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lundi 14 mai 2012

Pascale Bourassa confirme son immense talent



Après son entrée en littérature en 2009, Pascale Bourassa publie un second roman. Les lecteurs se souviendront que j’avais fort apprécié «Le puits», un ouvrage puissant qui plonge dans la réalité des femmes confinées, à une époque pas si lointaine, à leur rôle de génitrice.

Cette fois, avec «À l’ouest», la romancière présente une saga où quatre générations de Québécois francophones prennent le relais. Ils ont quitté le Québec pour migrer au nord de l’Ontario et en Alberta un peu plus tard. Toujours avec l’espoir de tout recommencer. Un monde où il faut «risquer sa vie à chaque jour» comme l’écrivait Louis Hémon dans «Maria Chapdelaine».
Ces familles osaient tout. Surtout les femmes presque toujours enceintes et happées par des dizaines de petites bouches. Une fatalité transmise d’une génération à l’autre.

Héritage

Joanna est la dernière de cette lignée de femmes francophones qui ont peuplé l’Ouest canadien. Les premières ont voyagé dans des charrettes tirées par des chevaux pendant des semaines avant de s’installer dans un pays de plaines et de grands vents. Une arrière grand-mère qui n’en pouvait plus de cette solitude, de ses enfants et des tâches toujours à recommencer.
«Elle sortit, paniquée. Courir pour tout oublier. Courir dans le bois sans s’arrêter, jamais. Respirer l’air frais, le plus possible. Respirer enfin. Maman courait, ses larges jupes déchirées par les ronces. Les larmes l’aveuglaient. Elle voulait partir, fuir la maison pour ne pas mourir emmurée vivante entre quatre murs, des rires de sœurs et des cris de bébé plein la tête.» (p.43)
Elle vivra un certain temps en Indienne et aura Tami, une petite métisse.

L’étrangère

Joanna étudie au Québec où on la considère comme une étrangère. Elle rencontre Christian qui vient de la République dominicaine où la misère et la fatalité sont tout aussi grandes que chez ces francophones qui luttent pour leur langue, leur culture et leur identité dans les grandes plaines où l’anglais domine.
Des cauchemars la hantent en revenant dans son village d’origine, la maison où elle a grandi entre ses grands-parents. Elle retrouve son passé par fragments. Les femmes de sa famille ont connu des destins incroyables.
«Tous ces eaux discours la laissèrent de marbre. Il y avait longtemps qu’elle avait oublié son âme. Elle l’avait laissée en chemin, sur les routes, entre le Canada français et l’Ouest canadien. Elle l’avait semée dans un champ. Elle n’avait pas de temps pour son âme quand les choses terrestres grossissaient à vue d’œil et qu’elles prenaient tellement d’ampleur qu’il n’y avait plus un seul coin de disponible. Toute la place était prise par le mari, les enfants, la maison et la cuisine, les heures interminables du quotidien. Son âme était dans un champ au Manitoba, ou en Saskatchewan peut-être, et resterait là.» (p.207)
Petite Anna, la grand-mère de Joanna, n’était qu’une fillette quand elle s’est mariée au fils Guérette. Ce qui ne l’a pas empêchée de faire une kyrielle de petits garçons, de se perdre dans ses rêves, de renier sa demi-sœur métisse qui subira les pires sévices dans un pensionnat et chez un père Oblat. Une situation horrible pour ces enfants autochtones qui sont violés dans leur langue, leur culture, leur façon d’être quand ce n’est pas dans leur corps.

Saga

Des vies se recoupent, empiètent les unes sur les autres et reconstituent la grande aventure qu’a été la colonisation de ces territoires où les Indiens ont été dépossédés. Une histoire particulièrement dérangeante. Pascale Bourassa a l’art de nous plonger dans des situations où l’on risque son âme.
Joanna apprivoise ses hantises qui deviennent moins fréquentes à mesure qu’elle connaît son passé. Peut-être qu’elle pourra retrouver sa place et une certaine quiétude en revenant au Québec même si elle s’y sentira toujours étrangère. Une impression je crois qui a habité Gabrielle Roy toute sa vie.

Bouleversant

Un roman fait de fragments qui vous perdent un peu et vous rattrapent pour ne jamais vous lâcher. Pascale Bourassa est une écrivaine puissante. Un terrible destin marque ses personnages de femmes qui ont la fatalité inscrite dans leur génétique. Malgré l’amour, les enfants, le succès de leurs entreprises, elles sont souvent broyées par la vie et des tâches surhumaines.
Pascale Bourassa confirme son talent exceptionnel dans un roman bouleversant.

«À l’ouest» de Pascale Bourassa est paru aux Éditions de La Grenouillère.

lundi 21 novembre 2011

Découvrir le numérique avec Pascale Bourassa


C’est fait. Je viens de découvrir la tablette électronique. Pour me convaincre, il fallait la naissance de la maison d’édition «Le chat qui Louche», une entreprise entièrement numérique qui a son siège social à Chicoutimi. Ce n’est pas rien et l’événement mérite qu’on s’y attarde.
Lancement en grandes pompes le 13 octobre dernier. Huit titres. Des textes originaux et des rééditions. Des écrivains connus: Danielle Dussault, Dany Tremblay, l’éditrice, Alain Gagnon et Dominique Blondeau. Des écrivains d’ici et de France. Belle fête et plein de gens fascinés!
Fini les frontières! Ces textes voyagent dans l’espace-temps et peuvent être lus en Russie, en France, aux États-Unis, en Islande et même au Japon.
Le projet est séduisant…
Je suis un inconditionnel du papier pourtant. J’aime renifler les livres, palper les pages comme des êtres vivants. Laisser aussi des traces de ma lecture en soulignant certaines phrases avec un stylo ou un marqueur.
Je garde religieusement les romans que j’ai reçus au primaire. C’était la mode alors. Ils étaient considérés comme des objets précieux que l’on manipulait avec le plus grand des soins. J’en ai récolté quelques-uns à la petite école Numéro Neuf de La Doré.
Je possède encore le  premier roman que j’ai acheté. J’étudiais alors à l’école Pie XII de Saint-Félicien. Mon maître Jean-Joseph Tremblay s’appliquait à nous faire découvrir les merveilles de la littérature. C’était possible à l’époque. Je savais déjà que ma vie passerait par les livres.
J’avais trouvé «Les Misérables» de Victor Hugo dans une tabagie du boulevard Sacré-Coeur. Un livre de la collection Marabout géant, imprimé en Belgique, en 1962. Ce fut la première brique d’un monde que j’ai érigé au fil des ans. Maintenant, en regardant ma bibliothèque je retrouve les grandes étapes de ma vie.

Livre magique

Il fallait Dany Tremblay et cette petite flamme dans ses yeux quand elle parle des livres pour que je me laisse tenter. Et «Une couleur dans le noir» de Pascale Bourassa, une écrivaine native de Saint-Félicien comme par hasard. J’ai beaucoup aimé «Le puits» paru en 2009 aux «Éditions La grenouille bleue». Un roman fort, puissant qui est passé un peu inaperçu. Malheureusement.
J’ai tourné autour de l’objet en question pendant plusieurs jours. Une sorte de miroir terne. Froid. J’avais l’impression de trahir des amis. Il faut presser là, attendre, entrer dans la bibliothèque. «Please wait». En plus la machine me prend pour un Anglais. Enfin le texte remonte à la surface…
Dans le sens de la largeur. Je finis par comprendre qu’il faut retourner le miroir pour retrouver un texte… normal.
J’amorce ma lecture tout doucement, sur la pointe des yeux, comme si je m’avançais sur une glace mince. Un texte à plusieurs narrateurs. D’habitude, je lis en soulignant partout, je l’ai déjà dit. Je me sens privé du plaisir d’accompagner l’auteur.
Glisser le doigt de droite à gauche. La page tourne dans le mauvais sens. J’avance, je recule. Je me sens stupide. Une grande inspiration et je me concentre. Je m’attarde sur une phrase quand l'appareil consent à me laisser progresser dans le texte.
«Je suis une image. Je suis un moment sur du papier. Je me froisse, je me rature et je recommence. On me redéfinit toujours. Quand je sens que l’image est la bonne, je la garde jusqu’à ce que ça se froisse encore.» (p.9)

Texte

Des poupées gigognes que ces femmes qui s’interpellent sur deux générations. La mère et la fille. Une grossesse non-souhaitée, une vie sacrifiée à la moralité, à un mariage de convenance. Une histoire déchirante, difficile où la mort et la vie dansent les yeux dans les yeux.
«Ma mère, c’est une histoire que je me raconte, la nuit, les yeux ouverts dans le noir.» (p.48)
Pascale Bourassa réussit à me faire oublier la mécanique. Son texte incantatoire, douloureux comme le sont les chants les plus beaux, m’emporte. Je reste un moment à réfléchir à l’univers singulier de cette auteure. La maternité, il en était question dans son premier roman. Il y a de la suite, une démarche qui s’esquisse, une écrivaine qui pose ses balises.
Comment revenir au début du texte? Et le miroir qui ne veut plus s’éteindre.
Chose certaine, il faudra changer mes habitudes pour explorer le monde numérique. Peut-être lire avec un carnet pour prendre des notes et copier des passages. Mais il paraît qu’avec certains appareils il est possible de faire cela.

«Une couleur dans le noir» de Pascale Bourassa est paru aux Éditions Le chat qui Louche.

samedi 6 juin 2009

Pascale Bourassa, une véritable révélation

L’histoire pourrait se situer en 1920 ou en 1940. «Le puits» de Pascale Bourassa nous plonge dans un Québec où l’Église prônait le retour à la terre et les familles nombreuses. La seule véritable richesse était les enfants. Le corps des femmes appartenait à Dieu et à l’État, autant dire aux hommes. Un roman d’une rare intensité. Une nouvelle romancière étonnante.

Albertine et Angélique sont quasi des jumelles. L’une précède l’autre de quelques mois dans la vie. Elles deviendront rapidement des inséparables. L’une rêve de fuites, d’amours physiques et de sensualité tout en ayant peur de l’inconnu; l’autre s’efface et vit par procuration auprès de sa soeur.
Les parents se sont aimés pourtant dans une autre vie. Lina, la mère, était belle, aimait la danse, les rires, mais il y a eu ce drame qui a décimé sa famille. Elle a épousé le fils du forgeron qui tournait autour d’elle. Pas l’amour, mais un renoncement! Adieu les danses, les petites robes à fleurs bleues. Ne restent que les tâches, les enfants innombrables, le devoir pour ne pas provoquer la réprobation des autres.
«La mère connaissait son devoir. Elle avait embrassé sa toute première quand elle était partie, un chaste baiser sur la joue, elle lui avait envoyé la main et était rentrée dans la maison en s’emparant déjà d’un linge à laver. Il n’y avait pas de larmes à avoir, car les regrets ne servaient à rien. Et la mère s’était vite mise à laver le plancher pour oublier, oublier les regrets : les regrets semblaient inoffensifs, mais ils étaient très dangereux, vicieux – mine de rien, ça pouvait briser, ça nous consumait et ça tuait à petit feu.» (p.18)
La mère meurt en accouchant du seizième enfant. Le père devient survit sans plus, un véritable fantôme.

La vie des filles

Angélique, la passionnée, guette Josef, le fils des voisins qui bêche la terre avec ses gros bras et son dos «nu qui pleurait, un dos triste qu’on aurait voulu caresser.» Elle sait que cette attirance est dangereuse tout comme ce goût pour l’ailleurs.
«Angélique n’aimait pas ses envies de partir au loin, de fuir le plus loin possible et le plus vite aussi, de peur d’être rattrapée, d’être avalée. Quelque chose se tramait, et elle n’aimait pas ça. Elle aurait voulu fuir avant que tout n’éclate, que l’ombre se referme sur elle et ne l’entraîne dans le fossé qui s’élargissait sous ses pieds.» (p.22)
Elle a vite fait de séduire Josef et un enfant s’installe en elle. Que faire sinon l’épouser? Tous vivent dans la maison familiale. Rapidement Angélique offre son mari à sa sœur et le fils qu’elle met au monde. Elle va à la ville, devient peintre, peut enfin vivre ses passions. Elle croit bien échapper au sort réservé aux femmes, mais ce n’est pas si simple.
Chacun des personnages hurle sa douleur et tente de dompter sa vie. Un chœur où Anthony, le petit garçon blond d’Angélique, demande à sa mère de revenir, où Josef n’arrive plus à refaire surface devant le désespoir d’Albertine. Au bout d’une terrible dépression, celle-ci se jette dans le puits pour mettre fin à ses souffrances.
Ce suicide traverse le roman, comme un ralenti sans fin. Albertine revoit sa vie, ses espoirs, ses relations avec sa sœur sans qui elle ne peut vivre.

Roman rare

Rares sont les romans qui portent autant de colère. Une révolte contre la malédiction d’être femme, la maternité qui brise le corps. Le beau rêve d’amour s’avère le plus terrible des pièges. C’est cette force de vie en elles qui se retourne pour les détruire et les déformer. Albertine et Angélique ont vu leur mère mourir devant une toile où le sang giclait. Toutes sont écrasées par une fatalité. Comment échapper à son destin biologique?
Un roman d’une force terrible, une véritable bombe qui vous pulvérise. Un souffle incantatoire qui nous hante longtemps. Les pulsions des femmes, leurs cris de révolte et de rage explosent dans des tableaux bouleversants. Pascale Bourassa nous entraîne à la limite du supportable. À peine tolérable. Un premier roman, une écrivaine qui s’affirme.

« Le puits » de Pascale Bourassa est paru aux Éditions de La grenouille bleue.