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vendredi 23 novembre 2007

Maggie Blot s’abandonne trop aux mots

Maggie Blot aime les mots. Elle fonce sans regarder dans le rétroviseur, emprunte toutes les directions en se souciant peu de larguer son lecteur.
Pas question de s’attarder à camper des personnages ou de développer une intrigue. L’écrivaine bondit comme le grand chien Plagiste, un nom vraiment impossible, quand il surprend des mouettes sur le sable. Elle s’attarde à la préparation d’un repas, évoque la vie conjugale de Bianca Jagger ou s’inquiète des aspérités de la vie. Résultats: de brefs moments fascinants et une exubérance qui se perd dans des virages imprévisibles.
«Nous avons franchi le pas de la porte chez « Bernard et Bernadette vos hôtes adorent vous restaurer » et pouf, l’odeur de la nourriture nous a fait taire, l’eau à la bouche nous refilait notre squelette – celui qui voit, goûte, tend l’oreille, prend les choses comme elles sont, en intégrant-désintégrant tout commentaire. Le pas franchi, spontanément, ma main d’acolyte a cherché celle de Nico. J’avais besoin de sa main. Je me suis repris aussitôt, ai reculé. Je me disais que j’étais en une seconde redevenu un enfant qui a la main d’un monkey à crochet. Toutefois je l’avais frôlée et cela avait brûlé.» (p.46)
Un récit qui a de l’élan, mais qui s’étiole souvent, un certain regard sur la société et les humains.

«Plagiste Dormir ou esquisser» de Maggie Blot est paru aux Éditions Triptyque.

jeudi 22 novembre 2007

Philippe Porée-Kurrer surprend encore

Philippe Porée-Kurrer, depuis la parution du «Retour de l’orchidée» en 1990, n’a cessé de dérouter. Cet écrivain vit sa vie comme un roman et en fait une aventure. Il n’hésite jamais à changer de lieux et à dire oui à toutes les expériences. Il a vécu à Windsor, dans les Maritimes, en Colombie-Britannique, fait le tour de l’Amérique, séjourné au Lac-Saint-Jean et travaille présentement à Toronto. Il était de retour dans «sa région» lors du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, en septembre, pour fêter le trentième anniversaire des Éditions JCL. À cette occasion, il lançait un roman au titre un peu étrange: «La main gauche des ténèbres».
Cet écrivain originaire de Fécamp, en Normandie, ignore les chemins convenus et les balises. Que l’on songe à son incursion du côté de «Maria Chapdelaine». Il fallait une belle audace pour s’intéresser aux personnages de Louis Hémon et imaginer une suite.
Signalons surtout «Chair d’Amérique», un roman initiatique où il s’attarde à un jeune Français qui rêve du Nouveau Monde, se nourrit des écrivains américains et cherche à s’inventer une autre vie. Un grand roman qui n’a pas eu l’audience qu’il aurait dû recevoir. Que dire aussi de «Shalôm», cette formidable incursion dans le territoire israélien. Il y brosse des images et des décors inoubliables. Un ouvrage également passé inaperçu.

Bien et mal

Dans «La main gauche des ténèbres», Porée-Kurrer reprend le mythe du Christ et de Marie. Miriam accouche d’une fille tout en demeurant vierge.
«Il serait faux de prétendre que Miriam tombe des nues ; quelque part, dans ce que l’on nomme le subconscient, elle en avait déjà un peu l’intuition. Mais entre cela et la connaissance directe du fait, il y a un abîme. Elle n’est donc pas terrassée par la surprise, mais chancelle sous le choc de ce qu’implique pour elle le fait d’être enceinte ; enceinte et vierge ! Rien, dans tout ce qu’elle a pu apprendre, ne lui indique que la chose soit possible. Pourtant, malgré cette impossibilité, la première certitude qui se fait en elle est qu’Adam, qui ne l’a jamais touchée et qui n’est pas son mari, ne peut être que le seul père possible et envisageable.» (p.68)
La jeune mathématicienne élève seule sa fille Hella, reste fidèle à cet époux vite disparu même si le corps et les désirs sont difficiles à brider. Elle finira par croiser Loki, un Islandais qui déteste l’univers et cherche à détruire l’humanité. Il œuvre en Chine où tout est possible et imaginable. Avec sa fortune, le contrôle des médias, il peut déclencher des famines, provoquer des guerres, plonger l’humanité dans des conflits qui menacent l’avenir du genre humain.
Le Bien et le Mal s’attirent autant qu’ils se repoussent, ne peuvent exister l’un sans l’autre. Ce sont des forces centrifuges et centripètes. Les contes populaires ont bien saisi cette nécessaire confrontation où Dieu réagit aux manigances de Belzébuth. Le Diable est toujours vaincu et floué par les forces du Bien, comme il se doit. Porée-Kurrer, quant à lui, ne s’embarrasse pas de la morale et donne toute latitude au Mal.

Personnages

Tout bascule en Islande, dans ce pays à la frontière de deux continents, à cheval sur une faille qui sépare l’Europe de l’Amérique. La disparition d’Hella, lors d’une escale, déclenche l’éruption d’un volcan plutôt sage jusqu’à maintenant.
Fin observateur de la société, l’écrivain voit bien que l’Occident, avec la mondialisation et la déréglementation de tous les marchés, va à sa perte. Son roman repose sur une trame qui fait appel aux mathématiques quantiques, aux grandes légendes nordiques, aux principes physiques qui équilibrent l’univers et les galaxies. Le futur repose sur ces forces cosmiques qui se neutralisent. Il suffit de si peu pour que tout dérape. Qui sait si depuis une décennie, les États-Unis d’Amérique ne sont pas devenus cette «terrible main gauche» qui, en cherchant à éradiquer l’axe du Mal, a multiplié les zones de conflits et les attentats. Un roman étonnant qui ramène à des pulsions, des tourments moraux et des problématiques essentielles. L’écriture s’efface pour donner toute la place aux personnages. Porée-Kurrer reste un formidable conteur.

«La main gauche des ténèbres» de Philippe Porée-Kurrer est paru aux Éditions JCL.
http://www.jcl.qc.ca/fr/biographie.php?id=164