LES JOURNAUX ET LES CARNETS d’écrivains me passionnent. Je me
précipite quand ce genre de récit paraît. Pourtant, les médias et ceux qui
parlent encore de littérature ne s’attardent guère au genre. On préfère les romans,
d’une centaine de pages, les récits ou encore les biographies scabreuses. Il
est rare que l’on s’attarde à la collection Écrire
des Éditions Trois-Pistoles bien qu’on y déniche des joyaux. Jean-Pierre Guay,
dans les années 1980, s’était lancé tête baissée dans l’écriture d’un journal personnel.
Nous étions à peine une centaine à le lire. Je partageais ce plaisir
avec mon ami Carol Lebel, un friand de ce genre littéraire. Je pense avoir déjà raconté tout ça.
Gaétan
Lévesque savait dans quoi il s'aventurait quand il a lancé la collection Carnets d’écrivains dirigée par Robert
Lalonde. En fait, l’idée vient du Camp
littéraire Félix qui donne depuis quelques années des ateliers sur le
carnet d’écrivain. Robert Lalonde était tout désigné pour lancer l’aventure. J’étais présent au premier atelier et cela a donné L’enfant qui ne voulait plus dormir.
Monique Brillon avait osé s'avancer sur ce chemin qui allait on ne savait où.
Écrire un carnet, c’est partir pour ailleurs, sans basculer dans le récit, sans
une histoire, sans une direction précise. Et c’est peut-être tout cela à la fois.
J’imagine
que les écrivains parlent tous de la même chose quand ils délaissent la fiction
et les personnages pour raconter le moment présent et ce qui les pousse vers
les mots. Lévesque Éditeur lançait
récemment le quatrième titre de cette collection avec le Carnet d’une méduse de Monique Brillon. J’ai lu bien sûr Marie
Clark et Marc-Antoine Cyr, ces compagnons d’aventure.
Je
venais de mettre fin à la péripétie Claude Le Bouthillier, la relecture de
l’ensemble de ses publications pour une présentation dans Lettres québécoises. Un mois de lecture intense qui a pris fin avec
le décès de l'écrivain acadien. Et le carnet de Monique Brillon est arrivé. Je l’attendais, j’en
avais besoin.
LE COMBAT
Monique
Brillon est psychologue et c’est peut-être pourquoi elle a tant de mal avec les
mots. Son carnet témoigne de cette longue et lente venue de l’écriture. Elle
s’installe, prend son stylo, s’avance sur une phrase et tout bloque. Les
questions affluent comme les marées du fleuve Saint-Laurent qu’elle recherche
quand vient la saison d’été. Toutes ces interrogations qu’il faut oublier quand
on plonge dans l’écriture font surface. Pour écrire, nous devons nous abandonner et surtout ne pas penser, être ce mouvement qui emporte les mots, le vent, les feuilles mortes, oublier les
pourquoi et les comment. J’ai souvent rencontré des stagiaires au Camp littéraire Félix qui avaient une
formation de psychiatre ou de psychologue. Ce sont toujours ceux ou celles qui
ont le plus de mal avec la fiction et l’écriture. Au lieu de se
laisser guider par l’élan, ils se retirent après une phrase ou deux, se mettent
à raisonner. Tout s’enraye. Rien ne peut plus arriver. Et quand ils effleurent
ce qui fait mal, ils ne sont plus qu’un regard sur soi. Difficile d'enlever les
lunettes de l’analyste.
Écrire.
Pour retisser les fils rompus, rattraper les mailles perdues qui me lient à
l’oiseau, à l’arbre, à la pluie et à la neige, à ma chatte Capucine qui respire
l’air du large et à ce fleuve, mon double. (p.13)
Toucher,
sentir, écouter. Trop souvent je ne compte que sur le regard, ce sens qui place
tout à distance. Le regard capte, emprisonne. Quand je veux bien écouter un
patient, je détourne les yeux ou les ferme pour entrer en moi-même et laisser
ses mots me toucher. Quand j’écris, où va mon regard ? (p.23)
Il faut justement
fermer les yeux, entrer en soi et se laisser emporter là où les mots le
veulent. Ne plus être qu'un mouvement vers l'avant, vers l'ailleurs qui est en soi.
MÉDUSE
Dans la mythologie, les textes parlent de l'importance des talismans, de l'angoisse
de la castration, du rapport intime au monstrueux et aux sociétés matriarcales quand il est question de Méduse.
L’animal, toujours selon ces sources, serait né de la rencontre de la terre et
de la mer. Fort intéressant. Ce carnet est bellement nommé.
Monique Brillon parle du rapport à la mère, à
l’eau, de ses craintes et de ses enfoncements dans la solitude, de ces
lieux à la fois liquide et terrestre, l’ici et l’infini de l’horizon. Entre soi
et l’écriture peut-être.
Que de nœuds à défaire, de peurs, de stupeurs et de
tremblements avant de se retrouver dans la coulée de l’expression. Un projet
de roman illustre parfaitement ce que madame Brillon veut cerner dans son carnet.
J’ai eu le bonheur de lire ce manuscrit. Un univers flou, des impressions, des
couleurs, la présence très forte des éléments, des personnages qui se
dissolvent dans les épais brouillards des bords de mer. Tout est
impressionnisme dans cette rencontre du monde liquide et terrestre. Comment pousser ces esquisses, ces couleurs mouvantes dans un espace réel et
concret ?
QUESTIONNEMENT
Comment aborder ses peurs sans fermer les yeux ?
Je relis tous les mots écrits à pas de tortue
depuis mon arrivée. Surprise d’y découvrir plusieurs petits passages qui
éveillent en moi une vague émotion. Je les extrais du fouillis. Une agitation
intérieure, une sorte de tremblement s’empare de moi. Envie de me lever,
d’aller marcher, faire du vélo. Cette paix que je recherche, cette lenteur à
laquelle j’aspire, j’ai peine à la tolérer. Sous le paisible va-et-vient de la
vague, un tsunami gronde. (p.40)
Le goût pour les marées et les vents, le désir de
lancer des messages vers le large pour que quelqu’un voit et entende ne s'éloignent jamais. Son amour
des autres et sa réclusion, sa tristesse qui fait qu’elle s'isole. Ce désir
d’écrire la laisse seule avec la marée, une chatte qui la force à s’oublier.
Qui est cette chatte pour me renvoyer ainsi mon
reflet en miroir et réveiller des angoisses innommées, innommables ? Qui l’a
mise sur mon chemin à ce moment précis où je me débats avec les images d’un
roman qui n’en finissent pas de me torturer ? (p.51)
Sa vie se casse. Elle hésite entre le temps de l’écriture au
bord du fleuve et le travail en ville où elle se met à l’écoute de l’autre.
La poésie vient rythmer le carnet. Comme la vague qui frappe les rochers de l'île d'Orléans. Monique Brillon trouve une certaine aisance dans
ces élans où elle s’abandonne aux mots et aux images sans trop chercher d’ancrage. Elle
n’a pas à se soucier d’une intrigue ou d’un personnage. Le chant et la
respiration donnent vie au poème. Ces textes marquent le carnet, le bercent.
Coulée de lave dans les veines
les mots couvent sous la cendre
un œil jaune se glisse par la fente.
Comment dire la révolte quand le magma
fuse avant le cri ? (p.33)
Carnet
d’une méduse est un texte fort, courageux. Monique
Brillon empoigne ses démons et s’attaque à ses résistances pour approcher le
bout du quai. Je me souviens de ces rencontres de fin d’après-midi au Camp littéraire Félix où chacun avait à
lire le texte qui avait retenu son attention pendant la journée. Elle commençait
toujours par s’excuser comme si elle se sentait coupable. Et elle nous captivait
avec son monde, ses angoisses, les grandes pertes de sa vie, sa solitude parfois
terrible, son bonheur de pouvoir s’appuyer sur les mots des autres et de
venir en aide à sa chatte Capucine.
L’écrivaine est puissante dans sa simplicité, son
regard sur le fleuve, les lueurs du jour, les arbres et les oiseaux. Écrire,
qu’on le veuille ou non, est une recherche de soi et une quête. Monique Brillon
ouvre les fenêtres pour se dire, se crier parfois. Un acte courageux comme tout acte d’écriture
qui se tourne vers soi. Parce que signer un carnet, c’est accepter que des visiteurs
entrent sans frapper dans sa maison et mettent leurs mains un peu partout. C'est souvent intolérable.
PROCHAINE CHRONIQUE : Mourir par curiosité
de CHRISTIANE
DUCHESNE publié chez BORÉAL.
Carnet
d’une méduse de Monique Brillon est paru chez Lévesque Éditeur, 128
pages, 16.00 $.