Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Éditions Alire. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Éditions Alire. Afficher tous les messages

vendredi 18 octobre 2024

PAULINE VINCENT ÉTONNE ENCORE UNE FOIS

DANS La femme de Montréal, Pauline Vincent emboîte le pas d’une jeune frondeuse qui rêve de devenir journaliste. En 1934, c’était encore et toujours un métier d’homme. Quelques femmes se faufilaient dans les médias pour rédiger des horoscopes ou des courriers du cœur, mais elles ne le faisaient par la porte arrière. Claude Dufresne est prête à tout pour faire sa place au quotidien La Laurentie. Madame Vincent revient au roman après La femme de Berlin, le premier volet de ce triptyque paru en 2004 et repris dans une version remaniée en 2017. La femme de Lisbonne complétera l’aventure. L’écrivaine l’affirmait à l’émission de Radio-Canada animée par Catherine Doucet lors de son passage au Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. 

 

La candidature de Claude n’est pas retenue par les patrons du journal quand elle se présente devant eux. Ne reculant devant rien, elle change son nom, se déguise en homme et décroche le poste convoité. Pas facile de cacher sa féminité et de porter perruque et fausse moustache dans un monde de mâles. Claude Dumesne parvient à se faire rapidement une réputation dans le milieu de l’information par la qualité de son travail et son sérieux. 

 

«Déterminée, elle s’était alors ingéniée à trouver un moyen pour réaliser son rêve de devenir journaliste sans l’aide de son père. Après plusieurs jours à échafauder des scénarios, une seule option l’avait satisfaite : forcer la porte de La Laurentie. Et, c’est ainsi qu’était né son alter ego, Claude Dumesne, jeune homme enthousiaste et entreprenant.» (p.24)

 

S’amorce une vie trépidante pour cette femme volontaire, frondeuse qui ne recule devant rien. Elle est rapidement ciblée par l’Ordre de la Patrie, un mouvement qui vise l’épanouissement des Canadiens français en infiltrant tous les milieux pour influencer le cours des choses. Une confrérie avec ses rites, ses codes qui contrôlent ses membres et ne tolèrent aucune dérive. Ce n’est pas sans faire penser à l’Ordre de Jacques-Cartier qui a connu un certain succès au Québec et dans différentes parties du Canada à la même époque et qui a œuvré pendant une quarantaine d’années pour contrer l’action des francs-maçons entre autres. 

L’Ordre de Jacques-Cartier, plus souvent appelé «La Patente», était une société secrète qui a vu le jour en 1926. Les dirigeants promouvaient les intérêts religieux, sociaux et économiques des Canadiens français partout au Canada et aux États-Unis. À l’avant-garde des luttes linguistiques et nationalistes jusqu’aux années 1960, l’organisation a infiltré plusieurs milieux. Au plus fort de sa popularité, l’Ordre comptait environ 12000 membres. 

La montée du nationalisme québécois à partir des années 60 et des différends idéologiques feront que le mouvement se sabordera en 1965. À noter que l’Ordre de Jacques-Cartier ne comprenait que des hommes dans ses rangs et qu’il était particulièrement rigide et contrôlant. Il reposait sur une structure à caractère militaire avec ses commandeurs que l’on suivait aveuglément. 

 

POLITIQUE

 

Pauline Vincent prend ses distances en décrivant un Rosaire Favreau, avocat, qui se laisse séduire par le fascisme qui en mène large à l’époque, surtout en Italie avec Benito Mussolini qui a reçu l’aval du pape Pie XI. On peut faire des liens avec Adrien Arcand au Québec qui prônait cette idée politique. Il se montrait farouchement fédéraliste, ce qui n’est pas le cas du personnage de madame Vincent. Rosaire Favreau, un homme sans foi ni loi, tout comme Mussolini, rêve d’implanter une dictature au Québec en réalisant l’indépendance. Il entraîne secrètement une milice dans les Laurentides.  

La jeune journaliste accepte l’invitation de ce mouvement, plus par curiosité que par conviction, et se soumet à un rituel un peu étonnant. 

 

«On frappa un coup. Tous les nouveaux frères se mirent au garde-à-vous. Claude reçut une feuille qu’elle lut avec aplomb.

— Moi, Claude Dumesne, en présence de Dieu et devant cette honorable assistance, je jure n’être mû par aucun motif qui ne servirait pas uniquement la gloire de la sainte Église catholique, apostolique et romaine et le bien de mes compatriotes. Je m’engage solennellement à observer la discrétion la plus absolue sur tout ce qui, directement et indirectement, concerne l’Ordre de la Patrie. Si, par malheur, j’oublie le serment que je viens de prononcer, je reconnais mériter pleinement la peine encourue en cas de félonie : être rejeté dans la compagnie infamante des hommes sans volonté et sans honneur. Ainsi, que Dieu me vienne en aide et qu’il m’aide à garder le secret de mon obligation.» (p.50)

 

Pauline Vincent, toujours lors de la même entrevue à Radio-Canada, précisait que ce rituel venait de l’Ordre de Jacques-Cartier. « Tout le reste est pure imagination », devait-elle préciser. 

La journaliste prendra conscience très vite que cette société est intransigeante et misogyne, réduisant les femmes à leur rôle de génitrice et de servantes au foyer même si elles sont de la bourgeoisie.

Elle comprend rapidement le jeu de Rosaire Favreau, un homme charismatique et populaire, qui entend prendre le contrôle de l’Ordre de la Patrie, imposer une dictature à l’image de celle qui existe en Italie après son élection comme chef de parti

Claude met la main sur un document où Favreau explique ses intentions et son programme politique. Reste à savoir qui est le grand commandeur qui lui a fait prononcer son serment lors de son initiation. 

 

ACTION

 

Le récit de Pauline Vincent se transforme en thriller avec des rebondissements inattendus. Favreau ne recule devant rien et perd les pédales quand il se sent démasqué. Malgré les dangers et les menaces, Claude réussira à savoir qui se cache sous la cagoule du grand commandeur. 

La femme de Montréal nous permet de voir Claude retrouver sa féminité et de vivre l’amour avec un collègue, sans les carcans et les interdits de l’époque, ce qui est assez étonnant. Il faut dire que la jeune journaliste vient d’un milieu aisé et beaucoup plus libre que celui où les curés exerçaient un contrôle quasi total sur leurs ouailles. 

Le texte nous entraîne dans les années trente, juste avant la Deuxième Guerre mondiale, dans un Québec à la fois traditionnel et religieux qui cherche à s’affirmer et à résister aux diktats d’Ottawa. Les réformistes devront attendre les années soixante pour s’imposer dans ce que nous avons nommé la Révolution tranquille. 

Un magnifique portrait des années 30 avec des héros qui secouent des tabous et apportent un peu de lumière sur La grande noirceur où Maurice Duplessis a fait la pluie et le beau temps. Un texte vivant et surtout des personnages qui vous séduisent ou vous rebutent. 

Pauline Vincent n’a rien perdu de sa vivacité et elle nous plonge dans l’action et brosse un moment de la société québécoise qui garde une incontestable opacité. Elle a encore bien des secrets à nous révéler, j’en suis convaincu. 

Le roman est un art nécessaire qui nous apprend à mieux comprendre notre passé et à être lucides devant tout ce qui agite le présent. Surtout avec la plus folle des fictions qui fait courir tout le monde aux États-Unis derrière un certain Donald. Il n'y a pas que dans les romans où la fiction dépasse la réalité.

 

VINCENT PAULINE : La femme de Montréal, Éditions Alire, Lévis, 314 pages.

 

 

mardi 5 septembre 2006

Élisabeth Vonarburg publie un second volet

Élisabeth Vonarburg vient de publier le second volet de sa fresque «Reine de Mémoire» qui comptera quatre tomes de 600 pages.
«Le Dragon de Feu» arrive à la suite de «La Maison d'Oubli» paru au printemps dernier. Le plan initial de Mme Vonarburg est de publier deux fois par année. Une cadence infernale. Elle en est donc à mi-parcours de ce projet ambitieux qui revoit l'histoire européenne et occidentale. Une plongée dans le passé pour modifier certains événements avec les conséquences que l'on peut imaginer. Le lecteur arpente une terre connue tout en découvrant un monde qui s’appuie sur d'autres prémices. Une intrigue qui pousse du côté du roman philosophique, du récit d'aventure et du pur fantastique.

Famille

Nous retrouvons avec plaisir la petite Julianne, les jumeaux Senso et Pierrinno et Grand-père. Grand-mère vit en recluse et reste mystérieuse.  Il y a aussi l'autre monde, l'ancêtre Gilles qui fait retourner trois ou quatre générations en arrière. Les deux limites de la famille. Ce «mal-détalenté» vit en exil dans un pays qui pourrait être l'Asie. Un pays inventé où les dragons ne sont pas que symboliques. Magie, talents, esprits sont au rendez-vous.
L'imaginaire de Vonarburg demeure étonnant et séduisant. Les  rencontres et les discussions des Encyclopédistes par exemple sont des  moments de bonheur. Toute la partie européenne de ce roman s'ancre plus dans le monde réel et retient mieux le lecteur.
«Le vieux temps pèse sur le temps nouveau de tout son poids d'oubli, d'interdit ou de silence. Ceux qui devraient savoir ne savent pas parce qu'on ne leur a pas appris- on ne leur a pas appris parce qu'on ne savait plus. Et ceux qui savent n'en parlent pas parce qu'ils n'osent pas: un autre  édit règne, qui n'a rien à voir avec celui de la Reine folle, «la
tradition» dit Grand-père. Il ne faut pas en parler. Cela ne se fait pas. On s'attire des silences désapprobateurs, des gronderies, des punitions. Et l'on apprend à se taire.» (p.33)
Héritages, silences, tabous, l'histoire est ainsi faite.

Mondes parallèles

Élisabeth Vonarburg construit ses mondes avec un bonheur inégal.
«Quant aux autres, pour l'instant, tout ce que l'on peut faire, c'est prier avec ferveur pour eux. Et leur offrir tout ce qui pourra être accompli de bon et de grand en cette terre nouvelle. Il est le seul survivant du naufrage, il est le seul désormais à savoir que le Pays des Dragons existe  bel et bien. Et qu'il y règne une magie complètement différente de tout ce qu'on a pu rencontrer ailleurs.» (p.237)
La magie, les talents, les pouvoirs permettent à certains d'assumer une forme de domination et de contrer les ennemis. Vonarburg insiste beaucoup trop sur  ces talents, les pouvoirs de la magie et les rôles des Natéhsin et des Xhélin. À force de trop vouloir préciser, elle finit par tout embrouiller.
Peut-être que Vonarburg publie trop rapidement aussi. Il aurait fallu resserrer un peu et pousser plus loin l'écriture. Certains passages grincent un peu aux encoignures.
«Panthère a bondi d'une de ses cachettes et les précède, preste découpe noire et feu, dans le couloir puis dans la tonnelle-appentis à la lumière vitreuse, dansant à la porte de la serre encore mélodieuse du passage de Jiliane, tandis qu'ils retirent leurs souliers pour mettre les sandales.» (p.526)
Madame Vonarburg nous a habitués à plus de tonus.

«Reine de Mémoire 2. Le Dragon de Feu d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Alire.
http://www.alire.com/Auteurs/Vonarburg.html

mercredi 20 avril 2005

Élisabeth Vonarburg a eu du mal à se retrouver

Élisabeth Vonarburg, en 1980, entrait en écriture. Elle ne cesse d'étonner depuis avec des romans, des nouvelles et des traductions. Elle demeure une dynamo en construisant une oeuvre solide, fascinante et originale.
Et voilà «La Reine de Mémoire», une histoire qui a pris des proportions imprévues, qui donnera quatre romans et plus de 2000 pages. Le projet a pris une telle ampleur que l'éditeur a dû retarder la parution du premier tome à quelques reprises.
«Trois fois j'ai repoussé la publication et mes lecteurs s'impatientaient. J'ai reçu des courriels», raconte Élisabeth Vonarburg dans son refuge de la rue Belleau à Chicoutimi. Un chat tacheté passe, indifférent à nos propos.
L'impression de vivre une scène du roman «La Maison d'Oubli». «Vous m'avez complètement contaminé», lance l'écrivaine en parlant des membres de l'Association professionnelle des écrivains de la Sagamie. Mme Vonarburg fait référence aux écrivains qui se laissent porter par leur histoire, des personnages qu'il faut suivre.
«Je n'ai jamais fait cela. Je travaille sur la fresque où tout est prévu et contrôlé. Je n'improvise pas. Je planifie à quatre-vingt pour cent. Et là, ce fut le contraire. Tout était prévu dans Tyranaël mais là... »

Expérience

Élisabeth Vonarburg se frotte la tête et semble revenir d'une expérience un peu douloureuse.
«Je prévoyais un gros roman, mais tout m'a échappé. Des heures de remue méninge et de discussions. Mon copain Denis et moi inventions des mondes, des situations et explorions des pistes», dit-elle. Comme s'il fallait trouver un terrain où installer son histoire et faire vivre ses personnages.
«Tout est parti d'un rêve. Il y avait une grande carte magique qui nous transportait ailleurs quand on la perçait. C'était là, la tour et le saut dans le vide. Les rêves de Pierrino et Senso dans le roman. Un rêve que j'ai fait après la mort de ma mère», raconte-t-elle.  Élisabeth Vonarburg demeure attentive aux rêves, les questionne, les pousse dans tous les recoins pour tenter d'y trouver un sens. «À ce moment-là, j'étais convaincue qu'en n'ayant plus de parents, je ne pourrais plus écrire. Et j'ai fait ce rêve. Une carte immense qui avait la texture d'une peau. C'est l'origine du roman qui passe dans quatre tomes», explique Mme Vonarburg.
Comme si cette histoire était venue la rejoindre par l'inconscient.
«Le sujet et l'époque se sont imposés. Tout de suite! Cette fois, je ne pouvais me permettre de tout inventer comme avant. Je devais respecter des faits historiques. J'ai fait un appel à tous par Internet et j'ai reçu des livres qui racontent l'histoire de Lyon. C'était en plein cela. L'histoire officielle mais des poussées pour faire place à mon imaginaire. Jésus et Sophia par exemple, les jumeaux. Les catholiques ou les christiens ont toujours eu du mal avec le corps et je voulais explorer autre chose. La dualité des jumeaux me fascine. J'ai refait le monde tout en gardant des aspects familiers pour que le lecteur ne s'égare pas trop», dit-elle encore.
Le roman est devenu un véritable jardin sauvage, à l'image des pins mungo qui bouchent tout l'avant de sa maison. «Ce fut difficile parce que je ne travaille pas comme cela. J'ai retardé la publication pour écrire tout l'ensemble. Ce n'est pas complet, mais je sais où je m'en vais. Surtout que c'est mon roman le plus autobiographie, le plus personnel», ajoute-t-elle.

«Reine de Mémoire, La Maison de l’Oubli» d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Alire.

Élisabeth Vonarburg s’inspire de son enfance

«La Maison d'Oubli» d'Élisabeth Vonarburg, premier tome de la série «Reine de Mémoire», touche d'une façon particulière.
Le lecteur ne sera jamais dépaysé même si l'écrivaine l'entraîne dans une «fantaisie historique». L'histoire s'amorce en 1780 en France, dans une petite ville près de Toulouse. Les personnages vivent du commerce ou en travaillant la terre. Les Mages, ceux qui ont des talents et peuvent utiliser différentes formes de magie, dirigent une communauté plutôt paisible. Plus au nord, les christiens ont un lien direct avec les catholiques que nous connaissons mieux. Une guerre vient de prendre fin. Voilà l'aspect géographique et historique du roman.
«J'ai beaucoup puisé dans mon histoire, celle de ma grand-mère qui est d'origine asiatique. Mes demi-soeurs vont lire ce roman d'une façon particulière», explique l'écrivaine qui a toujours fait des efforts pour maquiller ces aspects dans ses romans antérieurs. «J'ai toujours puiser dans mon environnement ou mon histoire mais pas autant que dans «La Maison d'Oubli»», précise-t-elle.

Processus

«Je travaille toujours avec des lecteurs. Des hommes au départ. Certains parlaient de l'histoire, d'autres des personnages. Quand j'ai fait le même exercice avec des lectrices, elles me suivaient avec enthousiasme», explique la romancière en préparant le café.
Le gros chat impassible circule lentement, avec application, sans un regard.
«Je lance des perches, mais cela ne veut pas dire que je prends toutes les suggestions. Certains  demandaient des éclaircissements, des précisions mais pas de transformations importantes», explique la romancière en mentionnant qu'elle vient d'acquérir un tout nouvel ordinateur. «Et c'est la première fois que j'ai une file de lecteurs au salon du livre de Québec. Je suis arrivée et ils m'attendaient avec mon roman sous le bras», dit-elle en s'amusant de la scène.
L'ordinateur, elle l'apprivoise lentement. Nous revenons à son roman et à l'histoire.

Des enfants

«Mes personnages principaux sont des enfants parce que cela nous permet de tout découvrir en même temps qu'eux. C'est un vieux truc. Les enfants posent des questions comme les lecteurs en fait», dit elle.
Un langage aussi, on y revient toujours quand on discute avec un écrivain.
«Je voulais respecter l'époque. Je me suis beaucoup inspiré de mon vieux «Lagarde et Michard» pour la langue et évoquer l'époque. Une belle bataille avec la correctrice mais comme elle me suit depuis des années, on finit toujours par s'entendre», raconte la romancière. Une manière de constater comme Élisabeth Vonarburg aime tout maîtriser quand elle se lance dans l'écriture.
Un roman où tout arrive imperceptiblement. «C'est la manière Vonarburg et les lecteurs doivent s'habituer. Je pense que j'ai une écriture très cinématographique. Ce sont des blocs qui avancent, des descriptions qui en font rager certains mais je suis comme cela», tranche-t-elle.
Le second volet est déjà quasi terminé. Deux romans par année pendant deux ans. «As-tu hâte de lire la suite?», lance-t-elle, un peu espiègle. Bien sûr. Les jumeaux Pierrino et Senso, et surtout la jeune Jiliane, la troisième pointe du triangle, sont de bons guides. Vivement la suite! Mais je devrai attendre jusqu'en novembre.

«Reine de Mémoire, La Maison de l’Oubli» d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Alire.