J’AIME VOIR UN Gilles Archambault continuer son
travail d’écrivain malgré ses quatre-vingts ans. Plusieurs, à cet âge, se
tournent vers les réminiscences et amorcent alors la rédaction de leur
autobiographie. Je pense à Gabrielle Roy et à La détresse et l’enchantement,
un livre admirable. Malheureusement, je le répète, le temps lui a manqué
pour aller au bout de cette aventure. Archambault ne semble pas vouloir s’éloigner
de la fiction. Il est vrai qu’il ne s’est jamais beaucoup écarté de son vécu, de
ses préoccupations depuis la parution de Une
suprême discrétion en 1963. On parle de plus de cinquante ans d’écriture avec
des œuvres soutenues, fortes, quoi qu’il en dise. Oui, Gilles Archambault est porté
à minimiser son importance.
J’aime qu’un écrivain transporte dans ses pages d’écriture
son vécu et ses préoccupations. Surtout, qu’il accepte son âge et en témoigne avec
franchise. C’est peu fréquent, du moins dans notre littérature, que des romanciers
racontent les fléchissements du corps, la mémoire qui hésite, la perte d’une
compagne et la terrible solitude de la vieillesse. La plupart préfèrent se
taire ou rappeler une époque où le corps exultait.
Gilles Archambault a raconté de façon admirable la perte de
sa compagne, il y a quelques années. Qui
de nous deux ? est un roman vrai,
senti et particulièrement émouvant. Il poursuit dans cette voie avec Doux dément, son dernier ouvrage, paru
il y a déjà quelques mois.
Fait nouveau, le romancier jette à bas les masques pour se
placer au cœur de son récit, ce qu’il a toujours fait malgré les déguisements
et les astuces de la fiction. Il ne faut pas croire cependant qu’il bascule
dans l’autofiction.
J’ai
renoncé à inventer un nom pour mon narrateur. Lui attribuer la paternité de
romans aux titres fictifs m’a également paru une opération parfaitement vaine.
Il se nomme donc Gilles Archambault et ses livres portent les titres des miens.
Les agissements de ce Gilles Archambault, ses désirs, ses avis, ressemblent
souvent à ceux que j’ai eus ou que j’aurais pu avoir. Comme moi, il est veuf,
comme moi, il est inconsolable. Pour le reste, qu’on ne s’imagine surtout pas
que j’ai écrit un roman à clés. Je n’ai aucun goût pour le genre. (p.12-13)
Parler de soi comme si c’était un autre… L’entreprise devient fort intéressante.
RENCONTRE
Une jeune femme emménage dans un appartement voisin de celui
où Archambault vit depuis toujours. Une rencontre, quelques mots et voilà que
se tissent des liens amicaux. Anouk est jeune, à peine la quarantaine, séduisante,
un peu perturbée par une rupture amoureuse et vit mal sa solitude. Elle a besoin
de se confier et l’écrivain sait écouter. Elle bouscule la vie du vieil homme qu’est
Gilles Archambault, le secoue et l’entraîne dans un tourbillon. Et la vie étant
ce qu’elle est, il se met à rêver, à aimer même s’il s’en défend, même s’il
sait que rien ne peut arriver entre eux.
Comment
un vieil homme qui n’a pas parlé à une femme depuis des semaines peut-il
demeurer indifférent ? Indifférent, je ne le suis pas. Elle s’est rendu compte
de l’émoi qu’elle suscite en moi. En est-elle étonnée ? Certes pas. Elle ne
peut ignorer le pouvoir du charme qui émane d’elle. Le problème, c’est moi. Une
femme n’offre pas des muffins à un homme qu’elle veut intéresser. Elle me tient
pour un vieux monsieur, et elle a raison. Son « vous ne travaillez plus » n’a
même pas été prononcé sur le ton interrogatif. Au mieux, je ne suis pour ma
nouvelle voisine qu’un vieillard bienveillant à qui elle demandera peut-être de
nourrir son chat pendant ses absences. (p.37)
Peut-on oublier son âge ? Archambault raconte ses émotions
sans retenue. Il paraît qu’avec le temps, nous perdons toute pudeur et que nous
osons dire des choses que nous aurions tues auparavant. J’aime ce regard sur le
vieillissement, les réflexions qui étonnent par leur justesse. Nous n’avons pas
l’habitude d’entendre de telles « vérités ».
Il y a aussi ces rencontres avec des amis, leurs agapes,
leurs propos, leurs manies et les contacts avec son fils. Nous ne sommes
pas dans les grandes marées du cœur, mais dans la vie d’un homme conscient de
son vieillissement, qui ne peut s’empêcher de rêver, parce qu’après tout un
romancier flirte avec les rêves et cherche à abolir les frontières pour oublier
le présent.
Moi,
l’écrivain discret, qui me suis toujours terré dans une solitude habitée, moi,
inconsolable de la perte de ma compagne, courir après sa jeunesse d’une façon
qui peut porter à sourire. Je suis le premier à trouver mon comportement
étrange, mais je ne suis pas tenté de le modifier. Le courriel qu’elle
mentionne tourne autour de Michel Onfray, dont elle a adoré une apparition à la
télévision. Elle sait que je viens de lire les trois premiers tomes de son Journal hédoniste. (p.79)
Belle occasion de s’attarder à ses lectures, à sa vie
d’écrivain, à la partie publique de ce travail qu’il a toujours détesté. Il se
livrait aux entrevues ou encore aux séances de signatures avec beaucoup de
réticence et d’hésitation. Il ressemble à Jacques Poulin qui a toujours
consenti à ce genre d’exercice à reculons. J’avoue avoir adoré ces présences
dans les salons du livre et les lancements. Je dois maintenant faire un effort pour
ce genre d’événements où l’on réalise que la vie d’un écrivain est
faite de solitude.
Gabrielle Roy s’y refusait totalement et a vécu les dernières
années de sa vie en recluse. Ils sont quelques-uns comme ça, osant à peine
devenir un personnage public lors d’une nouvelle parution. Dire que plusieurs
jeunes écrivains ne vivent que pour être à l’avant de la scène ou sur la place
publique.
PROPOS
Cela ne m’empêche pas de sursauter devant certains de ses propos.
Malgré une vie professionnelle où il a été au cœur de la vie littéraire du
Québec, Archambault ne s’attarde guère à ses pairs et à la littérature d’ici.
Il est de cette génération qui donne l’impression d’avoir vécu en France parce
que toutes leurs références se tournent vers ce pays. Ils agissent comme si les
écrivains québécois n’existaient pas ou n’avaient pas d’importance.
Une
chose m’indisposait surtout chez Simone, le culte exagéré qu’elle vouait à la
culture québécoise. Croyant m’être agréable, elle disait des phrases du genre «
Vos livres, à vous, auteurs d’ici, valent bien ceux des Américains ou des
Italiens, pourtant il n’en est jamais question dans Le Monde ou dans L’Express.
C’est inacceptable, tu trouves pas ? » Non, je ne trouvais pas. Simone avait
commencé à m’énerver. (p.44)
Peut-être, oui, Simone s’énerve un peu, mais elle a raison.
Pourquoi ce silence ? Parce que trop souvent les écrivains du Québec préfèrent s’attarder
aux écrivains américains, sud-américains, japonais ou européens quand on leur
donne la parole. Ils évitent systématiquement de faire référence à leurs
contemporains. Ces propos m’ont toujours étonné et dérangé. Comment être soi en
s’ignorant ? Pourquoi écrire si notre littérature et le travail de ses collègues
ne nous intéressent pas ?
TÉMOIGNAGE
Gilles Archambault témoigne des préoccupations d’un homme qui
sait que le temps lui est compté et qui ne peut se permettre de perdre la tête.
J’aime cette lucidité, cette retenue, cette conscience du moment présent.
Un roman que les jeunes ne liront pas, il le sait, mais qui
reste touchant. C’est ça la littérature, peu importe l’âge. Dommage que l’on
oublie au Québec ces écrivains qui publient depuis longtemps et qui réussissent
encore à nous bousculer. Archambault sait qu’il est sur la voie d’évitement et
qu’il n’y en a que pour cette jeunesse pétillante qui a toutes les audaces. Il
écrit, c’est le plus important. Pour lui et ses lecteurs. J’en suis.
DOUX
DÉMENT de GILLES ARCHAMBAULT est paru chez BORÉAL
ÉDITEUR, 248 pages, 22,95 $.
PROCHAINE CHRONIQUE :
LES CAHIERS VICTOR-LÉVY BEAULIEU publié chez NOTA BENE.