Nombre total de pages vues

Aucun message portant le libellé Éditions du Noroît. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Éditions du Noroît. Afficher tous les messages

lundi 5 mai 2025

LA TERRIBLE AVENTURE DE DEVENIR SOI

CAROLINE LOUISSEIZE a connu un parcours particulier qu’elle raconte dans La pire affaire, un récit qui oscille entre le poème qui amorce chacune des cinq parties du recueil et la prose qui s’impose tout naturellement. Une narration qui laisse les bras ballants, ne sachant trop comment décrire cette enfance de solitude et de mutisme, cette prise de parole pour se dire grâce à l’écriture et peut-être, aussi, par la musique. Un chemin marqué par le silence et la terrible certitude d’être seule au monde. Et, comme d’habitude, après un premier survol, j’ai recommencé ma lecture. Je le fais toujours avec les poèmes et les proses poétiques. Une première reconnaissance pour connaître la direction que l’écrivaine emprunte et surtout par me familiariser avec la cartographie du texte et, dans un deuxième temps, m’attarder et méditer sur les mots qui s’imposent de tout leur poids. Parfois, souvent, je me risque dans une troisième traversée pour ressentir le récit dans toutes les fibres de mon être. C’est alors l’adhésion et la plongée dans un univers qui vous surprend et vous déroute.

 

Le titre m’a intrigué. L’expression est utilisée pour marquer une situation un peu étrange et cocasse. Une formule qui permet au conteur de glisser dans une aventure qui fait sourire. Rien de tout ça avec Caroline Louisseize. J’ai dû patienter avant de me buter à la locution dans son récit. J’ai compris alors pourquoi elle avait choisi ce titre que le lecteur doit prendre au pied de la lettre.

 

«Je me déterre sous les falloir faire comme il faut, les falloir être irréprochable, falloir se révolter — pour les bonnes raisons —, falloir refuser — les bonnes choses —, falloir fuir le conformisme, savoir écrire. Falloir être soi-même : la pire affaire. Je relève tous les falloir, à rebours, une pelure à la fois, infimes épluchures de l’envie.» (p.77)

 

«Falloir être soi-même : la pire affaire.» Je me suis attardé à ces quelques mots qui disent tout de l’entreprise de l’écrivaine. «Falloir être soi-même», l’aventure la plus difficile, celle qui exige tout de son être, surtout lorsqu’on se risque sur la route de l’écriture. 

Refoulée dans la marginalité dès l’enfance, exclue et victime de moqueries et d’agressions, elle a réussi à faire son chemin quand elle s’est avancée dans l’écriture pour se donner un visage et un corps. Comme si elle avait dû rassembler tous les aspects de son être qui s’étaient éparpillés autour d’elle. Un puzzle de douleur, d’hésitations et de craintes, de désespoir certainement.

 

CHEMINEMENT

 

Caroline Louisseize a grandi dans une famille chaleureuse et accueillante, mais la fillette ne parvient pas à se faire des amis. Elle est victime de harcèlement à l’école et devient l’objet de toutes les moqueries. Elle vit les récréations et les heures du midi comme un cauchemar. Elle trouve répit dans les cours, craignant plus que tout le son de la cloche et les fauves qui se précipitent tête baissée dans les escaliers. Toujours être le sujet de railleries, celle que l’on pointe partout, la maladroite dans les activités sportives où elle traîne de la patte. Celle que l’on ridiculise par habitude et par réflexe. Et il y a ce nom de famille qui n’arrange rien, ce nom qui est comme une tache sur le front.

 

«Il y a un ancêtre dans mon nom de famille. Louis1, louis2, louis20, à l’école j’ai tous les noms sauf les noms d’arbres de fleurs mélissa rose marguerite véronique, iris. Je veux jouer avec lachance laforêt lamontagne lapierre. Moi je suis rare! très noble : dites plutôt mémoire honteuse, la petite louisse louisseize, ancêtre charabia — mort la tête coupée, le savais-tu?» (p.19)

 

Un patronyme difficile à porter, sujet de toutes les railleries certainement. Pour résister, pour être, je dirais, Caroline Louisseize devient l’élève parfaite et le modèle. Elle sera la «bollée» de la classe et pourra exister dans le regard des enseignants. Une autre façon de s’isoler, elle le comprendra plus tard. Que faire pour être ordinaire, avoir des amies, se sentir bien dans un groupe et s’amuser?

Il y a cette prière qui m’a bouleversé où l’adolescente cherche désespérément à échapper à sa condition en évoquant Dieu et son oncle Martin, mort très jeune, pour qu’un miracle se produise.

 

«Mon dieu, mononcle martin s’il vous plaît, je vous le demande, avec le plus d’yeux fermés que possible. En attendant, dans ma cachette face au grillage, je m’exerce à rire. Et dans le rire je demande : la lumière, la légèreté dans la beauté fauve de l’enfance.» (p.21)

 

La fillette sans joie, sans amies, sans rien qui lui fait ressentir qu’elle a sa place à l’école et dans la vie, demeure prisonnière de la plus incroyable des solitudes. Un état insupportable qui pourrait mener aux gestes suicidaires pour échapper à cette existence qui la broie.

 

GERMAINE

 

Heureusement, il y a des refuges, des éclaircies dans sa vie, des lieux où elle peut être ce qu’elle est. Avec Germaine, je me suis retrouvé dans mon village de La Doré. Caroline Louisseize y a des racines. Germaine, une toute petite femme dont je me souviens très bien, vivait dans une maison blanche tout près de l’église. Il me semble qu’elle ne parlait à personne, qu’elle avait enseigné dans un autre temps. Madame Germaine était toujours pressée quand elle s’aventurait sur le trottoir, courant presque. Une dame un peu étrange, souriante et très croyante. Une marginale dans laquelle la jeune Caroline pouvait se reconnaître.

La fillette aimait se rendre chez elle parce qu’elle ne serait jamais jugée dans ce qu’elle était. Elle pouvait dessiner et s’amuser sans le poids des regards accusateurs, sans se sentir à part. Elle n’était plus seule dans sa prison avec cette femme réchappée d’un temps révolu. 

 

«Mon refuge, c’est elle, tête blanche enjouée, à l’autre bout du monde : le pays des bleuets au goût sapiné et des légendes d’ours bruns. C’est une petite mansarde aux lambris peints en blanc, plongée dans le froid de l’hiver. Repliée et marmonnant à sa bible, accotée sur son vieux secrétaire garni de papiers, de prières et de feutrine rouge — le passage secret de dieu —, elle interrompt ses génuflexions pour venir nous ouvrir et déplacer l’odeur très forte de la sueur qui colle à sa petite robe de vieille fille en lainage bleu. Elle demande des faveurs aux fantômes des ancêtres. Elle nous raconte leurs histoires pendant qu’on bricole. Moi c’est en elle que je crois, en son ricanement de chapelet, indestructible, et en sa chaleur, sa force, sa foi.» (p.27)

 

Les études universitaires ne lui réussiront guère. Elle perd ses références, sa place de «bollée». La pensée critique lui fait perdre pied et elle ne trouve plus de balises, de formules à mémoriser et qui lui permettaient d’avoir les plus hautes notes. Elle s’abandonne à la musique qui la porte, la transperce et la pousse dans une autre dimension où elle peut tout être. Les harmonies, ces mélodies qu’elle n’a pas su partager avec ses camarades s’emparent de son corps et lui font avancer vers celle qu’elle doit rencontrer : elle-même. Pas une petite affaire, on le devine. 

 

«Parmi toutes les choses que je peux faire, je garde écrire. Ailleurs, c’est des scènes possiblement apprises et répétées : très bien, caroline, éblouissant. Vivre dans l’écriture veut dire dire, prendre le rôle de parler, parler pour soi. Au risque de laisser des trances indélébiles, de déranger. Veux dire tu creuses et tu grattes, tu picosses et tu creuses toujours, mais toujours ouverte, béante et offerte à ce que tu pourrais trouver, tu te désarmes. Tu enquêtes sur le sens jusqu’aux pourtours du langage, et dans le langage c’est toi qui apparais.» (p.92)

 

Le chemin pour être soi est long et périlleux, les écrivains en témoignent dans leurs œuvres. Le parcours demande toute une vie, j’en sais quelque chose. S’installer en soi exige du courage et une volonté hors du commun. Il en aura fallu des désillusions et des ravalements pour que Caroline Louisseize respire et se trouve en équilibre sur un bout de phrase en ayant l’impression de dériver sur un morceau de glace au plus fort de la crue du printemps. 

Un récit qui m’a touché profondément et qui va me hanter longtemps. C’est l’humain, la vie dans toute sa fragilité, ses embûches, ses désespoirs et ses grandes et petites réussites, ses joies intimes qui font tendre les bras dans une éclaircie au milieu des orages. Et elle y arrive, la valeureuse Caroline, à être toute dans sa tête, encore bien vulnérable, mais là avec les yeux ouverts et l’assurance qu’elle est quelqu’une et qu’elle appartient maintenant au monde des écrivains et des écrivaines. Un récit incroyable de sensibilité et de mal être. 

On ne peut terminer La pire affaire qu’avec les larmes aux yeux avec l’envie de prendre Caroline Louisseize dans ses bras pour lui murmurer à l’oreille qu’elle n’est pas toute seule au pays des mots, qu’elle ne le sera plus jamais. Pour lui dire aussi dans une prière mille fois répétée qu’elle a sa place et qu’elle nous fait du bien avec son courage et cette lente et douloureuse résurrection.

 

LOUISSEIZE CAROLINE : La pire affaire, Éditions du Noroît, Montréal, 108 pages, 22,95 $.

https://lenoroit.com/produit/la-pire-affaire/

 

jeudi 4 juin 2015

L’enfance ne s'éloigne jamais des poètes

LES LIEUX, CEUX qui nous ont vu naître et grandir, marquent pour la vie. Pour les écrivains, ces pays deviennent souvent les décors de leurs fictions. Pensons aux Trois-Pistoles de Victor-Lévy Beaulieu ou le Lac-Saint-Jean de Michel Marc Bouchard. Il y a aussi le Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay. La liste pourrait s’allonger. Des endroits comme des attaches qui permettent de créer un monde fictif et réel. Si on m’avait dit, à dix-huit ans, que j’écrirais presque toute ma vie sur mon village, ma famille, ces paysages que je parcourais depuis que je pouvais courir, j’aurais éclaté de rire. C’est pourtant cet univers que je n’ai cessé d’explorer.

Denise Desautels a grandi près du parc La Fontaine à Montréal, un espace qui m’avait terriblement impressionné lors de ma première visite dans la métropole à quinze ans. J’avais fait le voyage pour un congrès des clubs 4H. Les arbres gigantesques, les pelouses si vertes, les étangs contrastaient tellement avec les épinettes rabougries et les cyprès tordus auxquels j’étais habitué. La forêt commençait au bout de la terre familiale et débordait jusqu’au grand lac Mistassini et plus loin encore. La forêt boréale était notre terrain de jeux avec ses rivières larges comme des fleuves, ses lacs, ses savanes et ses montagnes. Le parc La Fontaine, c’était la nature tranquille et apprivoisée.
Les poètes et les écrivains tournent souvent autour d’eux pour voir ce que personne ne remarque. Pourtant, même en écrivant, en se penchant sur ses empreintes, certains aspects restent dans l’ombre et échappent au regard. Si le poème ou le roman révèlent, ils masquent aussi.
C’est un peu ce que vit Denise Desautels quand son fils, lors d’une discussion, lui avoue qu’il ne lit pas ses livres parce qu’il y est trop souvent question de la mort.

Nous ne parlons pas, ou si peu, de mes livres. « Trop de morts » pour que tu ailles jusqu’au bout. Ça a été ton unique commentaire à propos de Ce fauve, le Bonheur. Tu as refusé de faire partie de la communauté des victimes, tu as eu raison. Refusé d’être « rappelé à l’ordre… ramené dans le Bonheur pieds et poings liés » comme dans Tu ne t’aimes pas. La reconstitution, bien que fortement fictive, de l’hécatombe familiale qui a précédé ta naissance et que j’ai voulu inscrire dans une certaine histoire du Québec ne te concerne pas. (p.16)

Imaginez ! Tout ce qui fait la quête de l’écrivaine, ce qu’elle tente d’apprivoiser par les mots, la phrase et l’image, son fils refuse de s’y attarder. Comme s’il rejetait sa mère en disant non. Ce monde sans cesse retrouvé et exploré, ce vécu marqué par les pertes et les disparitions, le fils lui tourne le dos.
L’écrivain comprend que ses proches sont ses plus mauvais lecteurs. Je sais que mes frères ne lisent jamais mes livres, même s’ils sont touchés de toutes les manières possibles. Je ne peux y penser sans ressentir un pincement au cœur. J’explore une terre étrangère et ils n’entendent pas ma langue. Ce monde, ils le croient inaccessible.
Denise Desautels tente d’expliquer, mais comment parler quand le silence vous aspire et que l’on sent le refus. Y a-t-il des sujets qu’il est interdit d’aborder avec ses proches ? Peut-être parce qu’ils ne sont pas touchés par les mêmes lieux ou qu’ils sont hantés par d’autres paysages.

SON PARC

Le parc La Fontaine, Denise Desautels le considérait comme sa propriété personnelle avec ces espaces où elle pouvait se retrouver avec sa grande amie, échapper aux contraintes familiales et à ses étouffements. Et rêver aussi, l’ailleurs, une autre vie, d’autres villes et des voyages.

Le parc est un nid de ténèbres. J’y avance souvent avec l’impression de porter un sac de cent kilos sur mon dos. De décupler à chacune de mes foulées les douleurs prises en mottes dans les sous-sols, liées pêle-mêle à des morts proches autant qu’à celles qui font la une. Je m’acharne pour rien à les exhumer. Immanquablement elles se renouvellent et me rattrapent. Je suis espionnée, mon grand, jugée coupable par elles.  (p.22)

Elle n’avait qu’à traverser la rue et c’était un univers autre avec des rencontres, des jeux et certains dangers qu’elle s’efforçait de ne pas voir. Un espace impossible à oublier. On y revient physiquement ou par la pensée, tous les jours, pour se ressourcer, se souvenir, se rappeler qui on est. Ce parc au cœur de la ville, l’écrivaine ne l’a jamais quitté malgré les déplacements nombreux et les exils qu’elle a vécus pendant qu’elle imposait sa voix à l’étranger.
Il fallait un choc, une image. La photo d’une chouette prise par son fils, au sommet d’un arbre pour amorcer la réflexion. Que voit-elle que son fils ne voit pas et que voit-il qu’elle ne pense pas regarder ? Il y a un monde qu’elle connaît et un monde qu’elle ignore.

Parce qu’il ne pleut que du périssable, je compte les morts partout tout le temps. Dedans comme dehors. À ton insu tu m’as ramenée à l’ordre, tu as donné un nom aux bêtes et aux choses. Le matin de la buse, sans toi, je n’aurais pas regardé si haut. Je n’aurais pas été frappée par le réel en plein visage. Je serais restée coincée, à ressasser des ruines. Hurlante à l’intérieur. (p.13)

Le passé refait surface et il y a encore et toujours ces ruelles à découvrir et des visages peut-être qui vont ressurgir et permettre de dire autrement la réalité.
Le fils a raison. Il y a beaucoup de morts dans la vie de Denise Desautels. Des parents, des connaissances. Comme si elle portait le mauvais œil pour ceux qu’elle a aimés et côtoyés.
Est-il possible de trouver les mots dans les mondes de son enfance, la maison où la famille a vécu si longtemps ? Tout revient quand on emprunte les chemins du souvenir. L’exiguïté des lieux, l’emprise de la grand-mère, ses peurs et ses obsessions. Un écrivain finit toujours par emprunter les sentiers qui ont permis l’œuvre littéraire et les questions sans cesse méditées.

RETOUR

Denise Desautels secoue les racines de son œuvre foisonnante avec une sincérité émouvante, le désir de tout dire à ce fils qui scrute le monde par l’œil d’un appareil photographique. Le voir et le dire. Le dire en le voyant. La poète entreprend le chemin le plus long, celui où il est impossible de tricher. La franchise est exigeante. L’écrivaine se faufile entre l’enfance et la vie de maintenant, bouscule le temps et l’espace, s’attarde devant des visages familiers et méconnus, raconte ce parc qu’elle ne cesse d’arpenter pour s’y surprendre peut-être derrière l’arbre où Gilbert Langevin allait parfois dormir dans les derniers temps de sa poévie.

Troublant que nous n’ayons jamais parlé ensemble de ce lieu, logement et cour, peuplé de rongeurs. De quoi au fait au juste, mon grand, avons-nous déjà véritablement parlé ensemble ? Avons-nous même déjà joué, chanté, rêvé, ri à gorge déployée ensemble ? Pleuré, oui, je me souviens. Depuis toujours si incompétente avec la sphère des choses vitales. (p.47)

Une écriture magnifique, touchante où les mots effleurent les silences qui pèsent si lourd. Le fils restera un étranger même si elle l’a accompagné vers la vie d’adulte. Les mots ne peuvent réparer la vie, mais ils la rendent meilleure, plus consciente. Il y a des images, des photos qui la bousculent et la font se retourner. Il faut plus que du courage pour s’aventurer dans une telle démarche. On peut presque parler de témérité.
Denise Desautels ne se défile jamais. C’est ce qui fait la beauté de ce livre émouvant. On s’y attarde, on revient sur les phrases qui éclatent comme les feuilles des grands arbres au printemps. Ces grands arbres sous lesquels elle va dans le matin, jonglant certainement avec des images, des bouts de poèmes qui la suivent partout. Marcher dans sa vie comme dans l’espoir de surprendre un fils dans une allée pour le prendre dans ses bras et lui dire toute sa vie. C’est ce qu’elle fait dans ce magnifique livre, ce texte de courage et d’amour.

Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut. Tableaux d'un parc, Montréal de Denise Desaultels est paru aux Éditions du Noroît, 88 pages, 22 $.

NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, été 2015, numéro 158.

lundi 13 août 2007

Beaucoup plus de plumage que de contenu…

«De toute manière, la présente édition aura été, pour l’auteur, une occasion de donner un livre qui convient mieux à sa vanité. C’est un cadeau qu’il s’offre à lui-même ainsi qu’à quelques amis discrets ou disparus, qu’il remercie de leur connivence.» (p.91)
Magnifique recueil que celui de Jean-François Dowd. Papier ivoire, illustrations soignées, travail d’artiste. Un bel objet que les collectionneurs aiment feuilleter et toucher. Marc-Antoine Nadeau, dans des dessins et des aquarelles, allie couleurs et lignes pour créer un monde tourmenté. L’espace se défait dans ces tableaux où la femme occupe souvent le centre. Tous les objets gravitent autour d’elle, oublient les lois de la physique pour créer un monde étrange. Une belle transparence aussi, une sorte de légèreté et des «spirales» qui traduisent les peurs et les fantasmes. Fort intéressant. Malheureusement ou volontairement, on a omis d’indiquer les titres de ces illustrations. Peut-être aussi que Dowd était trop emporté par les méandres de sa prose pour s’attarder à ce genre de vétilles.

Romantisme

Les récits de Dowd nous plongent dans un romantisme où les sentiments imprègnent le monde qui devient le miroir des pensées qui agitent l’être. Comment ne pas penser aux textes de Marcel Portal où nature et amours soufflent l’âme et illustrent une forme de névrose.
Dowd esquisse des univers feutrés où le rêve et la mélancolie marquent l’écriture comme des points de broderie. Une contemplation et une méditation qui empruntent des sentiers trop fréquentés. Femmes, oiseaux, arbres et ruisseaux. Tout y est!
«Une femme, non loin, se signe avec son fard : c’est la même qui te laissait entendre, l’une après l’autre, les extrémités de sa voix, ses cheveux de pure pluie relevés sur la nuque. Oh, cette surprise lorsqu’elle s’était approchée plus que de coutume – jusqu’à n’être plus qu’à un étirement de la main. Ce grain qu’elle désancrait de ses hanches ou tirait de sa chevelure… Les yeux d’un noir fou, d’abord, avaient frappé en toi, puis le corps méandreux, étrange, à explorer, puis la boutonnière livrant la gorge et l’éperon, et les seins précis avec leurs rites séparés!» (p.33,34)
On se lasse vite de cette écriture empruntée.

Question

Un recueil qui détonne dans le paysage de la poésie, une approche désuète. Le lecteur peut se demander comment un tel recueil peut se retrouver aux Éditions du Noroît, une maison renommée pour sa qualité et sa rigueur. On comprend mieux quand on lit dans la page des crédits que la société DesDowd inc y est allée d’une «contribution généreuse».

«Petites morts à fredonner» de Jean-François Dowd est paru aux Éditions du Noroît.

mercredi 15 décembre 2004

Toujours la recherche d’équilibre et de sens


Joël Pourbaix oscille entre le poème et un récit qui ballote le lecteur entre l’enfance et la vie présente. Encore une fois! Un monde fait d’avancés et de reculs qui expliquent peut-être le titre un peu étrange de ce recueil. «Labyrinthe », rues, passages, ruelles qui vont dans toutes les directions et qui n’ont à peu près jamais d’issues. Certains carrefours s’ouvrent selon les rencontres, les visages qui surgissent, les événements qui s’imposent en marquant le corps et l’esprit.
La solitude encore, l’isolement si lourd à porter malgré le visage des femmes qui vont sur les trottoirs comme des brûlures et des invitations. La plus terrible des solitudes? L’exil et le déracinement.
«Début septembre, la chaleur a pris possession des rues. Dans la foule je croise quelques femmes qu’on ne peut prier que des yeux. S’arrêter, faire demi-tour, quoi de plus simple, quoi de plus impossible.» (p.11)
Peu à peu Pourbaix livre des fragments de sa vie comme s’il déplaçait les morceaux d’un puzzle. Il multiplie les points de vue, surveille la rue, une voisine un peu étrange, un arbre que l’on abat et qui laisse un trou terrible dans le monde. Et un pays de sable et d’espace s’esquisse au détour d’un mot. L’enfance soufflée par la violence et souillée par la mort surgit.
«J’entends des pas et des voix. Hommes, femmes, chevaux, bêtes de somme à longs poils. Et des enfants.
Ils m’ouvrent leurs bras.»  (p.147)

Équilibre

Plusieurs poèmes sonnent comme des aphorismes, retournent des expressions connues et inventent un autre équilibre. C’est souvent un vers, une phrase qui fige le lecteur tel un point d’ancrage. Des perles tout au long de ce recueil, des fragments comme des oasis que l’on ne veut plus quitter. Le mot se dresse comme ces «êtres de pierre» qui font face au temps et narguent l’espace.
Arriver à colmater les manques de la vie, les faux pas, calmer les douleurs avec des images pour revenir «parmi les hommes», voilà ce que tente Joël Pourbaix dans son entreprise poétique. «Un combat contre le vide et l’absence par un peu plus de vide et d’absence.»
Un recueil fascinant même si le poète a tendance parfois à se recroqueviller dans un hermétisme qu’il est difficile à percer. Mais autant se laisser porter par le rythme, le phrasé où les poèmes esquissent des sculptures que le temps ne réussit pas à courber.

«Labyrinthe 5» de Joël Pourbaix est paru aux Éditions du Noroît.