dans sa barque, pour s’arrêter dans
une baie et jeter sa ligne à l’eau. Il y a Kafka, Tolstoï, Colette, Peter
Handke, les bons messieurs Nietzsche et Proust... Pas beaucoup de Québécois.
La
lecture veut qu’on passe d’un écrivain à un autre. Un lecteur ne cesse d’agrandir
sa famille. Des toiles de Botero aussi. Le peintre des femmes lunaires et
rondes comme une planète. Il y a aussi ses enfants et petits-enfants, comme pour
tout recommencer.
La
fenêtre pour s’enquérir de l’état du monde, sa résistance à la neige avec une pelle
ou encore dans une poussée contre le froid et le vent. Elle respire, elle lit, écoute
de la musique, discute avec ses écrivains, écris, prend le temps de se confier
à sa vieille chatte Annabelle.
Marcher
Sainte-Badette, encore et encore. Recevoir au visage, comme une bénédiction,
son froid mordant. Rester attentive aux « ouh-ouh-ouhhh » de ses blizzards. De
retour au logis, gâter mes petits volatiles avec des graines, de belles
galettes de suif. Remercier le cardinal qui a choisi le Taj comme halte pour le
reste de l’hiver. Abandonner ensuite bottes, mitaines, manteau et tuque à
pompon. Puis, Stingray baroque, Carl Gustav Jung, et simili feu de foyer
crépitant jusqu’au soir. (p.123)
L’amoureux,
le compagnon, le partenaire habite maintenant le pays des souvenirs. C’est
peut-être cela la mort : n’avoir de place que dans le passé.
TÉMOIGNAGE
Un
beau témoignage d’Isabel Vaillancourt qui ne se laisse jamais abattre par les
embûches de la vie. Et elle possède des armes terribles pour résister et se
dresser bien droite dans son quotidien. Les grands compositeurs sont là, les
écrivains et son goût du monde lui fait aimer la neige, le froid, les oiseaux
et la photographie.
Ça va aller, n’en doutons pas.
Un
récit qui donne espoir, envie de vivre pleinement en s’accrochant à ce qui nous
pousse aux aurores à bouger et écrire, tenter de faire tenir une phrase en
parfait équilibre.
Un
carnet permet de nous arrêter à ces petites choses importantes et futiles, de s’attarder
à ce qui pousse à écrire ou à lire, à respirer même, se questionner sur l’art d’aimer
et de voir. Tous ces instants de bonheur et de douleur font que la vie est un
souffle, un sourire dans la durée du monde, un oiseau qui s’accroche à une
mangeoire ou un chat qui ferme les yeux et ronronne.
Ça va aller, un carnet d’ISABEL VAILLANCOURT, Lévesque Éditeur, 2018, 136 pages, 18,00 $.