Peut-être que les écrivains ne peuvent que s’appuyer sur leurs prédécesseurs pour créer leur propre oeuvre. La littérature nourrit la littérature et l’ensemble des livres constitue une longue chaîne. Habituellement, un auteur fait tout pour masquer ses influences, se présentant comme l’enfant qui vient de naître.
Patrice Martin, dans «Le chapeau de Kafka», met cartes sur table à propos de l’auteur de «La métamorphose» et du «Procès». Assez pour nous plonger dans une histoire étrange, parfaitement logique et absurde, un univers que ne nierait pas Samuel Beckett. Les personnages dialoguent sans se comprendre, prisonniers de codes et de leurs fonctions. Martin évoque la bêtise du fonctionnarisme et une société qui s’en tient à des règles abstraites et inhumaines.
Mission
P. (Patrice Martin peut-être) reçoit une mission. Il doit aller chercher un chapeau ayant appartenu à l’écrivain tchèque dans un édifice de New York, récupérer le couvre-chef et le ramener à son patron. Ce qui devait s’avérer une simple promenade déraille. Coincé dans un ascenseur, P. réussit à en sortir après un dialogue digne de «En Attendant Godot» avec les préposés à l’entretien, tombe sur un gardien d’entrepôt qui vient de mourir. Craignant d’être accusé de meurtre, il décide de cacher le corps dans une valise où il déniche un manuscrit. Il y est question de Paul Auster, Italo Calvino et Jorge Luis Borges.
Les événements font le larron, dit l’adage. P. décide de voler le chapeau pour demander une rançon, se retrouve encore une fois coincé dans l’ascenseur avec une femme dont il tombe amoureux.
«En effet, s’il n’avait pas été coincé à cet étage précis, il n’aurait pas cogné à la porte de la salle des valises. S’il n’avait pas trouvé, puis caché le corps du garde de sécurité, il n’aurait sans doute pas été là au moment où la caisse de chapeaux arrivait dans la salle. S’il n’avait pas conclu sa seule option véritable était de voler le chapeau et, afin de ne pas déclencher l’alarme, de monter de nouveau dans l’ascenseur, il ne serait pas en présence de cette jolie femme qui porte présentement la preuve à conviction de sa culpabilité sur sa tête. » (p.65)
Une partie de l’intrigue tourne autour de cet ascenseur imprévisible qui provoque les situations les plus étranges. Il peut même devenir dangereux en chutant de plusieurs étages.
«L’action mène à la connaissance, qui pousse à l’action, qui mène à la connaissance, qui pousse à l’action, etc. P. est venu accomplir quelque chose de précis dans cet édifice, mais ce qu’il y a appris le pousse à faire autre chose. Ce tango interminable entre action et connaissance, connu sous le nom de dialectique, fait la force et le malheur de l’humain en même temps qu’il le distingue des bêtes.» (p.32)
Puzzle
Peu à peu les morceaux du puzzle s’imbriquent. Patrice Martin nous entraîne dans un suspense où le hasard provoque les pires situations. Paul Auster s’avance dans l’ombre et c’est lui que l’auteur tente d’approcher.
«Max relate alors comment Auster raconte que Kafka invente une histoire pour une petite fille qui a perdu sa poupée. Il explique que son roman à lui tourne autour du chapeau de Kafka et de la ville de New York. Or comme, de toute évidence, un des plus grands romanciers new-yorkais de l’heure est un fan de Kafka, il a pensé qu’il serait peut-être intéressé à lire son manuscrit et, pourquoi pas, à en signer la préface.» (p.91)
De véritables poupées gigognes qui s’emboîtent et font glisser dans des univers étranges. Un texte brillant, un peu compliqué, mais jamais le lecteur ne perd le fil. On apprécie les clins d’œil et les entourloupettes, les surprises et les dialogues particulièrement absurdes. Ceux qui fréquentent Borges, Auster et Calvino apprécieront.
Patrice Martin s’amuse à paraphraser ses auteurs favoris sans faire une fausse note. Un travail original, une surprise et un plaisir d’esthète. La littérature québécoise ne nous a pas habitué à ce genre de récit.
«Le chapeau de Kafka» de Patrice Martin est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/516.html