LES ENFANTS PRENNENT BEAUCOUP de place dans la littérature
québécoise. Peut-être parce que ce personnage permet de bousculer une certaine
réalité et de faire table rase. Bien sûr, je pense à Bérénice Steinberg et aux héroïnes de Réjean Ducharme qui refusent le monde des adultes et s’ancrent
dans l'adolescence. Monsieur Émile d’Yves Beauchemin a charmé bien des
lecteurs. Claude Kérouac de Guy Lalancette, dans Les cachettes, réinvente sa réalité. Et La petite fille aux allumettes de Gaétan Soucy, après la mort du
père, doit faire le grand ménage. Les fillettes sont souvent beaucoup plus fascinantes
dans notre aventure romanesque que les garçons violents de Bruno Hébert, par
exemple, dans C’est pas moi je le jure.
Fauve fait face à une terrible réalité dans Il préférait les brûler de Rose-Aimée Automne T. Morin. Son père,
atteint par le cancer, n’en a plus pour longtemps. Une vérité inacceptable pour
cette enfant qui va d'un parent à l'autre. Une famille éclatée, la norme
maintenant. Un homme qu’elle idolâtre, son héros qu’elle pense protéger et
sauver peut-être du pire, une mère qui la suit à la trace et montre les griffes
quand c’est nécessaire.
Je ne me souviens pas de l’annonce. Comme si le diagnostic de cancer
s’était infiltré de lui-même chez nous. Une évidence, un nouveau membre de la
famille. À cause de lui, mon père tomberait encore et, un jour, il ne se
relèverait pas. Si, ce jour-là, c’est moi qui devais le trouver, s’il fallait
que nous soyons seuls à la maison, je n’aurais qu’à peser sur ces trois
chiffres, dans cet ordre, sur le téléphone. Quelqu’un viendrait nous aider, lui
et moi. Et ce jour-là, ce sera demain. Ou alors le jour suivant. (p.18)
L’enfant a besoin de stabilité, d’amour et d’une certaine routine,
dit-on. Tout le contraire ici. Le père affronte sa fin avec lucidité, sans dramatiser.
La mort viendra à son heure. Inutile de sonner les cloches et de déchirer sa
chemise. Ce rendez-vous fera partie du quotidien de Fauve. Rien n’est simple
pourtant, même si les parents font tout pour que cette tragédie soit banale. Les
questions se bousculent et perturbent la fillette.
Il ne camoufle pas ses larmes, ne cherche pas non plus à me
rassurer. Du haut de mes cinq ans, la seule chose qui me vient en tête,
c’est : qui va le sauver quand il va tomber ? Qui va appeler le 911 si je
ne suis pas là pour réagir à la seconde même où son corps frappera le sol ? Ce
n’est pas l’annonce d’une séparation, mais celle d’un arrêt de mort. (p.31)
Fauve doit faire face à la vérité, aussi cruelle
soit-elle. Le père guide sa fille dans la plus belle des franchises vers le dur
métier d’être femme. Plus rien n’est tabou, tout peut se dire. Les âmes
s’effleurent alors dans une communication unique.
Fauve se découvre une passion pour la lecture et les livres, l’école, la
sexualité pour le meilleur et le pire. Son
enfance passe par des chemins étonnants et son innocence la protège.
En fait, il faut que tu comprennes une chose tout de suite :
je partirai pas tant que tu me diras pas de le faire. Je serai incapable d’en
finir aussi longtemps que je sentirai que t’es pas prête à vivre sans moi.
Alors, un jour, il va falloir que tu acceptes de me laisser aller, OK ? Tu vas
le faire pour moi ? Promets-le.
Non. (p.60)
Le cancer se permet une sorte de sursis. Fauve a le temps de devenir
adolescente, de s’équiper avant de s’aventurer dans sa vie de femme. Elle fait face malgré ses peurs, ses angoisses, ses essais et ses faux
pas. Jamais facile d’être adulte, surtout quand l’avenir est tronqué.
AVENTURE
Fauve se dégourdit avec les livres, provoque la jalousie à l’école, vit l’intimidation,
tente de séduire certains hommes même si son corps n’est pas encore celui de la
jeune femme qu’elle deviendra.
En moi, il y a la maladie et la fuite. Elles me viennent de mon
père, du cancer et de cette pulsion qui pousse à détruire tout ce qu’on aime
pour mieux l’abandonner. Je ne pourrai pas y échapper, on m’a légué ça entre
deux parties de cartes. Il y a aussi, dans mon ADN, la folie. Elle, elle me
vient d’ici. Si Matante est cassée, j’imagine que je le suis également. Même
famille, même sang. Si je ne finis pas mes jours cancéreuse à trente ans, je
les terminerai institutionnalisée. (p.170)
Une mère forte et une tante qui cherche frénétiquement l’amour, un père
qui croit protéger sa fille du naufrage qu’a été sa propre existence. Des drames,
bien sûr, mais une façon de s’accrocher et de toujours refaire surface. Un
texte vivant, plein de miracles d’écriture, de sourires et de malaises aussi. Rose-Aimée
Automne T. Morin m’a plongé dans cette aventure peu banale et je l’aurais
suivie encore longtemps. Un roman touchant qui transcende le drame, donne goût
à la vie, même quand l’avenir se dresse devant soi comme un mur
infranchissable.
AUTOMNE T.MORIN ROSE-AIMÉE ; Il
préférait les brûler, Éditions STANKÉ, 232 pages, 22,95 $.
http://www.editions-stanke.com/preferait-bruler/rose-aimee-automne-t-morin/livre/9782760412699
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