Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Éditions Planète rebelle. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Éditions Planète rebelle. Afficher tous les messages

mardi 15 avril 2008

Jean-Marc Massie refait le monde à sa manière

Le conte permet de réécrire l’histoire, de se moquer des possédants et d’assumer la revanche de l’opprimé sur les puissants. Jean-Marc Massie illustre, une fois de plus, qu’il est de la grande lignée des inventeurs de mondes.
Vous pensez connaître les débuts de l’Amérique? Vous croyez que Jacques Cartier a été le premier à remonter le Saint-Laurent et à mettre le pied en cette terre du Canada. Détrompez-vous! Jean-Marc Massie prouve que notre histoire est un malentendu. Montréal a été fondée par des esclaves africains qui ont réussi à se libérer de leurs chaînes. Après des semaines de navigation, ils ont échoué au milieu du Saint-Laurent à la hauteur de la ville du maire Tremblay. Et le mont Royal n’est pas une simple montagne au cœur d’une île.
«Chaque dimanche, le mont Royal est noir de monde. Le son des tam-tams pénètre le sol de Montréal, cette terre qui a été recueillie d’un peu partout aux alentours du Sao Bento ; le son s’engouffre jusque dans un vieux bateau vide, enfoui là depuis des siècles. Et chaque dimanche, pour sortir la ville de sa torpeur et chasser l’aliénation masquée de l’homme rose, le bateau renvoie en écho le chant de Capitao sur le rythme de la lourde et puissante pulsation cardiaque des révoltés du Sao Bento, lointains, lointains ancêtres des Nègres blancs d’Amérique.» (p.29)
Ce conteur à l’imaginaire débridé et foisonnant sait décortiquer la réalité pour lui donner une autre dimension. Étonnant, inventif et éblouissant.

Imaginaire

Si Jean-Marc Massie, dans «Délirium Trémens», nous égarait souvent à la fin de ses histoires, ce n’est plus le cas. Il maîtrise son imaginaire et esquisse une fresque magnifique dans «Montréal démasquée». La plus grande ville du Québec prend une couleur inédite, se transforme en cité mythique et sensuelle.

«Un peu plus à l’est, sur la terrasse du Saint-Sulpice, intellos post-hippies et activistes altermondialistes dissertaient sur le réchauffement de la planète et ses conséquences  sur la fertilité des batraciens. Aux limites du quartier gai, la vapeur blanchâtre des saunas masquait la grisaille du smog, créant ainsi une hyper-condensation de toutes les pulsions sexuelles de la ville. Cuir, latex, masques en cuirette, tattoo, piercing, pubis épilés et torses bombés avaient la cote sur la Sainte-Catherine à l’est d’Amherst. Sous le pont Jacques-Cartier, on faisait l’amour à plusieurs, à voile ou à vapeur ; l’important, c’était d’y mettre sa sueur.» (p.37)
Son DVD montre un sorcier sur scène qui danse, chante et invente un univers d’un geste de la main. Il faut le lire surtout, le plaisir est décuplé. Massie connaît les possibilités de l’oral et de l’écrit, deux modes d’expressions qu’il maîtrise parfaitement.

«Montréal démasquée» de Jean-Marc Massie est paru aux Éditions Planète rebelle.

jeudi 12 avril 2007

Ronald Larocque explore le merveilleux


Ronald Larocque a publié des nouvelles et enseigne la littérature au cégep de Saint-Hyacinthe. «L’homme qui lisait dans les mamelons et autres contes de l’émotion» est constitué d’une quinzaine de textes où l’imaginaire et la poésie se taillent un bel espace.
Un écrivain qu’aucune frontière ne semble vouloir arrêter et qui se grise des mots et des images que le lecteur voit s’épanouir comme de minuscules fleurs qui distillent la couleur. Elles éclatent avec les rires, étonnent et réchauffent l’âme. Une belle originalité.
Et si l’amour et la vie sont plus souvent qu’autrement au rendez-vous, la mort ne s’éloigne guère. Elle est là, brutale, impitoyable dans «Voler» ou «Cristalliser».

Réussite

Signalons «La femme aux pieds froids», certainement le texte le plus achevé et le plus évocateur du recueil.
«C’est une histoire qui prend racine dans les montagnes de l’Équateur et qui pousse à travers la terre pierreuse et noire d’un petit village quechua, pour ensuite venir fébrilement fleurir dans le cœur vivant de la modeste demeure de bois d’Antonio et d’Izarra. Ce village quechua, il se trouve du côté d’Otavalo et d’Ibarra, tout près de cette ligne fort imaginaire qui essaie de toute sa bonne volonté de séparer le monde en deux parties égales et de donner, dans la vie comme sur les cartes géographiques, un haut et un bas à l’Amérique et au monde.» (p.21)
Ajoutons «Le conte de la goutte» où il crée une belle magie avec le cycle naturel de l’eau. Signalons enfin «L’homme qui lisait dans les mamelons» et «Bouba» dont la finale est un peu faible. Un peu le problème de plusieurs textes qui manquent d’élan pour nous laisser sur le bout de notre chaise. Un quiproquo un peu facile aussi dans «Dilemme».
 
Oralité

Ronald Larocque fréquente le conte depuis des années. J’hésite à utiliser le terme parce que Larocque se tient plus du côté de la «littérature écrite» dans ce recueil de la très belle collection «Paroles» de Planète rebelle que de l’orature.
Il travaille plus comme un comédien qui mémorise ses textes, s’amuse avec des sonorités et des allitérations qu’il force un peu. Heureusement, il réussit à retenir ses élans la plupart du temps.
Reste qu’à l’écoute, l’auditeur perd la magie qui habite ses écrits les plus réussis. Le conte a d’autres exigences, il me semble, et ce que nous apprécions à la lecture, a du mal à se faufiler jusqu’à l’oreille pour la caresser et la chatouiller.

«L’homme qui lisait dans les mamelons et autres contes de l’émotion» de Ronald Larocque est paru aux Éditions Planète rebelle.

http://www.planeterebelle.qc.ca/auteurs/larocque-ronald

jeudi 14 avril 2005

Une belle surprise que ce collectif

Les causes humanitaires, si nobles soient elles, ne sont que rarement une aventure littéraire. «Tant d’histoire autour des seins» est un collectif et le résultat d’un concours lancé par la Table communautaire d’information en santé des femmes et le groupe Relais-femmes. Je m’attendais au pire. Je craignais le désastre et surtout les bonnes intentions. Qu’est-ce que Planète rebelle venait faire dans cette histoire avec un CD, que je me demandais avant d’aller voir de quoi il retournait.
Il y a de tout dans ce recueil, des trouvailles, des inventions, des petits bonheurs d’écriture mais aussi des textes un peu ennuyants. Signalons «Mammaire» de Micheline  Beaudry, un texte fait de regards et de non-dits, «La nounou russe» de Renée Robitaille qui s’avère un véritable plaisir. Monique Juteau pour sa part nous entraîne dans une réalité dure et cruelle.
«Elle dessine des femmes avec des seins énormes gonflés à bloc. Elles tiennent par le cou des chatons jaunes aux corps mous, longs et flasques, comme si l’on venait de les noyer. Elle aimerait que les poils des chats soient encore plus détaillés, plus jaunes, plus mouillés, plus collés à la peau. Elle s’acharne ainsi sur le réel depuis qu’elle a perdu un sein, le gauche, dans un champ de fraises bio, en ramassant par mégarde une petite tumeur, devenant ainsi un être encore plus flou, plus fictif qu’avant.» (p.86)
Une lecture fort agréable que cette course à relais. Le CD apporte une dimension autre et constitue une œuvre en soi.

«Tant d’histoires autour des seins» de Relais-femmes est paru aux éditions Planète rebelle.

lundi 14 avril 2003

Jean-Marc Massie connaît la magie du verbe

Jean-Marc Massie tient une place particulière dans la poussée du conte au Québec et de ces conteurs qui gravitent autour de la maison Planète rebelle. Il nous offre trois contes dans cette récente publication. «L’Enfant de la Pinto», «La Démembreuse» et «L’arrêt circulaire du Gros Bill à Verbobyl». Ces trois temps ou histoires révèlent bien la manière de ce «parleur» qui semble être né sur une scène. Il en est capable. Un disque accompagne le tout.
Ses histoires se situent résolument dans le monde contemporain et il n’hésite jamais à plonger dans un futur incertain. L’imagination et la parole éclatent dans toutes les directions. Le plaisir d’inventer, sans jamais se donner de balises, emporte le verbe. Nous glissons dans des contes fantastiques, nous nageons dans l’invraisemblable, le verbe gicle pour notre plus grand plaisir. Il pousse sur le réel, nous enferme dans l’espace et le temps, nous fait voyager sous terre ou dans les airs, bouscule le passé et l’avenir.
«Ce jour-là, à Outremont, trois jeune filles aux cheveux décolorés déroulaient leurs bas de laine noirs jusqu’aux genoux et ajustaient leurs jupes d’écolières de sorte que l’on puisse imaginer la courbe anorexique de leur pubis. Elles avaient l’accent parisien et pourtant, leur tournures de phrases étaient québécoises. Elles marchaient droit devant avec l’assurance de ces êtres qui croient que tout leur est dû.»  (p.46 )
Il faut se donner le plaisir de l’entendre au préalable. La voix réussit à faire passer l'inconcevable qui bloque un peu à la lecture. Il lui arrive parfois d’être un peu victime de ses audaces et de son imaginaire. Il bascule dans le sordide avec «La Démembreuse». J’avoue m’être un peu égargé dans les inventions langagières du «Gros Bill à Verbobyl».
Un conteur existe dans sa parole, un conteur est toujours un peu amputé quand nous nous débattons avec ses écrits uniquement. Il faut entendre Jean-Marc Massie pour l’apprécier. Nous rencontrons alors un magicien, un inventeur de monde, un explorateur du langage qui ne cesse de surprendre et de dérouter.

«Delirium tremens, contes mutagènes» de Jean-Marc Massie est paru aux Éditions Planète rebelle.

samedi 14 décembre 2002

Un véritable voyage au pays de l’imaginaire

D. Kimm avec «La Suite mongole» en arrive à un aboutissement. Elle a traîné ce projet pendant une dizaine d'années, l'a fignolé pour parvenir à cette forme définitive, ce livre qui se leste d'un cédérom. Avec le travail de D. Kimm, il ne pouvait en être autrement. La parole et l'écrit ont toujours été étroitement enlacés chez elle.
Voyage dans la tête et dans un pays fantasmé. Exploration aussi d'une imagerie qu'il faut visiter avec recueillement. Arrêts devant ces icônes qui ornent le livre et qui sont autant de fenêtres sur une autre époque. Il faut s'imprégner de ce monde étrange, toujours mouvant et en quête de terreur et d'excès. Et nous aimons la fille sauvage qui chevauche les siècles et les fleuves, traverse des plaines griffées par le vent et la neige. Toujours cette cavalcade, toujours la colère et la férocité qui poussent vers ce lieu où la mort et la vie se soudent bouche à bouche. Moments fugaces, éclairs, sons qui se répercutent avant de s'évanouir comme un oiseau dans le ciel. Le monde vacille et il est possible de l'inventer, de le mouler à son image et à son esprit.
«Lorsque le vent a soulevé la poussière autour de moi, je n'ai pas capitulé, je n'ai pas souhaité vivre dans un autre lieu, un autre temps, j'étais née ici et j'allais assumer ma condition ici, être puissante comme un fleuve et belle comme une prière, charnelle comme un printemps et lucide comme une condamnée ; mais il fallait le jurer, le jurer et répéter sans cesse, me convaincre d'y croire car il n'y avait personne pour m'aider.» (p.14)

Voyage
D. Kimm choisit l'épique, l'intime et le fantasmagorique. Tout est refus, colère et désirs, fuites et effleurements, danses et paroles. Senteurs, halètements et lourdes fumées. Nous souffrons avec l'air, la terre, l'eau, le feu et la lumière. Les grandes forces telluriques se matérialisent.
Suite poétique solide, retenue et efficace. Textes sensuels qui mêlent poussière, sable, soleil et vents macérés de neige. Une sorte de martèlement des désirs nous emporte comme une charge de chevaux que repousse l'élan de l'histoire. Nous ne pouvons qu'adhérer à ce projet original et très particulier. Il suffit de se laisser emporter par la musique, d'avoir tous les sens en éveil pour sentir le monde.
«C'est la pleine lune et les femmes du village sont devenues folles. Elles aboient comme des chiennes en chaleur. Elles sont accablées par un ennui constant qui cause des dérèglements de l'esprit. Il ne pourra le supporter. Il va venir ici quémander mon assistance. Je l'attends de pied ferme.» ( p.55)

«La Suite mongole» de D. Kimm est paru aux Éditions Planète rebelle.

jeudi 12 décembre 2002

Les malaises de la vie peuvent-ils s’expliquer

Stanley Péan poursuit la réédition des histoires qu’il a publiées un peu partout au cours des années. Une manière de redonner vie à ces textes et d’éviter l’éparpillement.  «Le cabinet du Docteur K.» reprend une suite de nouvelles, «d’histoires d’amours contrariées». Des amours étiolés, des amants devenus des étrangers, des êtres qui tentent de s’arracher à une grisaille qui les emprisonne et les tue. Il faut secouer la chape de plomb et échapper aux gestes étouffants. La parole permet de forer un passage vers le rêve et de changer l’existence. L’important, peut-être, est de transgresser les tabous et de s’aventurer dans une réalité autre. Parce qu’il faut secouer les conventions, déchirer les clichés et découvrir le véritable sens de la vie.

«Brutes tyranniques, nous nous sommes employés à réduire le Verbe à ce jargon de comptoir et de chiffres, ce pidgin sans poésie qui voyage en numérique à la vitesse de la Lumière, ce sabir qui, sous prétexte de mettre en réseau les sens, embrigade l’essence.» (p.13)

Stanley Péan s’attarde à briser cette «vérité» et à casser cette langue de plomb. Il empoigne le faux langage qui garrotte les sentiments et vide les mots de sens. Sans le langage, il n’y a pas de vie possible. Il faut retourner au verbe, au sens, s’inventer des chemins et explorer toutes les réalités. Il suffit d’oser, de faire confiance à la rondeur des phrases pour s’enfoncer dans des failles que la quotidienneté masque, ces fissures que nous ignorons trop souvent. Fragiles moments, délicats instants de vie où tout peut advenir, se transformer en bonheur comme en terrible cauchemar.
Étonnement
Les récits les plus étranges et les plus étonnants de Péan surgissent quand il s’accroche à la réalité. Pensons à «N’ajustez pas votre appareil» ou encore à «Fièvre d’un mercredi soir». Un fait anodin, un moment de colère, un bar ou encore un vieux téléviseur et tout bascule. Il sait alors se faire efficace, usant souvent de procédés narratifs connus et familiers. Le lecteur glisse dans une réalité différente, étrange mais toujours possible. Je me suis attardé à ces «passages» en  abordant «La nuit démasque» dans un numéro antérieur de Lettres québécoises. Péan alors se fait explorateur, pourfendeur, dénonciateur des réalités et des interdits. L’amour et l’atroce se côtoient, le bonheur et le sanguinaire étant les facettes de la réalité. Il arrive à secouer l’équilibre changeant qui marque nos certitudes. Quel est le sens de la vie? Nous sortons toujours un peu troublés des histoires de Péan et c’est ce qu’il faut.
Un clochard meurt dans un moment d’extase, une femme retourne dans la maison qui a hanté son enfance pour se faire justice, une femme se fait assassiner dans un bar devant l’œil indifférent des buveurs. La vie est dure, animale mais tendre aussi comme dans le récit initiatique «Poussière d’arc-en-ciel». Il suffit de regarder par une fenêtre et de ne jamais dire non au désir.
Stanley Péan reste préoccupé  par la réalité, le monde, la communication, la misère des uns et le cynisme des autres. En cela il reste un humaniste, un véritable chercheur d’humains.
L’auteur n’a pas de réponse mais il questionne en puisant tout autant dans sa propre vie que dans celle des autres. Comment ne pas être attendri devant la mort du père, ce récit si bellement exprimé.
«Il était Haïtien, certes, mais il aurait très bien pu être Arménien, Chinois ou Québécois. Ça n’aurait rien changé. Il était en exil, mais devant la mort ne sommes-nous pas tous exilés de cette vie que nous aurions souhaitée, de ces rêves que nous n’avons pas su réaliser. Je me fais sentencieux alors que l’émotion ne réclame que la sincérité, qui est souvent le contraire de la littérature. Son histoire n’est guère plus tragique qu’une autre, j’en conviens, mais pas moins pathétique non plus. C’était mon père, tout simplement. Ni meilleur ni pire qu’une autre.» (p.117)
Sa propre expérience il n’hésite pas à la visiter, peut-être pour mieux l’ajuster. Alors la vie coule dans ce qu’elle a de plus beau et de plus intense. La vérité se trouve en soi et hors de soi.
Stanley Péan reste vrai, sensible et cynique, parfois tendre pour montrer les dérapages qui guettent l’humanité. Les textes qu’il signe aux Éditions j’ai VU, dans «Cette étrangeté coutumière» s’insèrent naturellement dans la suite du «Cabinet du Docteur K.» même si Péan a travaillé à partir des photographies de François Lamontagne. Là encore, il s’arrête sur des couples qui ont vécu l’amour et les ruptures, ces instants où tout se fait et défait. «Par fierté, par orgueil mal placé plus probablement, ils ne s’étaient jamais dit je t’aime.»
Ces phrases que l’on ne dit jamais, elles finissent par gâcher la vie, nous plonger dans une indifférence où le cœur et l’âme étouffent. Un tout petit volume mais une écriture qui respire parfaitement. Beaucoup de tendresse aussi. Péan semble délaisser  un peu le spectaculaire pour s’approcher de plus en plus de l’humain.
Et c’est peut-être l’auteur lui-même qui explique le mieux sa démarche dans le texte final du Docteur K.
«De toute façon, de quoi aurions-nous bien pu parler, moi et moi ? Des filles que j’ai aimées, le plus souvent mal, qui m’ont fait souffrir et vice-versa ? De ma passion maladive pour la musique ? De mon admiration pour Albert Camus, Jacques Stephen, Alexis et Harlan Allison, pour Jacques Ferron, Jorge Luis Borges et Anne Hébert ? De mon goût pour la littérature de combat, à la fois en prise directe sur le réel et ouverte sur le rêve?» (p.171)
Un monde cerné où nous retrouvons certains musiciens de jazz, des tableaux qui passent d’une nouvelle à l’autre. Malgré toutes les directions explorées, Péan fait preuve d’une belle cohérence.
«Le cabinet du Docteur K» de Stanley Péan est paru aux Éditions Planète rebelle et «Cette étrangeté coutumière», récits autour des photos de François Lamontagne, aux Éditions J’ai Vu.

mercredi 14 août 2002

Autant en emporte les mots

Fred Pellerin nous entraîne dans un village qui répond au nom de Saint-Élie de Caxton. Un endroit peu connu et situé quelque part en Mauricie.
Un peu déboussolant au départ que cette truculence et ces propos un peu grivois. Il faut continuer pourtant et après un conte ou deux, Pellerin chasse toutes les réticences. Il vous fait arpenter son village, rencontrer des personnages un peu curieux, brosse le décor, plonge allègrement dans le temps, nous ramène au présent et balaie tout d'un grand geste. Impossible d'ignorer sa grand-mère, celle qui lance chacun des contes. Vous connaîtrez Tibus le forgeron, la belle Lurette qui se meurt d'amour pour Dièse, le géant Ésimésac, Babine le musicien. Tous sont attachants malgré leurs extravagances et des caractères peu faciles.
Quatorze contes qui explorent tous les rivages du langage et qui vous projettent au-delà des événements du quotidien. Pellerin a le sens de l'exagération, du récit qu'il défait et qu'il modernise en préservant le merveilleux qui nous permet de fréquenter le Diable, une revenante et de se mêler à des ivrognes qui veulent capturer la lune au fond d'un lac un soir de grandes beuveries. Le conteur s'amuse, jongle avec les mots et surtout, il prouve que le conte a encore sa place sur une scène ou dans une soirée.
«Ma grand-mère disait que l'histoire s'est passée dans le temps où c'est que les chansons appartenaient à tout le monde. «Tout le monde pouvait chanter. C'était une poésie simple, quotidienne, accessible. Aujourd'hui, c'est rendu que les tounes sont dans la main des doigts d'auteurs. On aurait dû être plus prévenant, aussi, puis faire congeler quelques-unes des mélodies d'autrefois. Ça nous remettrait les oreilles devant les trous de récouter l'air du temps, ti-gars. Si la musique est une fleur de bruit, laisse-moi te dire que, de nos jours, il y en a une maudite gang qui engraisse les mauvaises herbes.» (p.39)

Une phrase

Tous les contes débutent par cette phrase de la grand-mère qui formule ses considérations sur le temps et les moeurs d'aujourd'hui. Elle nous ouvre la porte et nous fait basculer dans un monde fou de trouvailles et de jeux de mots.
Et peut-être que le conte de village reste plus sain, plus vigoureux et plus inventif que son cousin urbain qui bascule trop souvent dans la déprime et le misérabilisme. Il y a une santé «Dans mon village, il y a belle Lurette» qui fait plaisir à entendre et à lire.

«Dans mon village, il y a belle Lurette» de Fred Pellerin et paru aux Éditions, Planète rebelle.

dimanche 12 août 2001

Comment trouver un sens à la vie dans ce monde?

Les nouvelles de Stanley Péan, regroupées sous le titre de «La nuit démasque», ont toutes été publiées dans des revues du Québec. L'éditeur ne signale pas si elles ont été reprises dans l'ordre de parution ou si un autre choix a présidé. Un peu dommage parce qu'elles témoignent du cheminement et des préoccupations de l'auteur au cours des dernières années.
Bien sûr, on reconnaît la «manière Péan», sa propension à flirter avec le fantastique et l'irrationnel, sa façon de démontrer que la réalité est autre. Il suffit d'être attentif, de ne pas se laisser distraire et une autre dimension s'impose. Cette autre «mesure du réel» est souvent brutale, aveugle et mortelle. Nous pénétrons dans des lieux où les pulsions dominent, où des forces implacables broient les êtres et les choses. Péan bouleverse, heurte et parfois fait sourire. Ses personnages ne sont jamais simples même si ce sont souvent des hommes ou des femmes qui vont comme des perdus dans la vie. Des êtres aiguillonnés par la vengeance ou plus simplement bousculés par les événements. Ils ont eu la malchance d'être là au mauvais moment. Parce que chez Péan, l'espace est parsemé de trous ou de «passages». Il suffit d'ouvrir une porte par distraction ou volontairement, et le personnage est happé, poussé dans une réalité où il ne contrôle plus rien.
«De son oeil unique, elle ne voit plus très bien ce qu'elle est devenue. En ce pays trop aveugle pour discerner sa grandeur, elle fait figure de reine : une souveraine pas mal triste, sans réelle souveraineté. Montréal ne dort que d'un oeil. L'autre paupière ne se referme jamais entièrement et cette plaie purulente, sexe moite de pute sur le retour d'âge, enfante les spectres affamés de ses insomnies hallucinées...» (p.73)
L'expérience restera inoubliable, initiatique et fera douter de la réalité et de l'existence. Le témoin est marqué, foudroyé par une «vérité» qui dépasse l'entendement humain. Et il y a toujours la bascule, ce doigt qui se retourne vers le lecteur. Cela pourrait nous arriver à nous aussi, imprudent lecteur.
«Pourtant il a existé. Nous le savons tous. Nous nous souvenons de ce qu'il représentait et des raisons de sa mort : étranger en terre étrangère, bouc émissaire idéal sacrifié au nom de notre bigoterie et de notre bonne conscience.» (p.37)
La manière de Péan tient à la fois de la légende, du conte, ou de la nouvelle traditionnelle. Tous les genres sont enchevêtrés et régurgités. Cette manière donne souvent des pages intolérables. Une violence décrite cliniquement, insupportable dans «Brasiers». Parce que la violence chez Péan est tout autant physique que verbale. Il bouscule le langage, comme si à chaque fois le texte était expérience langagière pour soupeser les limites du racisme, de l'horreur ou de l'ostracisme.
L’écrivain nous apprend à nous méfier des conversations anodines, des blagues sexistes et racistes. Ces plaisanteries, quand elles s'incarnent, deviennent des abominations. «Monsieur Toulemonde», «Brasiers» sont des textes dont il faudrait lire des extraits dans les émissions d'humour où l'on vole au ras des parquets.
«En faisant bien attention de ne pas toucher aux vomissures, Ti-Coune et Louis soulèvent le sale nègre par le collet, pour mieux lui administrer les derniers soins. Georges a saisi un bout de planche cloutée avec lequel il frappe frappe frappe l'hostie-de-chien-à-marde-de-sale nègre à la tête encore encore encore.» (p.82)
Péan dévoile ce que l'on cache, ce non-dit que l'on n'ose jamais effleurer et que tous évitent dans les conversations. Autant demeurer sur nos gardes avec lui, se méfier de la nostalgie ou des «blues». Les retours sentimentaux dans «Revoir Limoilou» ou encore «Remonter le fleuve», se retournent pour broyer l'antagoniste. Le passé est une porte qu'il ne faut jamais ouvrir. D'autres occupent l'espace et vous y êtes un étranger.
Des pages très denses et dérangeantes. Péan ne fait jamais dans la dentelle et il prend un malin plaisir à nous étourdir, à nous déséquilibrer. Nous refermons «La nuit démasque» en ne regardant plus le monde de la même façon. N'est-ce pas le propre de la littérature?

«La nuit démasque» de Stanley Péan est paru aux Éditions Planète rebelle.

mardi 4 avril 2000

Qui réussira à saisir le monde et à l'exprimer?

Certains préfèrent inventer le monde, le fantasmer ou le rêver. D'autres passent une vie à essayer de comprendre les agitations et les migrations qu'ils vivent, tant dans leur tête que physiquement. La littérature restera toujours ce regard, cette manière de se creuser un nid. Parfois, c'est réussite, souvent nous en revenons déçus.
Alix Renaud nous entraîne dans un monde à la fois familier et étrange dans «Ovation». Les trois nouvelles rassemblées ici, déjà publiées dans des revues, demeurent des modèles du genre. Bien sûr, il s'agit de science-fiction. Sans être un initié, il est possible de goûter à cette littérature quand l'auteur sait surprendre au détour d'une phrase ou d'un paragraphe. Alix Renaud sait très bien le faire. Il maîtrise bien son récit et retient le lecteur, s'amusant à l'égarer avant de le ramener. Et quel imaginaire!
«A vrai dire, il avait déjà trouvé la solution. Il aurait pu se lever, quitter son bureau sous le regard ahuri de ses quatre collègues et se rendre directement au bureau du grand patron, Hoku Koto. Il aurait annoncé sa victoire et se serait fait remettre illico une plaque de promotion et un permis de séjour pour Londres, pour Rio ou pour Shanghai. Mais Mashi ne voulait ni quitter l'ambiance familière de la Kumishawa, ni se séparer de Kern, son ami, ni passer quinze interminables nuits loin de Norma.» (p.17)
Mashi semble bien adapté dans cette ville moderne et pleine de surprises. Pas de compétitivité, d'obligations et de devoirs. On travaille pour s'amuser, pour passer le temps peut-être et pour se réaliser. Le «meilleur des mondes» pour Mashi sauf qu'il fait preuve d'infidélité en retardant de livrer sa découverte au maître suprême qu'est Hoku Koto. C'est là que tout commence. Le doute s'installe et Mashi, tout autant que le lecteur, cherche à savoir ce qui grince. Nous réalisons aussi que nous sommes dans le plus incroyable univers totalitaire.

Expérience

Dans «Exanoïa», une équipe de savants s'est suicidée après une expérience pour le moins mystérieuse. Tous sont morts sauf le responsable qui dit avoir survécu parce qu'il est athée. Est-ce une raison pour échapper à la mort? Fernand Trottier, journaliste, dirige l'enquête et nous découvrirons que dans ce laboratoire secret, l'équipe de Claxton a recréé le système solaire à une échelle miniature. Ils ont reconstitué la terre, le soleil et des hommes et des femmes sont apparus, refaisant les découvertes et les bêtises de leurs créateurs.
«Car c'était bien notre Globe qui tournait lentement sur lui-même, à quelque deux mètres de moi. Je ne distinguais rien dans le détail, mais je savais. Rien n'était absolument pareil à ce que j'avais vu à la télévision ou dans les encyclopédies. J'avais ma certitude. Je vis des continents disparaître peu à peu dans la nuit, d'autres émerger sans hâte de l'ombre environnante.» (p.108)
Avons-nous un créateur? Est-ce là le vrai visage de Dieu? Vieille question qui demeure sans réponse.
Enfin la dernière nouvelle nous fait vivre une mutation où les femmes deviennent des oiseaux. Peut-être la moins intéressante, la moins fouillée aussi, même si elle donne son nom au recueil.
Dans un style alerte, sans bavure, un peu sec même, Alix Renaud sait nous faire bondir sur les phrases et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page.

«Ovation» d’Alix Renaud est paru aux Éditions Planète rebelle.

Les chants désespérés de Christine Germain

Christine Germain présente des textes qui tiennent plus de l'écriture théâtrale que du récit. Plusieurs de ces écrits ont été entendus à la radio de Radio-Canada. Six «monologues à voix haute» précise l'auteure. Un monde sans partage et impitoyable. Aucun compromis, aucun désir d'enjoliver cet univers souvent agressif, vulgaire, dérangeant et compromettant. On ne peut aller plus bas, plus loin. Peut-il en être autrement avec de tels «héros»? Ils sont si paumés qu'ils n'arrivent plus à dialoguer. Ils ont perdu le sens de l'autre et tout ce qu'ils arrivent à murmurer, à hurler, c'est cette douleur qui pousse en eux et les broie. Christine Germain nous traîne dans les ruelles, dans la saleté, les guenilles, les chambres miteuses ou les taudis. Proxénètes, prostituées, ivrognes, elle nous abandonne avec les délires d'hommes et de femmes repoussants et affolants.
La poésie peut surgir pourtant, comme un sourire entre deux jurons ou deux hurlements. Petits moments de beauté, petites fleurs qui s'ouvrent un matin entre les poubelles et les déchets. Autant en profiter parce que ces moments sont rares. 
«Tsé... des fois j'regarde les lignes de mes mains...
des p'tites routes qui s'croisent...
des p'tits chemins qui s'arrêtent...
P't'être qu'on porte nos vies dans nos mains...
J'aimerais ça, arrêter de mourir dans ma tête
pis dans mes mais... mais chus pas capable...» (p.22)
Textes hachurés, parsemés de points de suspensions qui montrent que le dit, n'est qu'un aperçu de ce qui pourrait être entendu, nous  progressons par à-coups, jusqu'à l'irréparable, jusqu'à l'effondrement dans la folie ou la mort.
Christine Germain a l'art de nous abandonner quand nous sommes à la limite de la démence. Des anges déchus qui ne savent qu'agresser, mutiler, tuer quand ils pensent trouver la tendresse.
Présenté sans aucun artifice, sans maquillage, cet univers est repoussant et l'auteure ne fait jamais de concessions. Difficile de s’attarder à ces textes sans le support de la voix. «Textes de la soif» passent beaucoup mieux sur le disque qui accompagne le livre. Sans doute la meilleure façon d'aborder ce travail en coup de poing. Et même «en écoutant le livre», il n'est pas du tout certain que ces éclopés réussiront à vous retenir. Nous sommes au plus fort de la désespérance, de la révolte et... à la limite du langage.

«Textes de la soif» de Christine Germain est paru chez Planète rebelle.