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mardi 15 mars 2011

Nicole Houde montre un nouveau visage

Nicole Houde, dans «Bancs publics», présente Pierrot le chat, Jean-Eudes, un ami trop tôt parti, Paul-Émile, l’inventeur de «la machine à réconforter» et sa mère qui a atteint «le bout de son âge».
L’écrivaine jongle avec la théorie de l’évolution des espèces, certaines idées de Karl Marx, la théorie du Big Bang et s’infiltre dans le jardin d’Éden où les pommiers «du Bien et du Mal, de la Connaissance et de la Putréfaction», trahissent les secrets. Madame Houde convoque sa Majesté le vent et les chats volants, les fées et les mages. Il n’en faut pas plus pour croire à la révolution ou l’évolution...
L’imaginaire oui, mais il cède devant la réflexion. Un banc au Jardin botanique de Montréal, un arbre perdu dans ses fleurs, un étang, des papillons et il est alors possible d’oublier la respiration difficile et le pas plus lourd.
Le lecteur qui fréquente l’oeuvre de cette écrivaine reconnaît des thèmes qui marquent une oeuvre romanesque très dense. Le passé surgit entre deux gestes, deux mots, un sourire ou un éclat de rire. Les disparus tournent sur la pointe des pieds et chuchotent à l’oreille des vivants.
«À cet instant, tu n’es plus seule sur la route. Tu sens sa présence. Il arrive parfois que des cailloux nous racontent une histoire et dépose le souffle chaud d’une ombre au creux de nos mains.» (p.124)

Gravité

Même en s’amusant, Nicole Houde ne s’éloigne guère de la gravité qui leste ses ouvrages.
«La mort, la vie et tous ces liens ténus qui nous rattachent aux autres ; il s’agit parfois d’un chapeau, d’une rose, d’un chat ou d’une rivière. Variations d’une partition musicale puisque le langage est, parmi ces liens, le plus fondamental.» (p.46)
Des surprises comme toujours, des bonheurs à lire et relire.

«La terre demeure l’ultime interlocutrice de nos conversations. Nous faisons semblant de ne pas l’entendre. Elle réplique en nous donnant de la neige, du soleil, des ancolies et des épervières. Quand nous l’avons suffisamment rendue abstraite, la terre nous regarde avec les yeux d’un homme ou ceux d’un chat.» (p.17)
Il suffit d’une phrase et Madame Houde fait prendre conscience que respirer est un miracle.
«Comme chaque être humain, je suis une histoire contenant beaucoup d’hiers et une foule de personnages ; les miens se frottent l’âme contre l’épais pelage d’un chat musicien. Il s’appelle Pierrot à cause des clairs de lune. Je lui parle de mon père, né et mort d’une soif sans bon sens, je lui parle de ma mère couchée dans une nuit dont elle ne reviendra pas.» (p.32)
Nicole Houde a l’art d’aborder les choses les plus amusantes et les plus graves avec des images qui figent. Il suffit de s’abandonner entre les rires et la réflexion pour saisir une autre facette de cette écrivaine incomparable. Un bonheur.

«Bancs publics» de Nicole Houde est paru aux Éditions de La Pleine lune.

lundi 14 mars 2011

Elena Botchorichvili nous laisse sur notre faim


C’est par « Le tiroir au papillon » que j’ai connu Elena Botchorichvili, une écrivaine née en Georgie, mais vivant à Montréal. Elle écrit en russe et ses ouvrages sont traduits en plusieurs langues. J’aime particulièrement cette romancière qui brosse des tableaux qui font souvent penser à l’univers de Marc Chagall.
« La tête de mon père » un texte « aussi court qu’un poème, avec seulement les moments les plus lumineux. Un roman sténographique » s’attarde au vécu de la famille du narrateur.
Mzia, la mère, a été actrice, ventriloque dans un cirque et reste une femme particulièrement originale. Une très belle femme qui piège tous les regards.
« Ma mère assumait avec légèreté sa gloire d’actrice, comme son chapeau blanc à large bord. « Je suis belle, disait toute sa personne, qu’y puis-je ? » Sa beauté ne s’éparpillait pas entre ses yeux, sa poitrine, ses jambes et ses robes décolletées. C’était tout cela à la fois, plus un je-ne-sais-quoi, tels des mots inexprimés. On ne voyait que le sommet d’un iceberg dont les huit neuvièmes étaient sous l’eau. » (p.18)
Une femme qui possède l’art de faire tourner le monde autour d’elle sans que rien n’y paraisse.

Couple

Le narrateur nous entraîne en Georgie avant la fin du régime communiste. Le père écrit des discours pour les dirigeants. Sa situation dépend de l’essor de ces politiciens ou de leur disgrâce. Toujours en train de noter, de découper des phrases et de préparer ces fameuses allocutions. Il vit aussi la passion malgré les querelles incessantes avec sa femme, les différences et les tensions quasi quotidiennes.
« Il l’imitait en se penchant en avant, vers un miroir invisible, il mettait sa bouche en cœur, il recouvrait ses lèvres d’un rouge invisible et déclarait d’une voix chantante :
- Mon Dieu, comme j’ai vieilli !
Mes parents ont vécu ensemble quarante ans, et mon père n’a jamais remarqué que ma mère boitait, que l’une de ses petites jambes était plus courte que l’autre. Moi non plus, et je fus terriblement surpris quand je dus traduire son entretien avec un médecin, ici, au Canada. Elle compensait ce défaut physique par une démarche chaloupée. » (p.41)
Des êtres qui se blessent et savent se réconcilier avant qu’une parole ou un geste ne provoquent la catastrophe.

Régime

Une belle manière de plonger dans un régime politique qui s’est défait.
« Mon père s’est retrouvé dans la nomenklatura, car il était un ancien combattant. Mais aussi parce qu’il savait écrire. J’ai déjà dit, en effet, que ça, il savait le faire ! Son chauffeur « personnel » nous conduisait à l’école, ma sœur et moi ; notre famille recevait des colis de provisions pour les fêtes ; nous avions nos entrées dans des magasins à accès restreint ; nous étions soignés dans une clinique réservée aux élites du parti ; nous passions nos vacances dans les stations balnéaires. Les postes qu’il avait occupés portaient des titres différents, mais son travail était toujours identique ; il écrivait. » (p.46)
La mer l’été jusqu’à ce que le père décide de déménager la datcha familiale à la montagne.
« C’est là que se trouvait jadis la datcha que nous avons construite, lui et moi, en nous disputant et en maudissant les rondins numérotés qui avaient séché et s’étaient détrempés durant des années, balayés par les vents du village de Tapla qui n’existe plus. Mon père avait démonté, rondin après rondin, sa maison natale au bord de la mer et avait écrit un chiffre au crayon à encre sur chacun d’eux. Oui, ça, il savait le faire : écrire. » (p.7)
Une entreprise qui s’éternise, à l’image de ce pays qui se défait et n’arrive plus à trouver une direction.

Trop court

Elena Botchorichvili évoque un monde qui s’efface peu à peu des mémoires et des récits de famille. Heureusement, les écrivains fouillent les souvenirs et les ramènent à la vie.
Nous ne pouvons que regretter que son récit soit si court. On en voudrait plus. On souhaiterait un « gros roman. Et lourd, pour qu’on puisse casser des noix avec », dit Mzia à son fils. Elle a bien raison, mais le narrateur n’en fait qu’à sa tête bien sûr.

« La tête de mon père » d’Elena Botchorichvili est paru aux Éditions du Boréal.http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/elena-botchorichvili-971.html