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vendredi 1 décembre 2017

NICHOLAS DAWSON CHERCHE SON LIEU

DES CHILIENS MIGRENT au Québec comme de nombreux dissidents l’ont fait pour fuir la dictature d’Augusto Pinochet. La petite famille a du mal à s’adapter. Le climat, l’hiver surtout est plutôt difficile pour les parents. Un appartement modeste au départ et un déménagement dans une maison de Brossard. Le rêve de bien des Québécois. Les enfants s'arrangent, mais c’est une autre histoire pour la mère. Son corps est au Québec, mais sa tête part souvent au Chili. La distance entre les parents et leur progéniture s’élargit un peu plus chaque jour. Et surtout, il y a le petit dernier qui ne fait rien comme les autres.

Un homme d’origine chilienne, fils de migrants, est à la dérive. Un peu comme sa mère qui n’a jamais accepté sa nouvelle vie dans le pays étranger. Elle s’est suicidée lors d’un séjour au Chili, n’arrivant plus à respirer au Québec, incapable qu’elle était de tourner la page, perdue dans sa tête, écartelée entre le pays d’origine et celui de l’arrivée.
Le fils est tout aussi flou dans son être et sa sexualité. Le journaliste, toujours en déplacements, en quête d’une vérité qui ne cesse de filer entre ses doigts, bascule dans la dépression. Comment s’arracher à cette torpeur ? Il faut retrouver le fil, revenir à la surface. Il part sur les traces de sa famille, pour comprendre peut-être ce qui a poussé sa mère à choisir la mort, se retrouve au Chili, dans une famille qu’il ne connaît pas et qui l’accepte comme un frère. Il cherche des ancrages, une histoire qui pourra le porter, un passé qui permettra d’ouvrir une porte sur l’avenir.

Depuis la mort de sa mère au Chili, les terreurs nocturnes dispersent ses souvenirs comme des corps dans l’océan et dans le désert. Il a trente ans, il est un homme, mais le matin, il se sent cloîtré dans l’enfance, condamné à se reconstituer, à rétablir ses récits, parce que les cauchemars de la nuit cèdent leur place à cette image qui l’enferme, cette image incongrue, coquette, douloureuse : la tête renversée avec charme, les cheveux dorés, le sourire éclatant. L’image de sa mère au printemps. (p.19)

Il s’attarde auprès de ses oncles et de ses tantes, des cousins et des cousines qui doivent lutter pour rester du côté des vivants. Il sourit, indifférent à toute cette agitation. Il y a sa mère toujours obsédante, le lieu où elle a choisi de ne jamais rentrer.
Les animitas se multiplient sur sa route et lui rappellent un personnage, un événement, un moment exceptionnel. Vous connaissez ces croix que l’on plante le long des routes pour rappeler un accident tragique ? C’est un peu ça un animitas. Son séjour le pousse dans le désert où il pense respirer autrement, prendre sa vie à bras le corps.

ENFANCE

Nicholas Dawson raconte l’enfance du narrateur, les dimanches où la famille se rend à l’office religieux. Une manière de se retrouver avec des concitoyens, d’entendre la musique de leur langue. Une véritable expédition pour l’enfant qui rêve et glisse d’une vie à l’autre pendant ce trajet.
Sortir, affronter un vent qui transperce les vêtements, qui mord la peau est particulièrement difficile pour les parents. Et toute cette neige qui rend les trottoirs quasi impraticables.
À l’église, les larmes coulent. La mère pleure. Souvent, tous les jours. Les enfants vivent dans l’inquiétude que tout peut s’écrouler.

La sœur marche tout droit en s’efforçant d’éviter les flaques d’eau mêlées aux dernières traces de neige brune et grise ; elle pense qu’un simple coup de pied suffirait pour arroser son petit frère jusqu’aux larmes. Elle se retient, portée par une maligne et frustrante discipline. Quelque chose dans les yeux de sa mère lui dit que ça ne va pas. Elle voit plus loin que son petit frère. (p.35)

Le plus jeune se rend vite compte qu’il n’est pas comme les autres. Il aime les chansons, la danse et la poésie. Il est plus féminin que masculin. Une différence qui va le pousser à se dresser devant son père.

CONFLIT

Tout bascule. Les lettres que l’enfant écrit à une voisine qui est retournée en France sont interceptées par les parents. C’est le drame. Le garçon ne fait que dire la vérité pourtant, que raconter ce qu’il vit.

Las cosas que escribes. Escribes cosas horribles. Le père reprend ses propres mots, cosas horribles, puis il répète les phrases que son fils a écrites dans ses lettres, des passages complets appris par cœur, des paroles de chansons, des descriptions, les pleurs de sa mère, les colères de son père, les humiliations, l’ivrogne, l’homme ; et le père répète de nouveau l’homme au crâne rasé, avec l’accent chilien qui rend l’expression plus sévère, moins poétique, et le père s’étouffe avant de traduire : el hombre… el hombre… Le frère retient ses larmes. La sœur laisse couler les siennes comme un geste solidaire devant sa mère, comme un geste d’appui envers son petit frère, comme un geste de révolte devant son père. L’enfant n’en versera que plus tard, après les invectives, après le repas, après le poisson. (pp. 108-109)

Tout se complique bien sûr avec une sexualité qui fait que le fils regarde plus les garçons que les filles. Ce sont peut-être ces lettres qui le pousseront vers le journalisme.

LA MÈRE

Le mal qui a emporté sa mère frappe le jeune homme. Il consulte comme on dit, n’arrive pas à se reprendre en mains et à sortir de cet état léthargique. Il fait des efforts terribles pour manger et traverser des journées qui l’écrasent.

Tranquillement, imperceptiblement, il entre dans un sommeil peuplé de courts excès d’effroi, persuadé qu’il mourra cette nuit d’une crise cardiaque, ajoutant dès lors une peur supplémentaire au réservoir d’angoisses à l’intérieur de lui qui déborde quand vient le temps de dormir. Si ce n’est pas la peur de mourir qui le réveille, c’est alors une clairvoyance tout aussi brutale : je deviens fou, se dit-il, je me dédouble. Il se voit flotter au-dessus de son lit, au-dessus de lui-même, et juger l’hypocondriaque qui dort, qui s’adonne à toutes sortes de peurs incongrues. L’observateur malveillant hurle ou rit pour le réveiller, pointe, frappe, étrangle. Bien que la solitude soit sa demeure, le mélancolique ne dort jamais seul. Il s’accompagne de son propre regard obstiné, tranchant, cruel. (p.139)

Pourquoi ne pas aller dans le pays qui a avalé sa mère pour comprendre son refus de vivre au Québec où elle n’est jamais arrivée à trouver sa place. Pourquoi a-t-elle choisi de mourir au Chili et de faire rapatrier son corps à Montréal ? Une bien étrange décision.

RETOUR

L’homme s’attarde devant des animitas qui se multiplient sur son passage et qui rappellent des événements, des héros, des gens qui ont été sacrifiés par le régime de Pinochet. Et lui, que va-t-il laisser ? Et sa mère ? Tous ces endroits rappellent des morts, un passé perdu.
Nicholas Dawson nous pousse dans une quête identitaire puissante qui se déploie comme un véritable tsunami. Le journaliste doit cesser de fuir et admettre sa différence, un passé qui le tiraille jusque dans ses souvenirs les plus lointains. Ce pèlerinage au Chili, ce retour dans une famille étrangère, ce questionnement pourra-t-il lui redonner un élan, lui permettra-t-il de mieux saisir ses parents, sa mère surtout qui a laissé une immense blessure derrière elle, peut-être un animitas pour marquer sa détresse.
Ce roman nous entraîne dans une terrible remise en question. Qu’est-ce qui fait l’identité, l’appartenance à un pays ? Cette question tourmente le migrant, mais touche particulièrement les Québécois qui vivent dans un pays qui n’est toujours pas un pays. Il y a aussi la différence sexuelle qui peut faire de vous un paria. Migrer, changer de pays, de corps peut s’avérer une aventure singulière.
Un texte terrible qui m’a fait me demander souvent si j’avais choisi d’être un autre quand j’ai décidé de rompre avec la tradition familiale pour devenir journaliste et écrivain. Je pense que la vie contemporaine fait de plus en plus d’exilés, de femmes et d’hommes qui se sentent des étrangers dans leur vie et leur pays. Animitas est un roman bouleversant.


ANIMITAS de NICHOLAS DAWSON est une publication des ÉDITIONS LA MÈCHE.