vendredi 15 mai 2020

LA CERTITUDE D’ÊTRE IMMORTEL

L’IDÉE DE LA SOUVERAINETÉ du Québec bat de l’aile et ne semble plus avoir la ferveur des Québécois. Du moins, c’est ce que l’on répète dans les médias, même si un bon trente pour cent des Québécois, selon les sondages, y tiennent beau temps mauvais temps, pandémie ou pas. Il est vrai que l’échec de deux référendums en a échaudé plusieurs. Tout convergeait pourtant vers cette affirmation nationale depuis les années 60 et le début de la Révolution tranquille. L’idée stagne depuis un certain temps et les formations politiques qui prônent la souveraineté sont moins populaires que cette solution qui changerait tout, surtout depuis que l’on a vu François Legault et la Coalition avenir Québec prendre le pouvoir et étonner bien des citoyens.

Les élections du premier octobre 2018 ont provoqué une onde de choc dans le monde québécois. On assiste alors à un recul important, dramatique même du Parti libéral du Québec et du Parti québécois. Et la succession de Philippe Couillard et Jean-François Lysée dans les mois suivants n’a guère stimulé les militants de ces formations et encore moins le grand public. Les prétendants à ces titres prestigieux ne se sont pas bousculés. Sylvain Gaudreault est la figure la plus connue chez les péquistes et Dominique Anglade, avec les libéraux, devient la première femme à la direction de ce parti faute de combattants. Le plus étonnant est certes l’arrivée de l’humoriste Guy Nantel qui cartonnait dans les sondages avant la pandémie. Comment le PQ et le PLQ peuvent-ils se refaire une santé après cette catastrophe qui a mis le Québec sur pause et le débat idéologique au neutre ?
L’idée d’un Québec souverain a tiraillé le Canada au cours des cinquante dernières années, nul ne peut le contester. Qu’en sera-t-il au sortir de cette période où le gouvernement Legault se comporte en véritable État, prenant des décisions courageuses et pertinentes, montrant souvent la voie à l’hésitant et imprévisible Justin Trudeau.
Que se passe-t-il au Québec au-delà de l’apparition d’un virus indésirable qui masque tout depuis plusieurs semaines ? Pourquoi les Québécois semblent incapables de faire le pas qui leur permettrait de devenir un pays ? 
Jacques Beauchemin, dans Une démission tranquille, un essai paru avant la « grande retraite fermée » se penche sur « La dépolitisation de l’identité québécoise ». Qu’est-ce que le professeur de sociologie de l’Université du Québec à Montréal a constaté chez ses contemporains qui explique cette indécision chronique.  

HÉSITATION

L’idée du pays, d’une nation typiquement québécoise au sens le plus large, est-elle surannée ou s’il faut imiter François Legault qui parle et agit comme si nous étions souverains. Voilà qui est un peu étrange, même par temps de pandémie, même si on fait tout pour amoindrir le tiraillage systémique engendré par la fédération canadienne. Ottawa agit sans consulter, bouscule les décisions des provinces. Trudeau menace même de mettre en tutelle les Centres hospitaliers des soins de longue durée au Québec. 
Certains politiciens répètent que les gens en ont assez des vieilles chicanes. Pourtant, c’est là autre chose qu’une querelle de voisins ou un caprice. Nous parlons de la démarche des survivants de la Nouvelle-France, de la Conquête de 1760, des patriotes de 1837 et de la Grande noirceur. Pourquoi cette incapacité à concrétiser une logique qui s’est imposée au début des années 70 ?

VÉRITÉ

Jacques Beauchemin cherche des réponses. Comment expliquer ce qui se passe dans la tête des Québécois ? Pourquoi le Québec est incapable de devenir un état quand on se gargarise d’épithètes qui donnent l’impression que nous sommes un pays dans le pays, une société distincte avec ses institutions uniques en Amérique. Pas facile de séparer le vrai du faux, le clinquant du réel dans cette démarche étonnante et singulière qui tourne le dos peu à peu à l’élan des cinquante dernières années. 
Il est certain que le résultat des élections de 2018 au Québec peut faire illusion. Les formations politiques qui ont promu ou combattu l’idée de souveraineté depuis les années 70 sont maintenant en fort mauvaise situation. Plus, le Québec est scindé en deux. Le Parti québécois survit dans les régions et le Parti libéral du Québec est confiné à Montréal plus que jamais. Mais comment interpréter la poussée du Bloc québécois aux élections fédérales de 2019 ? Que dire de cette percée spectaculaire ? Faut-il y voir un dernier spasme identitaire ?
Au-delà de la politique au quotidien, peut-on déceler une manière de penser, trouver une explication à ce comportement un peu étrange du Québécois, cette propension qu'il a à faire du sur-place depuis tant d’années ?

IDÉE

Il n’y a pas si longtemps, la religion encadrait la population francophone d’Amérique et dictait la plupart de ses gestes. Il faut lire la biographie intellectuelle du père Georges-Henri Lévesque pour comprendre les déchirements qui ont précédé la Révolution tranquille, la  laïcité et le religieux qui ont donné naissance aux deux pôles irréconciliables que sont la souveraineté et le fédéralisme. 
Comment sortir de l’impasse ? Est-ce possible ? Quelques-uns imaginent un voyage dans le passé, le retour du Canada français afin de retrouver le souffle, la volonté de s’affirmer et de s’imposer dans une tentative de la seconde chance. Le Canada français s’ancrait pourtant sur la religion, la langue française et un passé glorieux.
Ce recours aux années cinquante prôné par certains me semble une belle utopie, une façon de réfuter la réalité. Trop de choses séparent les francophones du Canada et les Québécois de maintenant. Et un peuple ou une nation ne fait que rarement marche arrière. Il n’y a jamais de deuxième chance. Cette approche est une manière de fuir une question qui reste au cœur de la problématique du Québec. Pourquoi les Québécois n’acceptent pas la logique qui s’impose dans les soubresauts de leur histoire ancienne et récente ?
Est-ce que l’idée de souveraineté est indissociable de certains partis politiques ? Les conseillers indépendantistes ont concocté bien des stratégies pour amoindrir la portée de cette décision, ne voulant jamais la confronter. Que penser des entourloupettes autour de la question lors du premier référendum de 1980, de l’étapisme, de la souveraineté-association, du beau risque, de la société distincte ? Comment a-t-on pu imaginer par exemple que le Canada dirait oui à un Québec nouveau et croire que ce serait ce même Québec qui imposerait un tel bouleversement politique ? Le Parti québécois s’est buté élection après élection sur le jour du référendum, la question, une date qu’il n’a cessé de repousser. Il n’a su que proposer la nébuleuse des conditions gagnantes, le bon gouvernement et l’attente du moment jugé favorable, le vent qui souffle dans la direction voulue.

SURVIVANCE

Il semble que les Québécois ont la certitude de pouvoir survivre envers et contre tous. Ils se croient capables de résister à toutes les avanies politiques et sociales. « Nous sommes un peuple qui ne sait pas mourir ».  Les voix de Maria Chapdelaine retentissent dans un rapt pas si lointain. Il suffirait de faire le dos rond quand pleuvent les attaques et de faire comme si de rien n’était. On avale la pilule, plie l’échine, secoue la poussière sur ses vêtements et on continue de vaquer à ses occupations. C’est peut-être ce qu’a choisi de faire la Coalition avenir Québec. Faire comme si on était un pays, donner l’illusion d’être une nation quand nous ne le sommes pas. Cette idée d’être là pour toujours, malgré les menaces de l’anglicisation, la perte de pouvoirs, l’appropriation des fleurons économiques du Québec par des entreprises étrangères est-elle raisonnable ? Pourquoi sommes-nous convaincus d’être immortels ? Un vieux fond religieux certainement qui refuse de s’effacer et qui explique ce comportement étrange qui va au-delà du politique et du social. 
Jacques Beauchemin met le doigt sur nos contradictions, un fatalisme qui empêche le Québec de prendre une décision logique et cela malgré des efforts considérables pour s’éduquer, se développer et faire sa place avec sa culture. Sommes-nous un peuple « sans roman d’aventures » qui ne ressent jamais l’urgence de l’avenir? Une forme de résignation laisse entendre que tout va bien aller dans le meilleur des mondes ? Nous serions tous des Pangloss, le personnage heureux de Voltaire. Sommes-nous destinés à un paradis qui n’est pas de ce monde comme on nous l’enseignait quand j’étais enfant ? 
Jacques Beauchemin effleure ce qu’autrefois on nommait l’âme des Québécois. Sa réflexion va au-delà de la question du politique. Un état d’être qui mine l’esprit et fait perdre peut-être contact avec une certaine réalité. Chose certaine, il semble que pas un parti politique n’a trouvé la manière de concrétiser le pays, ce que la logique esquisse depuis des décennies. 
Voilà une réflexion nécessaire, même par temps de virus indésirable et de confinement. Parce que la vie continue, malgré la pandémie dans les CHSLD, le port du masque et les prochaines vacances.  Cette question va s’imposer encore longtemps, provoquer des vagues et des comportements étranges. Ce choix va toujours être là à moins de consentir à devenir une simple province comme les autres, de faire comme si nous étions invulnérables.

BEAUCHEMIN JACQUES, Une démission tranquille, BORÉAL ÉDITEUR, 216 pages, 24,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/jacques-beauchemin-13506.html