jeudi 7 juin 2007

Simon Philippe Turcot invente un monde

Plonger dans l’univers d’un nouvel écrivain s’avère une aventure. Et quand il y a un regard, un ton et une musique, la lecture devient un plaisir.
Simon Philippe Turcot vient de publier «Le désordre des beaux jours», un titre qui évoque le monde de Boris Vian ou de Samuel Beckett. En plus, «Le paysage est un atelier», une suite poétique, vient de sortir quasi simultanément aux Éditions Heures bleues.
Un court roman qui entraîne le lecteur dans une auberge située à la limite de la forêt boréale. Un endroit où l’on échoue quand le monde devient intolérable et qu’il ne reste qu’à marcher jusqu’au bout de sa vie.
«C’est en faisant mille détours, en défrichant des kilomètres de sentiers, jusqu’à se perdre soi-même, que l’on arrive au Désordre des beaux jours. L’endroit n’est indiqué ni dans les livres, n’a pignon que sur l’étendue et se cache bien loin des routes.» (p.9)
Nathan tombe sur cette auberge quand il touche la limite de ses forces, de la vie presque. Il a marché vers le Nord dans une sorte de transe qui lui a fait tout oublier. Ce refuge semblait l’attendre. Madame et Monsieur D accueillent les éclopés. Tout y est fourni. Tabac, vin et lectures. Un lieu pour créateurs en perte de sens, pour se refaire une santé de l’âme peut-être.
«La solitude s’infiltre dans les inspirations, se loge dans la gorge, enserre le cou et fait paniquer. On sent la mort de soi, la mort des idées folles, la fin des grands trajets, des voyages. Vient l’anxiété puis l’angoisse, l’impression d’être coincé entre deux eaux froides, qu’il faut nager vite, se débattre pour atteindre la berge et crier pour que viennent les secours.» (p.30)
La vie s’installe dans la petite communauté. Chacun trouve ses habitudes. Nathan écrit et dessine, garde un attrait pour les longues promenades où il a l’impression d’échapper à l’attraction terrestre. Filipov effectue des traductions et Madame colmate les fuites de l’être. Une forme d’harmonie marque les jours, une complicité belle de respect.

Le pays

En lisant ce roman, j’ai souvent eu l’impression de me retrouver dans les steppes de Gogol ou «La gare» de Sergio Kokis. Un univers où la vie devient une quête, une recherche où le superflu s’efface. 
«Imaginer son corps devant soi. Du paysage, derrière, ne conserver que l’essentiel. Retirer l’horizon délicatement. Enfreindre quelques lois physiques. Du corps, retenir les contours. Soustraire les peaux, les muscles puis les organes. Les os. Et peindre, dessiner ce qu’il reste de nous, là, dans l’exemplaire simplicité de l’étendue, à ce moment précis de l’histoire.» (p.36)
Turcot a le don de faire ressentir la solitude, le froid et la neige. Quelques couleurs et un pays vibre. De la même manière, dans «Le paysage est un atelier», il décrit l’ailleurs et le fjord du Saguenay avec juste un minimum de teintes. C’est suffisant pour faire surgir un monde singulier.

Dépouillement

Simon Philippe Turcot aime les espaces où le haut et le bas se confondent. L’horizon alors s’ouvre comme un gouffre, sur «un ailleurs» où l’on peut à la fois se perdre et se retrouver. C’est le risque de la création et de la vie peut-être, le défi du peintre qui crée un monde avec un crayon et un peu de couleur.
«Dehors le monde ne va pas bien/ des contrées à relever/ à construire/ il faut peindre/ encore/ jardiner peut-être», affirme-t-il dans «Le paysage est un atelier».
L’écrivain croit changer le monde par l’écriture et la poésie. Il a raison. Le monde prend les teintes et les dimensions que l’on veut lui donner. Il faut juste de la patience et pas mal de persévérance.
Une lecture qui donne envie de fréquenter «Un désordre des beaux jours» pour les soirées de poésie et les lectures, pour écrire et prendre un verre de vin quand le soleil couchant fait craquer la croûte terrestre et plonge dans toute la gamme des rouges.
C’est peut-être ce que Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot cherchent à inventer à Saint-Henri-de-Taillon en ouvrant une librairie-buvette qui jouxtera la maison d’édition «La Peuplade».

«Le désordre des beaux jours» de Simon Philippe Turcot est paru à La Peuplade.