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mercredi 4 juin 2025

MARIE-ANDRÉE GILL OFFRE LE MONDE

MARIE-ANDRÉE GILL coiffe, pour la première fois, l’un de ses ouvrages d’un mot en langue innue. Voici donc «Uashtenamu» qui signifie «allumer quelque chose» en français. Et, à peu près tous ses poèmes répondent à une parole en innu sauf trois : «La poutine», «Le post-it», «l’ADN» et «Les émojis». Oui, comment trouver l’équivalent de «poutine» en innu? Un tournant pour Marie-Andrée Gill qui devient, dans ce quatrième recueil, ce qu’elle voit, sent et touche dans son aventure d’être. Elle exprime son bonheur ressenti le matin à l’aube, la beauté d’un coucher de soleil sur le quai de Petit-Saguenay, de la majesté des arbres, des nuages ou plus prosaïquement des outils nécessaires aux tâches quotidiennes. Il y a aussi certains objets qui possèdent «une valeur émotive», comme le vieux camion de son oncle Bernard. Le plaisir d’être, là, dans une auto le soir, moteur éteint, dans le noir avec son compagnon pour parler à voix basse du vertige de vivre. L’existence dans toute sa grâce et sa discrétion : les instants qui vous embrasent dans l’agitation du monde et vous font prendre conscience que vous en faites partie.

 

J’aime l’écriture de Marie-Andrée Gill, son regard sur l’environnement et les gestes qui lui permettent de traverser les jours, ou encore les moments qu’elle se donne pour «voir réellement» tout ce qui l’entoure. 

Encore une fois, sa poésie repose sur les paroles les plus simples, pas de celles que l’on débusque dans les dictionnaires ou dans des listes de synonymes. Des mots que l’on secoue dix fois par heure et qui collent à nous comme un gilet trop vieux que l’on ne se résout jamais à se défaire. 

 

«la clarté creuse la montagne

   je me couche dans un ruisseau

   comme dans les bras de ma mère

   et je disparais

 

c’est peut-être le réel

là où il n’y a pas de frontières

entre soi et le reste» (p.14)

 

Tout est là quand le territoire s’ouvre et qu’elle devient l’univers qui l’entoure, la conscience d’être ce qu’elle voit. Peut-être aussi se glisse-t-elle dans une dimension qui abolit le temps et l’espace. 

 

«entre les trembles

   les champignons se confondent

   avec des flaques de lumière

 

   on pourrait dire le mot

   connexion

   si on veut

 

   on peut aussi

   rien dire pantoute» (p.38)

 

Être un regard dans un monde qui lui échappe quand elle devient un être d’habitudes. La poète cherche à s’installer dans le présent, dans son environnement, à le ressentir dans toutes les fibres de son âme pour le dire avec les mots les plus justes. Elle arrête ses gestes pour être là, à la bonne place, parfaitement immobile afin de ne pas perturber la beauté qui s’impose et se recroqueville dans l’instant. 

 

«Bouquet de flammes bleues

   sur chaudron très noir

   le Salada trempe

   à contre-jour de la toundra

 

   doigts gelés par la viande à défaire

   moelle crue sur la langue

   une grappe de nuages

   croquée par la vitesse du ciel

 

   l’espace d’un sourire 

   je ne suis plus moi

 

   je suis toute» (p.32)

 

Toujours étonnant cette façon de dire de Marie-Andrée Gill. Comme si la poète tentait d’accompagner la marche du temps en témoignant par son regard, un geste de la main, un sourire, un mot qui lui font prendre conscience de toutes les surfaces de son corps. Prendre plaisir à manger de la viande crue dans le froid de la toundra, d’un pays où l’horizon éclate dans toutes les directions. Ou encore, préparer le thé sur un feu de bois dans le plus magnifique des silences. Et voilà qu’elle est là, lucide et attentive, dans et hors de toute chose. 

 

BONHEUR

 

Marie-Andrée Gill recherche ces moments où elle se sent vibrer après avoir calmé ses peurs et ses angoisses qui ne manquent jamais de la cerner. Elle retrouve alors le territoire de son corps, respire à largeur d’horizon et savoure un coucher de soleil. Elle marche dans un sentier presque disparu, et fait le geste de la main, celui des ancêtres, quand elle longe la rivière Ashuapmushuan, où j’ai connu les plus beaux étés. Avec elle, je me grise du chant des rapides qui laissent échapper des bulles et des remous dans la fraîcheur du matin, des cascades qui vous branchent à la vie de ceux et celles qui étaient là avant et qui servent toujours de guide. 


Et, dans un sourire, toucher le genou de son compagnon pour l’aimer, s’étonner peut-être quand elle voit ses fils partir pour devenir des adultes. Ou encore, sentir la pierre et la mousse sous ses pieds, ressentir l’eau sur sa peau après avoir nagé et s’être hissé sur un rocher pour se sécher au soleil. Être la vie et le souffle qui ride la surface du Saguenay, ce regard dans le couchant qui se défait avant de se rapailler dans le matin.


«Je sais que je suis vous, que vous êtes moi :

   les cellules d’un même christie de grand corps

   qui n’a pas besoin de nom» (p.40)

 

S’attarder dans le pays pour être soi et les autres, se perdre peut-être pour mieux retrouver le temps des anciens à l’affût dans certains lieux. Tout ça pour être dans toutes les limites de son corps, pour respirer dans le vent flamboyant de l’automne, se recroqueviller dans un regard qui nous porte et fait de nous ce que nous sommes, pour aimer dans le plus doux du matin ou à la fin du jour, qui calme toutes les peurs. Se savoir là, dans sa tête, avant de se tourner vers l’autre.

 

«Ton cœur a beau arriver en grelottant

   gelé comme un creton

   je vais te l’emballer moé

   ta viande dans la mienne

 

   je vais friser autour de tes membres,

   on mettra ça à 350 ça sera pas long

   tu verras

 

   on va se nourrir

   à même la magie blanche

   de nos hormones.» (p.77)

 

J’aime jongler avec les poèmes de Marie-Andrée Gill, piger ici et là dans ses textes comme si je jetais une ligne à l’eau, me pencher sur des mots pour les lire et les relire avant de les écrire sur des bouts de papier que je glisse dans mes poches. Et, tout discrètement, quand le soleil effleure mon bras après avoir franchi un barrage de nuages, déplier ce papier comme s'il contenait un secret. S’incliner en remuant à peine les lèvres devant la tourterelle triste ou la renarde qui me visite dans le couchant, pour rester vivant, une conscience dans ce monde plein de surprises. 

Et il m’arrive de mélanger les mots de «Uashtenamu» pour en faire mon souffle, mon regard et mes bonheurs. Après tout, un lecteur fait et défait le livre qu’il a entre les mains. Avoir plein de Post-its pour me rappeler que j’ai des yeux pour le matin et le soleil sur les branches des pins qui prennent des rondeurs de velours. Tout ramasser dans un grand poème de vie et de sourires, de joie aussi, et m’ajuster au chant du merle qui s’égosille dans la dune, et prier devant le miracle des feuilles qui éclatent dans l’espace des bouleaux.

Marie-Andrée Gill sait traquer le beau dans le quotidien et les gestes de tous les jours. Elle arrive, avec sa remarquable simplicité, à nous donner l’appétit de voir, de respirer, de convoquer nos sens dans la plus incroyable des entreprises, celle de vivre et d’être témoin du monde. C’est le plus formidable cadeau que la poète peut offrir à ses lecteurs et lectrices.

 

GILL MARIE-ANDRÉE : «UASHTENAMU Allumer quelque chose », Éditions La Peuplade, Chicoutimi, 128 pages, 21,95 $.  

https://lapeuplade.com/archives/livres/uashtenamu-allumer-quelque-chose

jeudi 21 février 2019

LE CERCLE DE MARIE-ANDRÉE GILL

MARIE-ANDRÉE GILL signe un troisième ouvrage à La Peuplade. Un beau titre : Chauffer le dehors. Je me rappelle ma mère qui nous sermonnait lorsque nous tardions à repousser la porte par les jours de grands vents. Elle répétait dix fois par jour en janvier : « Fermez la porte ! On chauffe le dehors ! » Elle voulait dire qu’il fallait tout faire pour laisser le froid à l’extérieur, garder son énergie et ne pas gaspiller du bois qui se consume en pure perte. Elle souhaitait ainsi nous protéger des dangers de l’hiver en particulier. Certainement aussi, préserver ce milieu de vie où l’on pouvait respirer, rêver au milieu des fureurs de la neige et des poudreries. Cette affirmation évoque chez moi la chaleur du gros poêle, la lenteur et les rêveries devant une fenêtre qui se recouvrait de givre.

 Marie-Andrée Gill attire les regards avec ses recueils d’une simplicité souvent désarmante. Une langue proche du parler populaire, des mots que l’on utilise tous les jours pour décrire des tâches qui sont toujours à recommencer. Des expressions si familières qu’il devient facile d’imaginer que le temps les a usées et qu’elles arborent des pièces aux coudes et aux genoux comme de vieux vêtements dans lesquels nous sommes tellement à l’aise.

L’amour c’est une forêt vierge
pis une coupe à blanc
dans la même phrase (p.11)

J’aime qu’un poème forme un cercle parfait, qu’il se présente bien lisse comme un œuf ou une pomme. Ce n’est pas tout à fait le rond, mais plutôt un ovale, comme deux bouts d’existence qui se croisent. Le texte se replie sur lui et sonne comme un accord de piano qui s’impose et s’incruste dans votre mémoire. Des vers qui ne s’éparpillent pas dans une abstraction qui masque souvent une indigence d’expression. Gaston Miron avait une formule fort jolie pour résumer ce que je tente d’expliquer. « Il faut qu’il n’y ait qu’un seul poème, dans un poème », lançait-il de sa voix de stentor. Malheureusement, beaucoup de celles et ceux qui s’essaient au genre oublient cette grande leçon.
Quand je pars sur la pointe des pieds dans un nouveau recueil, je passe mon temps à souligner ce qui déborde, les vers qui sont plaqués ou qui se présentent comme une greffe qui alourdit inutilement le propos. Il suffit d’enlever tout ça et l’ensemble s’en porte mieux. L’écriture d’un poème est l’apprentissage de la précision et de la finesse. Il m’arrive souvent d’être poussé hors du texte avec ces excroissances ou des images qui se referment sur elles comme des coquillages. Heureusement, ce n’est pas très fréquent avec Marie-Andrée Gill. J’ai lu Chauffer le dehors avec bonheur, me sentant interpelé au plus profond de mon être.

J’aurais voulu qu’on se braconne encore un peu,
que tu me recouses la fourrure avec tes mitaines,
que tu me twistes le cœur correct tsé comme on
remet un cadre droit ; je t’aurais montré que je sais
sourire avec ça moi la carcasse du mot anxiété. (p.15)

Bien sûr, j’ai hésité devant quelques poèmes. Il y a encore des mots qui dépassent ou des vers qui s’égarent dans  un chemin de travers et qui font perdre la cadence. C’est là que Gaston Miron et à sa formule unique peut nous aider. Comment résister à la tentation de prendre ses aises pour respirer et ne pas se faire mal ? La peur aussi, peut-être, de passer à côté de ce que l’on veut toucher en soi ou chez celui que l’on aime. La plupart des strophes s’élancent magnifiquement dans une belle simplicité qui montre le désir, la perte et l’absence. 
Je continue et m’attarde à la page dix-sept. La fin est particulièrement juste, capable de survivre sur la grande surface blanche. Il y a un poème au début, avec un genre de pont au centre et un autre poème pour terminer.

Quelque chose en moi garde sa lampe allumée -
une déchirure, pas tout à fait une blessure, plutôt
comme quand les nuages s’ouvrent là au milieu,
entre les poumons - une envie qui peut pas
s’empêcher de chercher le trouble, provoquer
la rencontre, essayer n’importe quoi tout à coup que. (p.17)

Ce segment respire parfaitement et je lui aurais volontiers cédé tout l’univers d’une page pour qu’il vibre et résonne dans toutes ses dimensions. J’arrête là ces tatillonnages. Je ne veux surtout pas me transformer en donneur de leçons. Ce n’est surtout pas ce qu’il faut retenir de l’ouvrage de madame Gill. Je n’ai pas fait mieux avec L’Octobre des Indiens dans une époque bien lointaine. Je bondissais sur tous les sentiers par peur de me trouver peut-être. Nous sommes tous des bêtes folles quand nous nous lançons dans l’écriture et comment résister à la fascination de courir derrière tout ce qui bouge en croyant que c’est la seule manière de changer le monde.
Je m’attarde à Marie-Andrée Gill depuis ses débuts en 2012 et elle s’égare de moins en moins, même s’il lui arrive encore de céder à la tentation des « deux poèmes dans le poème ». J’aime la retrouver parce que je trouve chez elle une sensibilité rare, un univers qu’elle habite avec toutes les aspérités de son corps et de son âme. Et après deux ou trois lectures de Chauffer le dehors (il faut toujours revenir sur un texte poétique, souvent plusieurs fois pour s’en imprégner) je me rends compte qu’il y a de moins en moins de bouts qui dépassent.

CHEMINEMENT

Marie-Andrée Gill s’étourdit autour d’un amour qui ne peut s’enraciner et fleurir. L’attirance est forte. Un homme la retourne comme un gant. Ils se croisent, s’éloignent, se touchent du regard, ne peuvent se permettre les chemins de la grande jubilation. Ils sont des comètes qui s’enflamment quand la gravité les pousse l’un vers l’autre. Il suffit de si peu pour couper le souffle et vous figer dans l’instant. Un mouvement et voilà que le dépanneur vibre dans un commencement du monde. Et c’est toutes les promesses de l’aurore dans un sourire. Comment résister à l’attraction des corps, à ces carrefours où tout peut basculer ?

C’est quétaine de même
j’ai eu beau faire trente brassées
je suis pas capable de faire partir
les traces de tes doigts (p.59)

Que j’aime cette simplicité et ce mal qui se dit dans les gestes quotidiens. Ces instants où l’on devient l’aurore boréale et après, le souffle et une larme peut-être dans la dure réalité.

Je laisse le territoire m’éparpiller comme les oiseaux
migrateurs savent pas se perdre. (p.80)

J’aime ce recours à tout ce qui crie, chante, vole, court, bondit dans la forêt et habite les rivières et les lacs.
Marie-Andrée Gill portage sa peine au milieu des arbres et dans l’éclatement des sabots de la vierge au printemps, ces fleurs magnifiques que l’on dit impossibles à transplanter. La femme est ce corps en attente d’un pays, peut-être le Nitassinan qui reste un rêve à concrétiser. Une symbiose avec tout ce qui fait que nous franchissons le jour lentement, cheminant du matin au soir.

C’est dans le sacré d’un lever de soleil
la musique de nos animaux rescapés
et la douleur de ce qui brille

dans tout ce que la lenteur permet
par-dessus mon respir croche

que je laisse le temps
accorder sa guitare
comme du monde  (p.85)

J’ai refermé Chauffer le dehors tout doucement en imaginant une fleur qui se replie quand la chaleur du soleil n’arrive plus à la faire frissonner. Le temps fait son travail, permet de se calmer dans la pâleur du jour et de ressentir un petit pincement au cœur alors qu’on allait esquisser un sourire.

Si vous me cherchez, je suis chez nous
ou quelque part sur Nitassinan,
toutes mes portes et mes fenêtres sont ouvertes

je chauffe le dehors. (p.84)

Des chuchotements, des confidences qui se partagent à voix basse, pour ne pas briser le recueillement. Marie-Andrée Gill m’a touché comme ce papillon qui vole de manière imprévisible au chaud de l’été et s’approche pour voir si vous êtres toujours du côté des vivants. Ses images offrent des moments intenses qui vous figent devant leur simplicité. Une façon de respirer autrement malgré la peine qui se transforme lentement en nostalgie que l’on rejette d’un haussement des épaules, quand la vie a fait ce qu’elle devait faire. Certainement le recueil le plus réussi de cette jeune poétesse.


CHAUFFER LE DEHORS, poésie de MARIE-ANDRÉE GILL, publiée chez LA PEUPLADE, 2019, 104 pages, 19,95 $.