C’EST TOUJOURS UN PEU ÉTONNANT de lire des écrivains qui acceptent de se compromettre et de se projeter dans l’avenir. C’est ce que onze écrivains et écrivaines ont bien voulu faire en participant à ce collectif simplement intitulé Futurs. C’est vrai qu’il est périlleux de penser demain lorsque les horizons se bouchent avec la crise climatique et le réchauffement de la planète. Les catastrophes s’annoncent avec des migrations massives et des guerres pour le contrôle de l’eau potable. L’air et les plantes s’en prennent aux oiseaux et les animaux disparaissent. Et les glaciers ne sont plus qu’un souvenir. Comment rêver le paradis, vivre en paix, en toute tranquillité ? L’humanité avance sur une corde raide et la Terre ressemble de plus en plus à un précipice si on se fie aux propos des experts. Les écrivains sont toujours attentifs à ces signes et n’échappent pas aux traumatismes de leur époque. Souvent, en s’aventurant dans l’avenir, tous affrontent leur peur et leur angoisse.
Bien sûr, la technologie est présente dans Futurs. Des robots, des avatars, des gadgets qui permettent de se faufiler dans une autre dimension et de disparaître peut-être dans des espaces que nous avons du mal à imaginer. Pourquoi ne pas donner la parole aux morts, partir pour des missions qui deviennent des migrations sur des planètes toutes neuves, des mutations certainement ? Difficile, parce que la beauté du voyage, après tout, trouve son sens dans le retour après avoir changé nos regards et nos perceptions.
Je l’avoue, je ne suis pas un grand lecteur de science-fiction. Ces écrivains me déçoivent la plupart du temps. Sauf (il y a toujours des exceptions) Élisaberth Vonarburg qui m’entraîne dans des univers imprévus et fascinants. Les gens restent au centre de ses préoccupations et de ses questionnements. Voilà une amoureuse qui, avec les mutations de ses personnages, les soubresauts de l’Histoire, ne cesse de s’inventer un monde où il est possible de s’épanouir. Cette écrivaine tente souvent de secouer le passé pour mieux essaimer dans un futur différent et si pareil. L’humain ne change guère malgré l’accumulation des connaissances et des découvertes scientifiques. Il sera toujours un angoissé qui imagine le pire et ne peut respirer sans une catastrophe.
MONDE
J’ai souvent l’impression que les écrivains de science-fiction racontent des histoires qui pourraient se dérouler chez le voisin ou dans une campagne pas très loin de mon grand lac. Ils enrobent le tout de machines bizarres, font appel à des robots fort pratiques et efficaces qui sont toujours plus fiables que les humains qui portent des noms étranges. Peu de Dallaire, de Tremblay ou de Paré dans les textes d’anticipation.
Oui, la planète est mal en point et les plus résistants tentent de se débrouiller dans un environnement devenu très hostile. La nature a disparu et les enfants ne peuvent imaginer une forêt, un ours en liberté ou encore un lièvre qui explore son coin d’univers en rêvant peut-être de voyage dans l’espace où les pinières sont infinies. Ayavi Lake ne se fait guère rassurante dans Résurgence.
Avec son Lévit, la Compagnie a endormi tout instinct de survie au sein des populations des zones habitables. Des amas de cadavres se sont accumulés dans les parcs et dans les écoles, en silence. Parfois, rarement, un adulte moins amorphe que les autres laissait échapper des bruits semblables à des pleurs. Maintenant qu’il n’y a plus aucun enfant, les parents d’autrefois errent, absents, drogués, occupés aux mêmes tâches, au parc-zoo, dans les églises et les laboratoires, ou sur les sites d’exploitation. (p.19)
Un peu plus et je me serais cru dans les affabulations d’un complotiste qui imagine les pires scénarios et qui voit la pandémie comme l’ultime tentative de certains dirigeants pour contrôler les humains. Des plans machiavéliques, des vaccins qui vont nous contaminer et permettre à ces grands mégalomanes de faire de nous des animaux dociles.
L’AILLEURS
L’ailleurs est étrange maintenant quand je pars à l’épicerie, que je bascule dans un espace où les masques sont obligatoires. Je ne dois plus m’approcher de mes semblables et me méfier, respecter un couvre-feu dans une région rouge ou orange, faire reculer ce terrible ennemi invisible qu’est la COVID qui vient peut-être d’une planète méconnue que l’on nomme la Chine. Notre vie communautaire s’est enrayée depuis un an et nous ne savons plus trop à quoi nous accrocher. Comment imaginer un avenir fascinant et exaltant ? Peut-être que nous sommes au cœur d’une dystopie que messieurs Arruda et Legault écrivent chaque jour à la télévision.
— Ça ne se peut pas. Il commence à y avoir des publications scientifiques là-dessus. Tu n’es pas assez attentif à l’étiolement qui suinte de partout. Tout le monde éprouve ce sentiment d’être dévitalisé, dépourvu de couleurs. Sans chromatisme. Chlorosé. Je te le répète : la meilleure manière d’apprivoiser le néant, c’est de le créer en soi. En extrayant… (p.91)
Ce texte d’Ariane Gélinas m’a particulièrement dérangé. La mutilation ou « l’extraction » comme elle écrit, est-elle une solution, une façon de vivre. S’acharner à soustraire des parties de soi qui paraissent embarrassantes me semble un peu inquiétant. Plusieurs en art de la performance ont pris leur corps pour un objet en lui faisant subir nombre de mutations. Après de multiples interventions, greffes et amputations, ces individus sont devenus des monstres. Ça me donne des frissons dans le dos une histoire semblable.
PELOUSE
Élisabeth Vonarburg m’a fait sourire quand elle s’attarde à sa phobie de la pelouse pour imaginer un monde que je veux bien. Elle s’en prend à la loi de l’herbe verte, entretenue, rasée et stérilisée avec tous les fertilisants polluants et efficaces qu’il faut répandre régulièrement. Une guerre sourde et totale contre cet ennemi coriace et têtu, le pissenlit. Dans son texte, heureusement, le gazon est obsolète. Merveilleux ! La forêt s’installe en ville et s’implante dans les petits espaces qui permettent la pousse d’un bouleau ou de fleurs sauvages. Fini les environs qui ressemblent à des tapis fabriqués en Chine.
Puis son regard revient sur son boisé. Oui, elle dit encore « mon boisé » — après tout, elle a été la première du quartier à se débarrasser des pelouses, à l’avant comme à l’arrière de la maison, en acceptant les arbres offerts par le hasard et en en plantant d’autres quand ils devenaient trop vieux ; ça lui a valu assez de regards et de commentaires critiques, cette absence de gazon ! (p.58)
Voilà qui peut nous faire oublier les catastrophes et tous les dangers en faisant une place à la nature qui s’impose et va comme elle l’entend bien.
PEUR
Mathieu Villeneuve, instigateur et coordonnateur de ce projet, a bien raison quand il dit que : « … la fin du monde fait partie de l’imaginaire collectif, mais aussi qu’elle se niche en nous, invisible, dans nos peurs comme dans nos amours. »
C’est le cas depuis la nuit des temps. Les hommes et les femmes ont pris un malin plaisir à prédire les cataclysmes et à imaginer des fins du monde. Même dans la Bible, on parle d’incendies qui rasent les villes et d’un déluge qui permet à la famille d’un élu de monter dans un bateau de croisière pour sauver toutes les espèces vivantes. Est-ce là une prophétie ou un texte qui esquisse le grand projet de migration sur une autre planète qui pourra accueillir les survivants que nous deviendrons ? Espérons que dans ce voyage ultime, si jamais il se produit, les passagers oublient leur goût pour la violence et la guerre, leur fascination pour les catastrophes et les désastres. D’autant plus qu’ils auront avec eux le pouvoir le plus extraordinaire qui existe, soit celui de l’imagination qui peut transformer une galaxie et permet le pire comme le mieux. Des textes étonnants, un peu déroutants parfois, qui font réfléchir au dur métier de vivre, effleurent ces rêves que les humains transportent malgré tout dans leurs bagages.
VILLENEUVE MATHIEU, Futurs, collectif de onze écrivains, avec Bérard Sylvie, Brisebois Patrick, Brousseau Simon, Côté Catherine, Ferland Charles-Étienne, Gélinas Ariane, Lake Ayavi, Laramée Émilie, Larson Rich, Villeneuve Mathieu et Vonarburg Élisabeth, ÉDITIONS TRIPTYQUE, 228 pages, 21,95 $.